Pjustine Coeurs en équilibre Les fantômes du passé

Les fantômes du passé

La porte se referme doucement derrière moi et la pièce se dissocie du reste de l'hôpital. Les murs épais absorbent l'espace et créent une atmosphère presque claustrophobe. Mamie Elizabeth est là, allongée dans son lit, enveloppée d'une couverture vert pâle et éthérée. Elle paraît presque fantomatique sous la lumière implacable des néons.


Je m'approche, mes pas lents et hésitants résonnent dans le silence de la chambre. Mon esprit s'égare un instant puis je me mordille la lèvre, incertaine. Elle semble si fragile, si vulnérable dans ce lit d'hôpital et pourtant, son regard reste fixe et acéré. Il me scrute, me déchire presque. Elle sait déjà tout, décèle chaque non-dit. Elle a tout vu, tout ressenti. Une sensation de malaise m'envahit. Je n'ose pas commencer, pas tout de suite. Le silence se fait lourd, dense, presque insoutenable. Puis, dans un souffle léger, elle brise enfin la tension.


- Tu veux bien que je te prenne la main ? me demande-t-elle, l'air de rien.


Je m'assois sur le fauteuil, tout près d'elle, et, sans un mot, je pose mes doigts sur sa main tremblante. La chaleur de sa peau me réchauffe un peu mais sous cette douceur persistante, il y a cette douleur sourde, profonde, qui ne cesse de grandir. Je l'ai entraînée dans cette folie, ce tourbillon insensé dont elle n'a jamais voulu. Je l'ai arrachée à son havre de paix, à son quotidien sécurisant. Et voilà où nous en sommes aujourd'hui. Elle, allongée là, silencieuse, dans une chambre d'hôpital stérile et me regardant avec ses yeux qui ont tout vu, tout compris, tout enregistré. Moi, perdue dans un enchevêtrement de culpabilité et de remords, accablée par tout ce que j'ai fait, par tout ce que j'ai laissé se produire.


- Je suis tellement désolée, je commence, la voix presque étranglée, chaque mot arraché de ma gorge est une épreuve. Je suis tellement désolée de t'avoir embarquée là-dedans. Je t'ai imposé ce cirque de paparazzis qui ont envahi ta maison, perturbé ton quotidien... Je n'ai pas su te protéger.


Elle serre doucement ma main. Son regard reste calme, profond, inaltéré. Mamie sait ce que je ressens. Elle sait que mes mots sont lourds de remords. Mais elle ne dit rien. Elle attend. Elle attend que je parle et que je mette des mots sur la réalité de ce que nous avons traversé ensemble. Et, peut-être, que je l'assume enfin.


Je souffle et essaye de calmer la douleur qui m'étouffe. Ma respiration est haletante, mes pensées fragmentées mais il faut que je fasse face. Alors, je lui raconte tout. Je lui raconte toute l'histoire avec Edward, les premières photos et les premiers scandales.


- Ils sont venus chez toi, je continue, ces gens qui n'ont aucun respect pour l'intimité des autres et qui transforment ta maison en un cirque, un zoo. Je n'avais aucune idée de l'ampleur que cela prendrait. J'ai prévenu la police et j'espère qu'ils ne reviendront pas...


Je m'interromps, la gorge serrée. Les souvenirs des jours précédents m'assaillent. Je revois les photographes, leurs caméras braquées sur la porte d'entrée, l'agitation dans la rue, les regards perçants des inconnus qui nous observent comme des animaux en cage. C'est comme si toute une foule se tenait là et attendait qu'un signe de ma part vienne alimenter leur soif insatiable de spectacle. Ils ne voient que ce qu'ils veulent voir : l'image, l'apparence. Rien de ce qui est réel, de ce qui se cache derrière. La douleur. La honte. La peur.


- Si tu préfères, je peux repartir pour Seattle dès demain, lâché-je, d'une voix plus faible.


Je ne regarde pas sa réaction, je ne veux pas la voir. Pas maintenant. La culpabilité m'écrase tellement que je ne suis même plus sûre de vouloir rester, de mériter de rester près d'elle. Mais avant même que mes pensées ne se dissipent, je sens la pression de sa main ferme sur la mienne.


- Ne raconte pas de sottises, me dit-elle avec une douceur inflexible. Reste encore un peu avec moi, ma chérie.


Elle me regarde fixement, puis, lentement, elle détourne son regard vers la fenêtre, vers l'au-delà, où la lumière se fait plus douce. Un silence pesant s'installe de nouveau entre nous. Il est lourd de non-dits, de douleurs enfouies, d'un passé que je refuse d'affronter. Je sais qu'il y a des choses qu'elle voudrait dire, des souvenirs qu'elle voudrait partager mais je les redoute. Il y a des sujets qui, même après toutes ces années, restent intouchables. Et pourtant, son regard, doux mais pénétrant, me fait comprendre que nous n'échapperons pas à l'inévitable. Ce poids qu'elle porte depuis si longtemps, qu'elle a toujours porté, me frôle.


- Tu veux que je te parle de ton père ? dit-elle enfin.


Je me fige. Mon corps se tend et mes doigts se crispent sur sa couverture. Je n'arrive pas à la regarder. Les mots qu'elle vient de prononcer me lacèrent. Un instant, j'aimerais pouvoir fuir, partir, m'échapper de cette chambre, de cette situation. Mais je reste là, incapable de bouger, captive de ce qu'elle va dire, de ce qu'elle sait, de ce qu'elle a vu.


- Je ne pense pas que ce soit le meilleur moment, réussis-je à dire dans un souffle, mes lèvres serrées.


- Il est mort, continue-t-elle, sans la moindre hésitation. Tu sais, il m'a fallu beaucoup de temps pour accepter... tout cela. Tout ce qu'il a vécu, tout ce qu'il a souffert, tout ce qu'il a voulu cacher.


Je frémis. Le malaise se fait plus palpable et un poids invisible s'abat sur ma poitrine. Je n'ai jamais voulu parler de ça. Jamais. Ni avec ma grand-mère. Ni avec Margaret. Ni avec qui que ce soit. C'est une partie de mon histoire que j'ai enfouie profondément. Un abîme que je refuse de regarder. Un abîme qui me terrifie.


- Je ne veux pas en parler, murmuré-je, ma voix brisée.


Et malgré ma protestation, mamie Elizabeth se penche légèrement vers moi et m'invite à écouter, à accepter ce qu'elle a à dire.


- Je sais, tu détestes ce sujet, tu te détestes d'en parler. Mais parfois, il faut parler des choses, Amélia. Il faut qu'on accepte le passé sinon il nous dévore.


Je ferme les yeux un instant et tente de bloquer le flot de souvenirs. Les images de mon père, de son visage marqué par les années, par les épreuves. Et puis l'inévitable, la chute brutale. La disparition, le vide. Le suicide de mon père. Tout s'effondre. L'horreur de l'instant où l'on découvre qu'un proche, celui que l'on croyait immortel, a décidé de quitter ce monde de façon définitive.


- Je sais, je souffle finalement, ma voix presque inaudible. Je sais que ça me dévore, mais je ne peux pas en parler, pas maintenant.

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10 commentaires

lorrely

-

Il y a 3 mois

À jour 🌷

CécileIsabelleK

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Il y a 3 mois

Hop, je suis à jour 8D! Je commenterai un peu plus tard

IvyC

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Il y a 3 mois

🔥

Zatiak

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Il y a 3 mois

Hop je suis à jour et petit coup de pouce pour t'aider ! ✨

Renée Vignal

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Il y a 3 mois

📖📚

Anaïs Tehci

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Il y a 3 mois

🥰

Salma Rose

-

Il y a 3 mois

🌹🌹

NICOLAS

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Il y a 3 mois

🤩🫶💕

TammyCN

-

Il y a 3 mois

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