Marie Andree Columbia Blues 7. Victoria & Sebastian

7. Victoria & Sebastian

Mercredi 3 avril - Victoria


Même sous la torture, je n’avouerais pas que j’ai attendu le deuxième atelier de Sebastian Harper avec une folle impatience. On me menacerait de supprimer toutes les meilleures chips des rayons des supermarchés ? On me menacerait de forcer Timothée Chalamet à mettre fin à sa carrière ? Je ne plierais pas. Enfin, peut-être à cause des chips, c’est à voir.


Ces événements abominables ne se sont pas produits, j’ai donc rongé mon frein et me suis entraînée à modérer mon enthousiasme quand on en parlait avec les filles. C’est seulement la perspective d’un passionnant travail d’analyse qui m’attire.


La semaine est cependant passée à une vitesse folle. Nous avons aidé Brooke à préparer son voyage à Los Angeles, elle part vendredi. J’ai aussi avancé sur l’article que je compte soumettre à New York Art Life. Les filles doivent relire mon premier jet, je l’enverrai ensuite. Être publiée dans cette revue serait incroyable. Même si j’ai peur d’être déçue, je suis contente de mon travail.


Nous ne sommes pas beaucoup sorties : un resto à Chinatown, de belles balades dans Central Park. Ava était un peu fatiguée. C’est souvent le cas aux changements de saison, ça ira mieux quand le printemps sera véritablement installé. Pour le moment, il joue avec nos nerfs.


Aujourd’hui, je n’ai pas reproduit la même erreur que l’autre fois. Hors de question d’arriver en retard. Je ne me suis pas rendue à la bibliothèque à la fin de mon dernier cours — qui portait sur l’art abstrait et durant lequel la voix monocorde du prof a failli m’endormir. Je suis restée dans la salle jusqu’à ce qu’une femme de ménage me mette dehors et j’ai rejoint la pièce allouée aux ateliers d’Harper.


La porte était de nouveau fermée, je me suis assise par terre en tailleur. Prise de culpabilité quant à mon manque de concentration tout à l’heure, je me force à relire mes notes et effectue des recherches sur mon téléphone pour compléter certains aspects.


Une ombre se dessine soudain sur mes feuilles blanches. Je relève la tête, mon souffle se coupe. Zut, il était aussi beau, la semaine dernière ? Ma gêne m’a peut-être empêchée d’enregistrer chaque élément qui compose la toile « Sebastian Harper ». Même la main qui tient sa sacoche en cuir me parait sexy. Pour ne rien gâcher, il porte un costume bleu marine qui s’accorde à la perfection avec ses iris.


— Bonsoir.

— Bonsoir.


Jusque là, tout va bien. Mon instinct de survie me pousse à ne pas me lever devant lui. Depuis le sol, engourdie après une demi-heure dans la même position et avec mon manque de grâce habituel, ça ne pourrait qu’induire un désastre. Il m’observe sans rien dire de plus, une expression pensive se devine derrière sa barbe. Comme s’il cherchait à résoudre une énigme. Il doit songer à l’un de ses soucis, c’est impossible que je soulève le moindre questionnement chez lui. Il hoche la tête, ouvre la porte et pénètre dans la salle.


Je fais mine de me replonger dans mes notes, bien que ma concentration l’ait suivi à l’intérieur. Je ne comprends même plus la dernière phrase que j’ai écrite. Un raclement de gorge me fait alors sursauter. Il se tient dans l’embrasure, une étincelle amusée dans le regard.


— Oui ?

— Tu ne préfères pas entrer et t’asseoir sur une chaise plutôt que sur le lino glacé ?


Zut. Je ne vais pas pouvoir y couper.


— Hum, OK, merci.


Je prie pour qu’il fasse demi-tour, il reste planté là à m’attendre. Bon, quand faut y aller, faut y aller. Je fourre mon carnet et mon téléphone dans mon sac, que je place sur mon épaule. Je m’empare de ma veste que j’avais posée sur mes genoux et, ma main libre au sol, je commence à me lever. L’espace d’un instant, tout se déroule de façon correcte, puis, patatras, l’un de mes pieds se prend dans mon long manteau. Je cherche un élément auquel m’accrocher, il me devance et m’attrape le bras. Je relève brusquement la tête, le cœur battant. Sa main ferme et douce à la fois me brûle à travers ma chemise en jean. Son odeur d’agrumes et de poivre noir m’enivre. La bienveillance dans son regard, surtout, me chamboule.


— Ça va ? demande-t-il, la voix rauque.

— Oui, merci.

— Pas de souci.


Il me relâche alors ; je vacille. Son contact me manque déjà. Je sens encore la chaleur de ses doigts sur mon bras.


Qu’est-ce qu’il m’arrive ? Je croyais que ces sensations avaient disparu à cause de ce que j’ai vécu avec Arthur.


***


Sebastian


Elle était déjà adorable, assise en tailleur par terre, concentrée sur des gribouillis illisibles. Et quand je l’ai rattrapée, alors qu’elle trébuchait sur son manteau, et que nos regards se sont croisés, quelque chose a crépité en moi. Je l’ai vite relâchée, non sans avoir enregistré l’odeur de vanille de ses cheveux.


Nous venons de pénétrer dans la salle de cours. Elle a l’air aussi gênée que moi, va savoir pourquoi. Ce n’est certainement pas pour la même raison, comme si elle pouvait être troublée face à un vieux de mon acabit ! J’espère surtout que je ne l’ai pas choquée en lui attrapant le bras.


— Tes acolytes ne sont pas là ? demandé-je pour rompre l’immense silence entre nous.

— Mes ac... oh, mes copines Ava et Brooke ? Elles arrivent, elles ont un cours de plus que moi le mercredi.

— OK.


Formidable. Ma capacité à entretenir une conversation est restée dans le couloir, avec le souvenir de notre bref contact. Ce dernier, ainsi que notre proximité, m’a troublé. Ça ne devrait pas. Elle est jolie, certes, comme des centaines d’autres filles. Pourquoi me chamboule-t-elle ? J’écarte résolument ces pensées perturbantes de mon esprit tandis que ses camarades la rejoignent dans la salle.


Son amie blonde porte de nouveau un masque FFP2. Je suppose qu’elle est immunodéprimée, j’espère juste qu’elle ne souffre pas d’une maladie grave. Elle s’installe avec entrain à côté de la rousse et de Victoria, qui paraît songeuse.


Je me force à me détourner d’elle, salue l’ensemble des étudiants et leur demande s’ils ont des questions sur l’atelier précédent. Ils répondent par la négative, sans trop de surprise ; je lance alors le sujet du jour. Par je ne sais quel miracle, j’arrive cette fois-ci à afficher l’image adéquate à l’écran. Je leur accorde de nouveau une poignée de minutes pour lire l’œuvre, un dessin qui correspond à une couverture du journal le New Yorker, réalisée par Charles Alston en 1934.

Plusieurs élèves lèvent la main à la fin du temps imparti, je m’applique à éviter Victoria et interroge l’un de ses camarades. Le bonnet péruvien qu’il porte en fait une cible facile.


— On voit sur ce dessin un chef d’orchestre en action face à un orchestre vide, donc on se dit que c’est un fou ou un passionné qui s’entraîne. Mais il n’y a pas de partition devant lui. En regardant de plus près, l’homme tient un balai dans une main, on comprend que c’est l’homme d’entretien de la salle de concert.

— Oui, merci, c’est bien ça. Maintenant, quelle signification trouvez-vous dans cette œuvre ?


Ne pas l’interroger relève de la bêtise, je le sais depuis le début.

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97 commentaires

Eleanor Peterson

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Il y a 3 mois

C’est le début entre eux deux . C’est même réaliste aussi avec un écart d’âge comme ça ;)

Marie Andree

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Il y a 3 mois

Oui dix ans ce n'est pas énorme non plus mais c'est sûr que ça peut poser quelques problèmes...

Lys Bruma

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Il y a 3 mois

C'est trop mignon la façon dont ils sont gênés tous les deux 🤍

Marie Andree

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Il y a 3 mois

😍

Lily_D

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Il y a 3 mois

C'est troublé des deux côtés sans savoir que c'est réciproque ♡ Très belle plume 😉 je le redis ♡ Je continue ~ Merci

Marie Andree

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Il y a 3 mois

Merci beaucoup Lily ! 💕

Mary Lev

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Il y a 3 mois

Intéressants ces cours, c'est du beau travail Marie !

Marie Andree

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Il y a 3 mois

Merci Mary ! J'apprends plein de choses. 😁

Le Mas de Gaïa

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Il y a 3 mois

Ça craque sévère des 2 côtés, mais en étant persuadé que ça ne peut pas être réciproque XD

Marie Andree

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Il y a 3 mois

Tout à fait 😁
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