Fyctia
Peace Island Medical Center
Je suis assise sur une chaise en plastique, le corps épuisé, les muscles ankylosés par l'attente. L'odeur âcre du désinfectant me prend à la gorge, sans que j'y prête attention. L'air est froid, presque glacial, et chaque inspiration semble mordre mes poumons. Autour de moi, des bruits faibles mais constants remplissent l'espace : les roues des chariots des infirmières qui glissent sur le linoléum, le chuintement des chaussures qui se déplacent dans les couloirs, les murmures des voix derrière les portes closes. Des voix lointaines, indistinctes et persistantes résonnent d'une manière presque incessante.
Je n'ose pas bouger. Chaque geste me semble trop bruyant, trop intrusif. La moindre perturbation risquerait de briser l'équilibre fragile de ce lieu. Le hall est lumineux, presque agressif dans sa clarté. Des néons blancs crépitent au-dessus de ma tête et des tubes lumineux intégrés au plafond diffusent une lumière crue et implacable. Les murs, d'un blanc éclatant, se fondent sans transition dans le plafond et créent une sensation de continuité infinie, un espace sans fin. Par moments, je me perds dans ce vertige lumineux et je cherche un point de fuite dans cet espace sans relief. Mais il n'y a rien. Pas une ombre, pas un repli dans lequel se cacher. L'atmosphère est aseptisée, clinique et froide. Il n'y a pas de place pour la chaleur, pas d'espace pour les émotions brutes. Tout est contrôlé, organisé, méticuleusement ordonné. C'est un endroit où l'on fait entrer des corps mais où l'on oublie parfois de prendre soin des âmes.
Le sol est d'un gris pâle, légèrement rayé, usé par le passage incessant des gens. Il a l'air solide, indestructible, comme si rien, ni personne, ne pouvait le marquer. Pourtant, il porte le poids du quotidien, du stress et des douleurs accumulées qui se traînent entre ces murs. Les cloches des chariots résonnent parfois. Les infirmières, toutes en blouse blanche ou bleue, se déplacent d'un patient à l'autre, leurs pas discrets mais déterminés. Leurs visages sont fermés, concentrés sur la tâche, sur l'urgence qui ne s'arrête jamais ici.
L'agitation de l'hôpital se mélange avec les visages des patients, figés dans une immobilité douloureuse. Des visages crispés par la douleur, des regards perdus, des yeux qui fixent l'horloge sans jamais la voir. Une vieille femme, allongée sur un lit dans un coin de la pièce, a les yeux fermés mais ses mains tremblent, repliées sur sa couverture. Je vois un homme âgé, à l'autre bout du hall, qui essaie de se lever mais son corps semble le trahir et ses jambes vacillent sous le poids de la maladie. Les bruits des appareils médicaux se confondent aux sons des respirateurs. Le bip régulier des moniteurs rythme le silence de l'hôpital d'une manière presque angoissante. Le cliquetis des seringues qu'on insère dans les bras, le bruit sec des compresses qui sont changées, chaque son semble capturer l'instant d'une vie en suspens.
Le temps ici est une abstraction. Un fil ténu qu'on perd parfois de vue, absorbé par les battements réguliers des machines, le balai incessant des soignants, les visites qui défilent sans jamais se croiser. J'ai l'impression que les murs, eux aussi, s'étiolent sous le poids de cette présence constante. Ils absorbent tout : la douleur, l'espoir, le découragement, les rêves brisés. Chaque instant passé ici semble étirer la réalité, une éternité en soi, une lente accumulation de secondes qui s'effritent et s'effacent dans l'oubli.
Les portes des chambres s'ouvrent et se ferment sans bruit. Un mécanisme invisible relie une pièce à la suivante. À chaque ouverture, une brève explosion de lumière et d'air frais s'infiltre dans l'atmosphère moite et confinée du couloir. Un couple passe devant moi, la femme semble lutter contre les larmes tandis que l'homme, le visage pâle et fatigué, essaie de lui parler. Leur conversation se noie dans l'effervescence ambiante. Chaque regard échangé semble être un aveu, un besoin désespéré de trouver un peu d'humanité dans cet endroit où la souffrance se fait discrète, où l'on apprend à taire ses peurs pour ne pas troubler l'ordre du lieu.
Je regarde autour de moi, presque sans le vouloir. Les sièges en plastique sont alignés le long des murs, des objets utilitaires placés là pour les moments où l'on attend. Là où la fatigue vous submerge et où le corps semble se fondre dans l'indifférence de l'espace. Certaines personnes somnolent, d'autres restent figées dans l'incertitude, et pourtant, malgré cette atmosphère lourde, il y a quelque chose de profondément humain dans ce lieu. Ce n'est pas juste un hôpital. C'est un endroit de lutte, de résistance, de survie. Parce qu'ici, chaque minute compte et chaque souffle est une victoire.
Au fond, une grande horloge murale marque lentement les heures et je me rends compte que je n'ai pas bougé depuis un long moment. Le tic-tac s'entrelace avec le rythme des appareils, un écho à la fragilité de l'existence.
Mamie Elizabeth est là, derrière la porte, et je devrais être heureuse. Heureuse qu'elle aille mieux. Pourtant, à l'intérieur, quelque chose m'étouffe et m'écrase. Je me redresse dans ma chaise, mes mains crispées sur le dossier. Une fois de plus, je suis consciente de la folie de ces derniers jours. L'instant où tout a basculé, le chaos des photographes devant la maison, les questions incessantes, les regards envahissants. Et au milieu de tout cela, mamie. Fragile, vulnérable mais tellement solide dans sa manière de m'aimer et de me soutenir. Je l'ai laissée dans un état de panique, d'inquiétude, je lui ai imposé ce qu'elle déteste le plus : la pression d'un monde qui ne respecte rien. La culpabilité m'étreint et ne me quitte plus. Toute cette histoire est si surréaliste...
Je pousse la porte avec douceur, mes pieds se posent sur le sol avec précaution. Le moindre faux mouvement pourrait déranger l'équilibre fragile qui se crée ici, dans cette chambre d'hôpital. Quand elle me voit, son visage s'éclaircit. Elle sourit, un sourire lumineux qui fait disparaître une partie de l'angoisse que je porte en moi.
- Ah, ma poupette, tu es là ! s'exclame-t-elle, sa voix vibrante d'émotion.
Je l'entends maintenant, sa voix, douce mais forte, qui perce l'air et m'arrache à mes tourments. Elle me dit qu'elle va mieux, que tout va bien, mais je sais que ce n'est pas aussi simple. Elle doit encore se reposer, se remettre de ce choc, des événements qui l'ont frappée avec une violence qu'elle n'a pas méritée. Elle a l'air si calme, assise là, sa couverture posée sur ses genoux, son regard brillant d'une sagesse tranquille. Pourtant, j'ai envie de pleurer. C'est absurde, j'en ai conscience, mais je ne peux pas empêcher cette boule de douleur dans ma gorge.
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Popimrc
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Il y a 3 mois
IvyC
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Il y a 3 mois
Aline Puricelli
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Il y a 3 mois
Salma Rose
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NATEY
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TammyCN
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Sofia77
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Alyssa Well
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lorrely
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Il y a 3 mois
Anaïs Tehci
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Il y a 3 mois