Marie Andree Columbia Blues 19. Sebastian & Victoria

19. Sebastian & Victoria

Sebastian

Victoria se révèle très effacée aujourd’hui. Elle m’étonne et m’inquiète, même. J’espère qu’elle n’a pas de souci personnel. Peut-être n’aime-t-elle pas cet exercice ? C’est dommage, je pense qu’elle serait très pertinente.


Je l’observe aussi discrètement que possible. Son beau visage est tout crispé, elle essaie de trouver une réponse, c’est évident. Je me demande du coup si elle a un problème avec le sujet lui-même, l’amour. Une rupture récente douloureuse ? Des difficultés à débuter ou à pérenniser une relation ? Ça me paraît surréaliste : qui pourrait la faire souffrir ou ne pas avoir envie de mieux la connaître ?


J’hésite à l’interroger, une intuition me retient. La mettre mal à l’aise devant ses pairs n’est pas du tout ce que je souhaite. Ses camarades apportent de toute façon des réponses suffisantes, je poursuis l’atelier ainsi.


Ava semble aller aussi bien que possible, je suis rassuré. Elle participe à plusieurs reprises, ainsi que la pétillante rousse. De Victoria toutefois, rien.


Elle me fascine d’autant plus. Je me rends compte que je ne sais pas grand-chose d’elle, excepté qu’elle est en troisième année d’histoire de l’art à Columbia, qu’elle habite la quatre-vingt-dix-septième rue avec deux amies et qu’elle est passionnée par l’analyse et le réalisme. Elle est aussi un peu gaffeuse, drôle et bordélique, à mon avis. Une multitude de questions demeure toutefois. A-t-elle passé son enfance à New York ? Si ce n’est pas le cas, d’où vient-elle ? Dans quel type de famille a-t-elle grandi ? Est-elle célibataire ou en couple ? Qu’a-t-elle vécu avant ?


L’atelier se termine sans qu’elle nous fasse grâce de ses remarques pertinentes. Sa voix, aussi, me manque. Elle réunit vite ses affaires, comme toujours, et lorsqu’elle relève la tête, son regard accroche le mien. Elle ne se détourne pas et m’adresse un petit signe, comme si elle s’excusait de son silence. Je ne lui en veux pas, je m’étonne seulement de son attitude aujourd’hui. Oserai-je lui écrire un message pour vérifier si elle va bien ?


Je quitte Columbia, perdu dans mes pensées. Même si la pluie a cessé, les trottoirs sont détrempés et le trafic est encore plus dense qu’à l’accoutumée. Les klaxons se sont déclarés la guerre. Mon chauffeur a dû garer la voiture un peu plus loin, il s’en excuse quand je m’y engouffre.


— Pas de souci, Frank.

— Bonne séance ?


Je réponds machinalement par l’affirmative bien que je reste troublé du comportement de Victoria. Je checke mon téléphone — pas de message. Mon doigt se promène un instant sur notre conversation WhatsApp, je décide néanmoins de ne pas lui écrire. Nous ne sommes pas amis, ce n’est pas à moi de lui demander si elle va bien ou pas. Mes ateliers ne correspondent pas à des cours à proprement parler, je ne peux pas la réprimander car elle n’a pas participé. Certains de ses camarades n’ont jamais prononcé un mot autre que « bonsoir » face à moi. Je n’ai donc aucun droit de l’attaquer pour ça, ou même de me montrer inquiet à son égard. Cela serait étrange de lui transmettre une interrogation du style « si tu es restée silencieuse ce soir, c’est parce que tu as un problème avec l’amour ? »


J’échange plutôt avec mon ex-femme : Ethan a un peu de fièvre depuis hier. Les nouvelles sont rassurantes, je m’extasie alors sur les photos de lui et sa sœur gracieusement envoyées par Emily. Elle est de bonne humeur aujourd’hui. A-t-elle repris les galipettes avec son collègue ? Je secoue la tête, navré par ma propre bêtise. Cela ne me regarde plus, à présent.


Malgré le talent de Frank, nous stagnons dans les embouteillages. Je ronge mon frein alors que je meurs d’envie de poursuivre mon tableau inspiré par le prénom Victoria. J’ai commencé quand même à peindre la toile, même si je ne suis pas parvenu au résultat que j’escomptais sur l’esquisse au crayon. Si je me laisse porter par mes pinceaux et mes couleurs, les traits de ma reine perdue dans New York m’apparaîtront peut-être comme par enchantement ?

***

Victoria

Assise dans le taxi entre mes deux amies, je peste intérieurement contre les bouchons qui retardent le moment où je me trouverais enfin dans le sanctuaire de notre appartement.


— Ça va, choupette ? me demande Ava, sa main posée sur ma cuisse. T’es bien silencieuse.

— Oui, oui. Je suis juste crevée.

— L’atelier ne t’a pas plu, ce soir, déclare Brooke d’une voix douce.


Ce n’est même pas une question. Je pourrais me braquer et m’offusquer de son affirmation délivrée sans enrobage, cependant sa franchise est ce que je préfère chez elle.


— Non. Je trouve que l’amour est un thème trop facile, trop évident. Il n’y a rien à creuser. Le grand Sebastian Harper me déçoit.


Quelque chose remue en moi alors que je prononce son nom. J’exagère. Me montrer aussi sévère, même s’il ne peut pas m’entendre à ce moment précis, me gêne. En toute objectivité, il a animé cette séance avec autant de brio que les autres. Je crois qu’il y a eu plus de participation de la part de nos camarades. De toute évidence, l’amour inspire tout le monde, sauf moi. J’hésite à envoyer un message à Harper pour m’excuser de mon attitude d’aujourd’hui. Il trouverait sûrement ça inutile. Il n’a peut-être même pas remarqué que mon comportement avait changé, après tout. Je ne suis pas seule dans la salle de classe.


— Tu le connaîtras de nouveau, ça ne fait aucun doute, me promet Ava sur un ton solennel.

— De quoi tu parles ?

— De l’amour.


Mon estomac s’entortille sur lui-même. C’est toujours étrange de discuter de ce sujet avec elle, qui n’a jamais eu de relation sérieuse à cause de sa maladie. Elle pourrait, en appliquant certaines règles. Elle nous a expliqué qu’elle privilégie ses études pour l’instant.


— Ne l’embête pas, Ava, intervient Brooke sur une intonation sévère. Si elle n’est pas prête, elle ne doit pas forcer.


Elle me comprend, car nous sommes dans une situation similaire. Après la trahison de son ex l’année dernière, il lui faudra un moment avant de pouvoir faire de nouveau confiance à quelqu’un. De toute façon, suite à son accident en début d’hiver, son frère reste sa priorité. Ma rupture avec Arthur date d’il y a neuf mois, je crois que j’ai encore besoin de temps.


— Bien sûr, désolée, choupette.

— Pas de souci, la rassuré-je en pressant son genou.


Nous arrivons chez nous et commandons des sushis. Avant leur livraison, je file sous la douche et enfile mon pyjama dans l’espoir de me relaxer et de me débarrasser du coup de blues qui me suit depuis l’atelier d’Harper. Je ne dois pas y parvenir si bien que ça, car, quand je les rejoins dans le salon, Brooke lance un « soirée karaoké ! » Je grimace, je ne suis pas d’humeur et je voulais relire le devoir sur lequel je travaillais tout à l’heure.


Pourtant, dix minutes plus tard, en face de l’écran géant, alors qu’on s’égosille toutes les trois sur Love Story de Taylor Swift, je me sens beaucoup mieux. Le sujet de l’atelier d’Harper ne m’apparaît plus si terrible que ça.


Ava a raison : un jour, peut-être. Bientôt.

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49

49 commentaires

Morphée68

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Il y a 2 mois

Ouiiiiiii ! Et je pense même que je sais déjà avec qui ... 😆😍

Marie Andree

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Il y a 2 mois

Et oui ! 😁🥰

Gottesmann Pascal

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Il y a 2 mois

Sebastian, avec sa sensibilité d'artiste, a bien compris que Victoria avait des soucis. Mais aussi qu'il n'était pas correct de l'interroger. En effet, à ce moment là, elle est beaucoup mieux avec ses copines qui la connaissent par cœur.

Marie Andree

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Il y a 2 mois

Tu as tout bien cerné comme toujours ! 👌

Mary Lev

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Il y a 2 mois

Allez un petit texto pour arranger ce malentendu ce serait top ♥️♥️♥️

Marie Andree

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Il y a 2 mois

Ils hésitent...

Jill Cara

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Il y a 2 mois

Bientôt, très bientôt !! 😍

Marie Andree

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Il y a 2 mois

Et oui ! ♥️

MarionH

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Il y a 2 mois

Mais ouiiiii. Ds un chapitre proche, n est ce pas madame l'auteure ??

MarionH

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Il y a 2 mois

Désolée c est peu constructif, ms je suis à fond avec Vic!
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