Marie Andree Columbia Blues 16. Victoria

16. Victoria

Lundi 15 avril

  • Bonsoir, j’espère qu’Ava se porte bien aujourd’hui
  • Oui merci, rien à signaler. Elle est même plutôt en forme
  • Parfait, me voilà rassuré
  • Rien à voir, mais j’ai pensé à toi aujourd’hui. J’étais à Philadelphie pour rencontrer un galeriste et je me suis dit que cette toile pourrait te plaire

Depuis vendredi soir, je lis et relis mon échange de textos avec Harper. Ce message-là arrête mon cœur à chaque fois. « J’ai pensé à toi ». Ça ne peut être qu’une vaste blague !


L’image qu’il m’a envoyée représente l’avant d’un camion transportant des citrouilles, qui débordent de partout et se répandent au sol. Dans son message suivant, il me lance le défi d’y trouver une signification. Au premier abord, ce tableau de Robin Weiss ressemble à une banale nature morte, avec un joli travail sur les couleurs. J’y vois une critique de la course à l’accumulation de notre époque actuelle et du consumérisme. Même par écrans interposés, Sebastian semble impressionné. Ce qui m’impressionne, moi, c’est qu’il puisse l’être et, surtout, que nous avons continué à échanger après ça.

  • Tu vas exposer à Philly alors ?
  • C’est peu probable, il a détesté ce qu’on lui a présenté
  • Détesté ? Ça m’étonnerait !
  • Je t’assure
  • Tu te sous-estimes

J’ai cru qu’il souffrait du même mal que moi. Avait-il aussi croisé un Arthur dans sa vie ? Il m’a en fait expliqué qu’il avait changé de style récemment et qu’il avait du mal à trouver des galeries pour accepter son travail. J’ai depuis le sentiment de posséder un scoop concernant le grand Sebastian Harper. Peut-être que si je vends cette info à un journal, ça fera le buzz et les gens s’arracheront ses nouvelles œuvres ? Le monde tourne de façon tellement bizarre, ces temps-ci.


Mon prof se racle la gorge près de moi. Oups. J’éteins l’écran de mon téléphone, pose ma trousse dessus et relève les yeux. Il faut dire que l’histoire de l’art des années 400 à 1400 n’est pas ce qui me passionne le plus. C’est malheureusement une des matières obligatoires pour obtenir mon diplôme. Professeur Walsh n’est pas du genre à émettre des remarques acerbes ou à humilier ses élèves en public, je me concentre tout de même durant le reste du cours. Penser à Harper ne m’apportera rien de bon, de toute façon, alors autant arrêter dès à présent.


Le lundi est une journée assez cool : Ava et moi n’avons cours que le matin. Aujourd’hui, nous avons convenu de grignoter dans Central Park et d’aller voir une exposition au Metropolitan Museum of Art. Elle va beaucoup mieux depuis la frayeur qu’elle m’a fait mercredi dernier. Je redouble bien sûr d’attentions envers elle, ainsi que Brooke. Sans surprise, Ava ne nous supporte plus, même si c’est pour la bonne cause. Le troisième membre de notre trio est revenu hier et est assez satisfait de son séjour chez ses parents à Los Angeles. Son frère apprend à gérer le quotidien en fauteuil roulant et lui a paru plutôt optimiste pour la suite, bien qu’il doive à présent reconstruire sa vie.


Dès que le prof nous libère, nous bondissons hors de la salle et nous rendons dans le parc en taxi, pour ménager mon amie. Nous avions prévu des tupperwares avec un reste de salade de riz et étalons une épaisse couverture sur l’herbe, près d’un joli pont. Comme il se doit, nous nous extasions sur chaque écureuil aperçu et jouons à notre jeu favori, « quelle est son histoire ? ». Il s’agit d’imaginer la vie des personnes qui passent devant nous, comme cet homme qui consulte son téléphone en marchant dans l’allée en face de nous.


— Celui-ci travaille dans la finance, affirme Ava avec aplomb, ça se voit, il est tout stressé.

— Je trouve pas. Je l’imagine plutôt… journaliste.

— Pas du tout ! Il vient dans le parc dans l’espoir que la verdure l’apaise. Mais il oublie que nous sommes tout de même en plein cœur de Manhattan. Et t’as vu son costume ?

— L’habit ne fait pas le moine, répliqué-je dans un haussement d’épaules. Harper porte ce genre de costumes.


Je regrette instantanément de l’avoir évoqué. Je me raidis afin d’empêcher des papillons stupides de voleter dans ma poitrine.


— OK, un point en ta faveur, concède Ava avec un vague geste de la main. Il t’a écrit de nouveau, au fait ?

— Non. Pas depuis notre échange de vendredi soir.


Un soupir m’échappe sans que je puisse le rattraper. Mon amie m’observe, la tête penchée d’un côté, les yeux plissés.


— Tu pourras lui envoyer un message pour débriefer l’exposition.

— Je vais pas l’embêter avec ça ! Vendredi, il voulait juste prendre de tes nouvelles. Le reste du temps, il a bien d’autres choses à faire que lire et répondre aux textos d’une simple étudiante…

— Choupette, pas tout le monde n’est comme Arthur, commente Ava avec douceur. Je pense que Harper serait très intéressé par ton avis sur cette expo.

— J’en doute. Allons-y, d’ailleurs. J’ai peur que tu prennes froid sans bouger.

— D’accord, maman !


Je lève les yeux au ciel. Nous remballons notre pique-nique et nous rendons au Met, situé en bordure du parc sur la cinquième avenue. Bien qu’Ava évite au maximum les musées, elle avait trop envie de voir une exposition qui a démarré début avril et qui s’intitule « les visages cachés de la Renaissance ». Elle met en lumière un aspect intrigant et largement méconnu de la peinture : des portraits dans lesquels l’image du modèle est dissimulée par un élément, quel qu’il soit.


Moins de cinq minutes plus tard, les marches du célèbre bâtiment nous accueillent. C’est là que Blair et Serena déjeunaient dans la série Gossip girl. Ava a remis son masque, cela ne nous arrête pas pour prendre un selfie. Nous affrontons ensuite le flot de touristes. Heureusement, l’expo en question n’attire pas la foule.


Les couvertures et les revers des portraits sont ornés d’emblèmes, d’épigrammes et d’allégories en forme de puzzle qui célébraient le caractère ou la famille du modèle. Le spectateur doit tenter d’en décoder le sens avant de soulever, faire glisser ou retourner l’image pour dévoiler le visage qui se trouve en dessous. C’est une façon inédite d’aborder l’analyse et la symbolique dans la peinture.


Ava et moi nous régalons à découvrir chaque œuvre. Je ne vais pas le reconnaître à haute voix, néanmoins elle avait raison : ça me donne envie d’écrire à Sebastian. J’ose ou pas ? C’est lié à ses ateliers, après tout. Ce n’est pas comme si je le contactais pour savoir s’il avait passé un bon weekend. Je pourrais aussi lui poser la question mercredi, en face-à-face.


Ça crépite dans mon ventre à la perspective de le revoir dans deux jours. Qu’est-ce qui ne tourne pas rond, chez moi ?


J’essaie de me concentrer sur l’expo et de prendre des notes pertinentes. Ava souhaite toutefois rentrer au milieu de notre deuxième tour, cela fait déjà une journée chargée pour elle. De retour chez nous, je balance mon sac au hasard dans ma chambre et me laisse tomber sur mon lit. Ma main, accrochée à mon téléphone, agit de façon curieuse : elle envoie un message à Sebastian Harper.

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78 commentaires

Eleanor Peterson

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Il y a 2 mois

C’est bien qu’ils se rapprochent en pensant l’un à l’autre par le biais de leur passion commune . C’est cool je trouve ☺️

Marie Andree

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Il y a 2 mois

Merci Eleanor 🥰

Lily_D

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Il y a 2 mois

♡♡♡ j'adore ~ Je continue 😀

Marie Andree

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Il y a 2 mois

Tu m'en vois ravie ! 💕

WildFlower

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Il y a 2 mois

Hehe elle est à fond 😏

Marie Andree

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Il y a 2 mois

Complètement 😁

Le Mas de Gaïa

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Il y a 2 mois

Va faloir dompter cette main qui n'en fait qu'à sa tête lol

Marie Andree

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Il y a 2 mois

Ou pas... 🤣

Mary Lev

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Il y a 2 mois

Premier contact ça y est !

Marie Andree

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Il y a 2 mois

Ouiii
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