Fyctia
6. Sebastian
Samedi 30 mars
Les enfants nous apprennent la patience et le contrôle de soi.
Mon fils Ethan, deux ans, vient de renverser le verre rempli d’eau pour faire tremper les pinceaux. J’ai eu la bonne idée de proposer un atelier peinture. C’est mon métier, je suis censé me trouver dans mon élément, n’est-ce pas ?
Cela se transforme en fiasco total. Nous nous trouvons dans la chambre de Sarah, autour d’une table basse que sa mère avait choisie. Ethan en a partout sur lui, malgré sa blouse de peintre, et sa sœur pleurniche, car elle ne parvient pas au résultat qu’elle espérait. À quatre ans, ma puce est déjà aussi perfectionniste que sa mère. Et que moi, soit.
— Ma chérie, écoute-moi. C’est normal de ne pas réussir du premier coup. Moi-même, quand je commence un nouveau tableau, je dois m’y reprendre à plusieurs fois, effectuer différents essais. Tu vois ?
C’est vraiment mon cas en ce moment, je ne l’affirme pas pour la rassurer. J’ai du mal à m’approcher du résultat que je recherche avec le tableau « Victoria », comme je l’ai appelé de façon provisoire. D’abord, les proportions me gênaient, maintenant c’est le visage et la morphologie de cette reine perdue dans le monde moderne qui me causent du souci. J’espère les cerner bientôt afin de passer à l’étape que je préfère : apposer et travailler les couleurs.
— Moi quand je serai grande je veux peindre comme toi, papa, énonce-t-elle de sa petite voix assurée.
Je fonds. Elle est si mignonne, avec ses cheveux blonds et ses yeux bleus. Elle ressemble beaucoup à sa mère. Emily est très belle, il serait difficile de le nier, même si j’aimerais être mesquin, car je ne digère pas ses parties de jambes en l’air avec son collègue Marty. Quel nom stupide ! Je me secoue pour répondre à ma fille.
— Je suis sûr que tu y arriveras, chaton.
Son visage s’illumine d’un coup, j’ai l’impression d’être un superhéros. Elle se jette dans mes bras depuis sa chaise basse.
— Merci, papa !
— Tombé, annonce Ethan à cet instant.
Je me retourne vers lui, il désigne le sol à ses pieds de sa petite main potelée. En effet, il a fait tomber un pinceau rempli de peinture. Je le ramasse prestement et grimace face à la trace qui souille le carrelage en marbre. Mon fils a repris son activité, imperturbable. Je n’allais de toute façon pas le gronder pour ça.
Même si je redoute le rangement interminable qui m’attend, je savoure ce moment avec mes deux anges. Je me lève pour humidifier une éponge afin de nettoyer la tache. Je consulte machinalement mon téléphone et mon cœur bondit dans ma poitrine lorsque je découvre l’heure.
— Oups, les loustics, on va devoir arrêter et se laver un peu. Grand-maman arrive bientôt.
— Oh non ! Je veux m’entraîner à être comme toi, papa.
Une main invisible enserre mon estomac. J’espère plutôt qu’elle deviendra bien meilleure que moi.
— On recommencera après sa visite, si on a le temps.
Encore une promesse en l’air. Il est déjà 17h, ils ne pourront pas peindre de nouveau après le départ de ma mère. Je dois négocier pendant cinq minutes supplémentaires afin qu’ils capitulent, non sans échapper aux larmes d’Ethan. Je le serre contre moi pour l’apaiser et me délecte de son odeur de bébé, qui ne l’a toujours pas quitté. Je me souviens de sa naissance, nous étions si heureux. Comment tout peut changer aussi vite ?
Nous nous rendons dans leur salle de bains et j’œuvre durant un long moment. Lorsque je considère que ces garnements sont à peu près propres, nous rejoignons le salon. J'espère juste que ma mère n’aura pas envie de jouer avec Sarah dans sa chambre, car je ne l’ai pas rangée.
Les enfants choisissent des activités moins salissantes tandis que je prépare du thé. J’entends le claquement des talons de ma mère sur le palier avant que la sonnette ne retentisse. Je rectifie : avant que la clé ne tourne dans la porte. Je rêve.
— Bonjour ! appelle-t-elle depuis l’entrée.
Grimace en place, je la rejoins. Foulard Hermès, sac Vuitton, manteau Max Mara, haute joaillerie, carré argenté fringant, tout y est. Madeline Harper dans toute sa splendeur.
— Maman, je t’ai donné un double des clés pour avoir accès à l’appartement seulement quand je ne suis pas là, tu vois ce que je veux dire ?
— Non, je ne vois pas. Je ne voulais pas te déranger, ça t’évite de bondir quand je sonne.
Elle m’embrasse, je lève les yeux au ciel et ne renchéris pas. Inutile de lui expliquer que c’est beaucoup moins impactant de se lever pour ouvrir sa propre porte d’entrée plutôt que d’avoir quelqu’un qui pénètre chez soi n’importe quand. Même si ce quelqu’un s’avère être sa mère — surtout dans ce cas précis, en fait.
Afin d’arranger ma bonne humeur, elle porte des paquets, contenant sans aucun doute des cadeaux pour mes enfants. Ils sont trop gâtés. Ce n’est pas parce que nous sommes à l’aise financièrement que nous devons les ensevelir sous les présents. J’aimerais leur inculquer la valeur de l’argent.
— Maman, on avait dit plus de cadeaux jusqu’à l’anniversaire d’Ethan le mois prochain.
J’ai l’impression que les rôles sont inversés : j’utilise un ton de voix irrité et épuisé qui conviendrait plus à un parent qui gronde sa fille plutôt qu’à un fils qui réprimande sa mère.
— Oh, arrête de faire ton rabat-joie. Je gâte mes petits-enfants si j’en ai envie. Et tu as les cheveux trop longs, mon chéri.
Sur la pointe des pieds, elle les ébouriffe avant de me laisser en plan dans le hall. Elle bat son record, je pense, aujourd’hui. Moins de deux minutes après son arrivée, elle m’exaspère déjà. Je la suis dans le salon. Elle embrasse Sarah et Ethan, qui ont tout de suite remarqué les gros sacs en papier. Ils ne répondent donc pas aux questions de leur grand-mère sur leur journée jusqu’à présent.
Après le grand déballage, elle me rejoint côté cuisine, où j’essaie de me souvenir comment elle prend son thé.
— Laisse-moi faire, me somme-t-elle, sa main doucement posée sur la mienne.
Elle me jette des regards par en dessous tout en s’affairant. Je sais ce qu’elle va dire.
— Tu dois faire plus attention aux vraies personnes, mon Sebastian. Plus qu’à celles dans tes superbes tableaux. Voilà pourquoi Emily est partie.
Pas exactement. C’est surtout parce qu’elle couchait avec son collègue — élément dont ma mère n’a pas connaissance. Je soupire et ne réplique rien à part la creuse promesse d’essayer.
Elle a très mal pris mon divorce. Je lui ai pourtant juré que je n’allais pas répéter le même schéma que mon père. Il s’est vite remarié et a eu une fille, qui, soi-disant, est la prunelle de ses yeux. C’est douloureux. Pourquoi cette sœur, que je connais à peine, plus que Nicholas et moi ? Notre père a-t-il un cœur de taille si limitée qu’il ne peut le partager de manière équitable entre tous ses enfants ?
Si j’ai d’autres enfants un jour - rien n’est moins sûr —, je les aimerais de la même façon qu’Ethan et Sarah. À la folie. D’un amour inconditionnel. Comme j’aimerais cette femme hypothétique qui croisera peut-être ma route bientôt.
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Emma J. Clark
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Marie Andree
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Il y a 2 mois
WildFlower
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Jill Cara
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Emma Chapon
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Eleanor Peterson
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Marie Andree
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Il y a 3 mois