Fyctia
17. Sebastian & Victoria
Sebastian
Mon téléphone vibre sur ma table à dessin. Dans un soupir, j’essuie mes mains sur un chiffon et m’éloigne du chevalet. Je suis déterminé à respecter ma nouvelle résolution : essayer de ne plus me couper du monde quand je peins. Des messages importants, concernant mes enfants ou ma mère, par exemple, peuvent arriver dans ces moments-là.
J’espère juste que ce n’est pas Molly. Les choses sont étranges entre nous depuis vendredi. Après sa déclaration cryptique et le geste affectueux qu’elle a eu envers moi, nous avons agi comme si de rien n’était. Ou nous avons essayé, du moins. La tension durant le trajet retour entre Philadelphie et New York parle d’elle-même, nous n’avons pas très bien réussi. En plus de ma relation avec mon ex, dois-je également gérer le fait que mon agent est attirée par moi ?
C’est donc avec prudence que je m’approche du téléphone.
Ce n’est ni ma mère, ni Emily, ni Molly.
C’est Victoria.
Mes lèvres s’étirent en un sourire. Je m’assois devant ma table à dessin et fais pivoter mon tabouret afin de faire face au reste de mon atelier. Les accords chauds d’une de mes chansons de blues favorites résonnent dans la vaste pièce.
Je grimace. Je ne suis pas son professeur.
Pourquoi cette précision m’importe ? Bref.
Son enthousiasme est charmant.
Elle m’explique leur jeu, mignon et un peu flippant.
Cet échange me ravit. J’oublie même mon travail en cours. Il faut avouer que je n’étais pas très inspiré tout à l’heure : je peignais une toile assez classique — des enfants dans une salle de classe — pour rassurer Molly. On dit qu’être artiste, c’est être libre. Je ne suis pas d’accord. Nous sommes nous aussi obligés de nous plier aux attentes de notre public et à la loi du marché.
Je soupire et reporte mon attention sur le dernier texto de Victoria. La chanson diffusée par les enceintes m’entoure de son tempo tour à tour lancinant et dynamique.
Je pouffe comme un imbécile dans mon atelier vide. J’aimerais bien qu’elle soit là, en chair et en os. J’imagine son joli visage qui s’anime et ses yeux qui pétillent. D’où m’écrit-elle ? D’un taxi, de retour du musée ? Ou de chez elle ? J’ai vu une partie de leur salon, je me demande comment est sa chambre. Des tableaux accrochés aux murs, certainement, et du bordel partout. Rien que ses pattes de mouche illisibles et la façon qu’elle a de jeter ses affaires au fond de son sac m’indiquent qu’elle n’est pas très ordonnée.
Elle est extraordinaire. Je secoue la tête, bluffé. Je crois que ça pourrait me débloquer.
Elle a ajouté un smiley qui se roule par terre à la fin, comme pour adoucir l’opinion qu’elle a d’elle-même. Pourquoi a-t-elle si peu confiance en elle ? Ou plutôt : pourquoi alterne-t-elle entre des moments où elle s’exprime avec assurance et d’autres où elle se déprécie ? Tout cela en l’espace d’une poignée de secondes, de ce que j’ai pu voir en classe et par messages, là, à l’instant. C’est si étrange. Elle m’écrit un autre texto avant que j’aie pu réussir à formuler le mien.
Mon divorce a été mentionné dans la presse, elle doit être au courant et peut donc juger de mon immense échec. Me séparer d’Emily avec des enfants si petits, c’est d’un pathétique.
Je souris, tout seul, entouré de mes toiles et de mes pinceaux. Elle réussit un tour de force : alléger les regrets de ma vie familiale ratée.
***
Victoria
Un rêve. Ça ne peut être que ça. Je suis allongée sur mon lit, après tout, je dois être endormie. Pourtant, les papillons qui s’envolent dans ma poitrine à la lecture des messages de Sebastian Harper et le sourire qui ne lâche pas mes lèvres semblent bien réels.
J’ai cherché sur mon téléphone ses tableaux qui mettent en scène son fils et sa fille. Ils sont superbes : chaque détail de l’environnement est soigné et, comme toujours dans son travail, les visages et leurs expressions sont retranscrits avec un réalisme frappant.
L’imaginer en train de s’occuper d’eux m’attendrit. Quel genre de papa est-il ?
Je pouffe comme une idiote sur mon lit. Il est adorable. Dans quel monde parallèle suis-je tombée, pour que Sebastian Harper me parle de ses enfants et me fasse rire ?
Peu importe. Je l’aime bien, ce monde-là.
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Cara Loventi
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