Fyctia
Un Noël peu ordinaire
Elle était amoureuse de lui depuis l'adolescence. Tout petite déjà, elle avait l'habitude de le voir chez eux. Il parlait « affaires » avec son père. Elle l'avait toujours trouvé gentil. Il lui apportait des paquets de bonbons. Il ne lui prêtait pas plus d'attention que cela le reste du temps. Elle les entendait parler jusque tard dans la nuit. Elle s'endormait bien après l'heure de son coucher, bercée par leurs chuchotements. Sur la table s'amoncelaient les bouteilles de bières et les parts de pizzas refroidies.
Sa présence ne l'intriguait pas, il faisait un peu partie de la famille. À l'époque, il enchaînait les stages en mécanique, ne parvenait pas à décrocher un contrat qui lui permettrait d'être à l'abri du besoin.
Marielle était élevée par son père depuis que sa mère était partie avec un autre homme et n'avait plus donné signe de vie. Cela s’était produit le lendemain de Noël.
La veille, autour d’un petit repas chaleureux dans leur appartement de banlieue, ils avaient ri, chanté, et avaient ouvert leurs cadeaux au moment du dessert.
Sa mère, belle et élégante dans sa robe de velours, son cou orné d’un joli collier, avait embrassé son père. Il lui avait offert le manteau aperçu dans une vitrine quelques jours auparavant. Elle adorait son col en fausse fourrure, ses poches brodées, son tissu moelleux et chaud. Ce serait son préféré, certainement.
Ses yeux pétillaient de joie. Elle avait l’air heureuse. Elle était sortie sur le balcon pour fumer une cigarette. On entendait des éclats de voix, de la musique dans tous les autres appartements. La nuit était claire et fraîche. Rien ne laissait présageait ce qui arriva le lendemain.
Elle se demandait chaque jour pourquoi elle avait été privée de l'amour de sa mère. Qu'avait-elle fait pour être ainsi abandonnée ?
Son père, carrossier, travaillait dur pour lui offrir tout ce dont elle avait besoin, conscient qu'il ne pourrait jamais compenser l'amour d'une mère.
Ainsi son enfance ne fut pas désagréable, sa passion, la danse, remplissait sa vie. Des posters de danseuses couvraient les murs de sa chambre, son armoire regorgeait de tutus, de chaussons et de boléros.
Elle intégra le prestigieux Centre de la Danse à huit ans, pour la plus grande fierté de son père, car la sélection était rigoureuse. Marielle avait le profil parfait : droite, sérieuse, passionnée, ponctuelle. Depuis le départ de sa mère, elle s'était forgée une carapace qui, de l'extérieur, pouvait la faire passer pour hautaine et froide.
Elle allait à l'essentiel, poursuivait son but inlassablement, et la plupart du temps, seule. Elle comptait ses amis sur les doigts de la main.
Un jour, à treize ans, à la fin d'un entraînement, elle se trouvait dans les vestiaires, après avoir pris une douche, quand un des danseurs faisant partie du groupe « Prestige », les quinze-dix-huit ans, la ceintura violemment, et l’embrassa. Surprise, elle n’avait pas réagi, ni même osé crier :« Non ! ». Elle ne pouvait rien faire malgré son désarroi, sa rage. Elle ne le connaissait pas, il l'avait sûrement épiée, suivie. Elle ne s'était doutée de rien.
Soudain il s'était arrêté, avait relâché sa pression sur elle, la laissant respirer. Elle le vit traîné par terre, tiré par le col par un Léo furieux, les yeux révulsés, le poing prêt à donner une bonne leçon à l'agresseur.
C'était le père de Marielle qui, habituellement, venait chaque soir la chercher à la fin des cours. Mais cette fois-ci, occupé à l’atelier, il avait demandé à Léo de lui rendre ce service.
Ce jour-là avait marqué un tournant dans sa vie adolescente. Léo était devenu plus qu'un ami de la famille : son sauveur. Depuis ce jour, leur relation avait changé. Marielle le regarda d’une manière différente, commença à s’intéresser à lui.
Leurs yeux se découvrirent l'un l'autre, leurs gestes furent plus affectueux.
Malgré son jeune âge, elle découvrait l'amour et en avait un peu honte. Elle dissimula pendant des mois ses sentiments, n'en parla à personne. Comment le dire à son père ?
Ainsi Marielle découvrit un homme attentionné, présent, à l'écoute. Quelques mois s'écoulèrent avant que Léo annonce à son père ce qu'il ressentait pour elle. Passé le premier étonnement, leur liaison continua à prendre de l'ampleur. Elle était pudique, mais osait quelques caresses. Faire l'amour ne l'effrayait pas, mais elle prit son temps, Léo fut patient. Elle lui plaisait tant.
À treize ans, sa toute jeune vie en plein essor, elle ne connaissait rien à l'amour. Pas de mère pour la conseiller ou la guider. Pas d'amie assez intime pour partager ses premiers émois. Pour s'informer, apporter des réponses à ses questions et satisfaire sa curiosité, elle se procura quelques ouvrages à la bibliothèque. Elle avait envie de savoir, tout simplement.
Ses relations avec son père étant empreintes de retenue, ses interrogations restaient la plupart du temps sans réponse. Elle géra seule les soucis liés aux premières règles et à l'organisation que cela demandait pour être performante à la danse quelles que soient les circonstances.
Ses copines chuchotaient dans les vestiaires, échangeaient des photos de garçons. Elles se montraient parfois, à la fin de cours, les vidéos des danseurs dont elles rêvaient.
Certaines avaient déjà un petit copain. En général, il faisait partie du Centre de la Danse.
La création d’une chorégraphie rapprochait deux corps, mais aussi deux âmes. C'était naturel, évident et très bien vu.
Marielle, elle, n'accordait que peu d'importance aux garçons qu'elle côtoyait, elle n'était pas attirée par les jeunes boutonneux à la voix qui mue. Ce qui était le cas de Jonathan, son partenaire depuis l'adolescence. Leurs efforts avaient maintes fois porté leurs fruits. Ils avaient rapporté des coupes, s'étaient souvent classés dans les trois premiers lors des concours régionaux. Ils représentaient l’élite de leur école.
Mais ce qui intéressait Marielle avant tout, c'était progresser individuellement. Elle souhaitait présenter seule un enchaînement, pour qu'enfin elle accède à la formation de l'opéra et à ses majestueux spectacles.
Ses objectifs ? Être au centre de l'attention, éblouir les spectateurs, épater son entourage, gagner le premier rôle, devancer tous les autres. Une ambition dévorante qui ne laissait pas de place aux sentiments.
Jonathan n'était que le moyen d'y parvenir.
3 commentaires
cornelie
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Il y a 6 ans
cornelie
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Il y a 6 ans
AlienLikeU
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Il y a 6 ans