Fyctia
20. Sebastian
Samedi 20 avril
Mon footing dans Central Park est vital. J’ai besoin d’évacuer le plus d’énergie possible.
Nous fêtons l’anniversaire d’Ethan tout à l’heure. Tout le monde vient chez moi : ma mère, Nicholas et Emily. Je me demande au bout de combien de temps nous allons nous prendre la tête. Battrons-nous le record de l'anniversaire de Sarah, en janvier ? On a mis vingt minutes, si ma mémoire fonctionne bien. Je ne me souviens même plus quel était le problème. À présent, notre divorce est effectif, j’espère que ça s’est un peu apaisé. Je me réjouis quand même de célébrer les deux ans de mon loustic.
J’essaie d’absorber toute la quiétude du parc, de la faire mienne. Les écureuils s’amusent dans les arbres qui reprennent toute leur puissance, des promeneurs flânent dans les allées et sur les ponts, des jeunes parents baladent leurs bébés en poussette. Je nous revois, Emily et moi, il n’y a pas si longtemps. Est-ce moi qui ai tout gâché, comme elle me le reproche ? Étais-je vraiment trop obnubilé par ma carrière et dévoré par mon art ? Est-elle en partie fautive ? En avons-nous assez discuté ensemble avant qu’elle aille voir ailleurs si l’herbe est plus verte ?
Stop. Penser à cela ne me mettra pas dans de bonnes conditions pour tout à l’heure. Je me concentre plutôt sur l’herbe de Central Park et ralentis pour terminer mon run en marchant.
Je rentre chez moi et m’accorde un bain dans mon immense baignoire, toujours dans l’optique de me relaxer en prévision du grand débarquement. Ça ne loupe pas, alors que je venais de fermer les yeux pour savourer les différents jets de la fonction jacuzzi, l’inspiration me cueille et me force à abréger mon barbotage. Je me fatigue moi-même. Ce n’est pas étonnant qu’Emily en ait eu marre de vivre avec moi.
L’heure tourne et je ne peux seulement travailler qu’une cinquantaine de minutes avant que la sonnette retentisse. Je me crispe et pousse un soupir de soulagement lorsque je découvre Nicholas dans le judas. J’ouvre la porte et l’enlace sans attendre.
— Putain, merci d’être arrivé en premier !
— Avec plaisir, grand frère. Je me doutais que la perspective de supporter maman et Emily te ferait atteindre un niveau de stress assez élevé.
— Clair. Tu me connais bien.
— Et je les connais, elles.
Nos grimaces se répondent. Il se débarrasse de sa veste et pose les cadeaux dans le placard de l’entrée. Je nous prépare un café tandis qu’il s’assoit sur l’un des tabourets de l’îlot central.
— Allez, c’est quand même une heureuse occasion, déclare-t-il avec une tape dans mon dos, c’est l’anniversaire d’Ethan.
— Bien sûr. J’ai envie de profiter, mais je sais que très vite j’aurais hâte de me retrouver seul avec eux, ce soir, quand tout le monde sera parti.
— Je comprends. Bon, on doit décorer ou faire quelque chose ?
— J’ai déjà accroché la bannière, précisé-je avec un geste vers le salon, derrière nous. Il y a des ballons à gonfler.
— OK.
Nous nous mettons au travail. Je dois m’interrompre pour réceptionner le gâteau, livré par la pâtisserie réputée où Emily l’a commandé. C’est un truc affreusement compliqué avec différents étages, de la pâte à sucre bleue et des décos qui recouvrent tout. Notre mère arrive sur ses entrefaites et s’extasie sur l’abomination. De toute évidence, ni elle ni mon ex-femme n’ont reçu le mémo pour les prévenir que « bleu pour les garçons et rose pour les filles » c’est démodé et même plutôt mal vu.
Entre deux gonflages de ballons, maman réussit à critiquer mes cheveux toujours trop longs et les cernes de Nicholas. Bien que la réponse de ce dernier, « je tiens un club de blues », ne semble pas la satisfaire, elle n’a pas le temps de développer, car la sonnette retentit de nouveau. J’ouvre la porte à Emily et Sarah se jette dans mes bras.
— Papa !
— Ma poupée, tu vas bien ?
— Oui. Ethan a deux ans !
Je rigole et la serre fort contre moi. Elle porte une robe en tulle lilas qui confirme bien que sa mère n’a pas reçu le mémo susmentionné. Elle n’en reste pas moins ravissante.
— Je sais, lui confié-je avant de me tourner vers mon ex. Emily, bonjour.
— Bonjour.
Je pose Sarah et son frère, tout beau dans un costume trop strict, prend sa place dans mes bras. Il se cramponne à mon cou, je me délecte de son odeur de bébé. Mon cœur palpite de bonheur.
— Joyeux anniversaire, grand garçon !
— Cadeaux ?
Je réprime un soupir. Évidemment, il n’y a que ça qui l’intéresse. Ces enfants sont trop gâtés.
— Après, chouchou.
— Le gâteau est arrivé ? demande Emily après avoir accroché ton trench Burberry à l’une des patères de l’entrée.
— Oui. Il est très beau.
Elle plisse les yeux pour m’observer. Je suppose qu’elle a perçu mon ironie. Elle me connaît bien, après tout, nous sommes restés sept ans ensemble. Lorsqu’elle considère que son examen est terminé, elle hausse les épaules et tourne ses hauts talons pour rejoindre ma mère et Nicholas.
Cheveux blonds lissés à la perfection, visage ovale, petit nez, silhouette longiligne enserrée dans une robe droite. Sa beauté froide ne me fait plus aucun effet. Elle manque de spontanéité, de naturel. Des boucles brunes en désordre, des lunettes et des Dr. Martens flashent dans mon esprit, je les repousse. Ce n’est vraiment pas le moment.
Je retrouve ma famille autour des canapés en cuir. Les enfants n’en ont que pour leur tonton Nicholas, ma mère tire donc la gueule. Charmant. Dans l’espoir d’alléger l’ambiance, je me rends dans la cuisine pour préparer le gâteau. Emily me rejoint. Je sens son regard sur moi tandis que je sors mes plus belles assiettes et les boissons.
— Tu vas bien ?
Je manque de lâcher la bouteille de champagne que j’étais en train d’extirper du frigo. Qu’est-ce qu’il lui prend ? On ne se demande pas ça, ces derniers temps.
— Très bien, et toi ?
— Ça va. C’est la folie au cabinet.
Emily est décoratrice d’intérieur et s’occupe de clients fortunés de l’Upper East Side. Elle se lance dans un compte-rendu détaillé des requêtes loufoques de l’un d’entre eux, puis m’interroge sur mes travaux en cours. Cela fait longtemps que nous n’avons pas discuté ainsi, de choses légères et banales. Sans que nous nous disputions, surtout. C’est agréable et un peu flippant, aussi. Je ne peux m’empêcher de me demander si elle cherche quelque chose de précis.
Ethan souffle ses bougies, aidé par sa sœur. Cela finit d’ailleurs en bagarre et je dois les rallumer trois fois afin de satisfaire mes petits monstres. Le déballage des cadeaux se déroule dans un enthousiasme qui frôle l’hystérie. Des Duplo, des puzzles, des jeux de cartes, une mini-marchande — offerte par Nicholas, qui lui a bien reçu tous les mémos nécessaires.
Les emballages s’amoncellent au sol, j’ai le tournis face aux sommes dépensées. Mon désarroi doit se voir sur mon visage, car Emily, assise à côté de moi sur le canapé d’angle, pose sa main sur mon genou et murmure :
— Allez, ils sont heureux, c’est le principal, non ?
Je lâche un oui, du bout des lèvres.
Son comportement me déstabilise, aujourd’hui.
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Morphée68
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