Fyctia
Les couleurs de la résilience
Le lendemain matin, le soleil s'impose au-dessus de Friday Harbor et inonde la ville de lumière. L'éclat de ce jour semble presque insolent, un contraste criant avec la lourdeur de ce que j'ai ressenti hier. Pourtant, je décide de m'y accrocher. Aujourd'hui, je refuse de m'attarder sur les mots cruels, sur l'humiliation ou sur les regrets. Edward Johnson a eu son moment de gloire. Mais ce chapitre est terminé. Une page blanche m’attend et j’en suis la seule auteure. Je reprends les rênes de ma vie et rien ni personne ne m'arrêtera.
Je me redresse sur le lit, ma respiration déjà plus stable qu'elle ne l'a été depuis des heures. D'un geste machinal, je repousse les draps puis me lève pour affronter mon reflet dans le miroir. Les contours de mon visage sont fatigués et mes yeux portent encore les ombres d'une colère qui n'a pas totalement disparu. Mes traits, habituellement détendus, trahissent les vestiges d'une nuit agitée. Mais il y a autre chose. Quelque chose de nouveau. Un éclat dans mon regard, un feu que je n'avais jamais perçu avant cet instant. Une sorte de détermination, une force intérieure prête à être libérée, presque sauvage, presque féroce.
Je passe une main dans mes cheveux et arrange distraitement quelques mèches rebelles. Chaque mouvement, chaque souffle que je prends est une déclaration silencieuse : je ne resterai pas enfermée ici à ressasser ce qui est déjà passé. Je refuse de devenir prisonnière de ma propre histoire. Ce sentiment naissant, je veux le saisir, le transformer en quelque chose de tangible.
J'ouvre grand les fenêtres et laisse l'air frais s'engouffrer dans la pièce. Le vent s’infiltre avec une vivacité surprenante et soulève les rideaux. Il porte avec lui les parfums iodés de la mer, mêlés à des effluves de pinède et de terre humide. Une symphonie olfactive qui semble me murmurer d'avancer. Cela me revigore et chaque inspiration balaye un peu plus le poids de la veille.
Quand je descends dans la cuisine, je trouve Margaret déjà installée. Elle est assise à la table, une cuillère dans une main, son téléphone dans l'autre. Son expression concentrée contraste avec le bol de céréales presque intact devant elle, elle semble avoir oublié de manger. Je toussote légèrement pour signaler ma présence. Elle lève les yeux et son expression inquiète se heurte à la fermeté de mon regard.
- Toi, tu as l'air d'avoir une idée en tête, me lance-t-elle, ses lèvres esquissant un sourire prudent.
Je m'appuie contre le chambranle de la porte, croise les bras, puis je déclare avec assurance :
- Une promenade. On va sortir, marcher jusqu'au port. Je veux respirer l'air marin, écouter les vagues, voir autre chose que ces quatre murs. Et surtout, je ne veux plus entendre parler d'Edward Johnson aujourd'hui. Ni demain. Ni aucun autre jour. C'est clair ?
Margaret arque un sourcil, visiblement surprise par mon ton catégorique, mais elle finit par éclater d'un rire franc.
- J'aime cette énergie ! s'exclame-t-elle en se levant d'un bond. Donne-moi cinq minutes pour me préparer et on y va.
Pendant qu'elle disparaît dans le couloir, je me sers une tasse de café. La première gorgée brûle légèrement ma langue mais la chaleur intense est étrangement réconfortante. Je fixe un instant le jardin à travers la fenêtre. Le vent joue doucement avec les branches des arbres et les oiseaux chantent, indifférents. Tout semble si paisible dehors, si simple. Un moment suspendu. Une pause, avant la reconstruction. Une simplicité dénuée de complications, de masques ou de non-dits.
Margaret revient rapidement et noue ses cheveux en un chignon désordonné.
- Prête ? demande-t-elle en saisissant son sac à main.
- Plus que jamais, dis-je en souriant.
Nous quittons la maison et la lumière du matin nous accueille avec une intensité presque aveuglante. L'air est vif et salé, un rappel constant que la mer n'est jamais loin à Friday Harbor.
La petite ville s'anime doucement autour de nous. Les habitants ouvrent leurs boutiques, les rideaux métalliques grincent alors qu'ils se relèvent. Une femme âgée, un arrosoir à la main, soigne ses géraniums rougeoyants. Un boulanger sort des plateaux de pains encore fumants de son four. L’odeur des croissants beurrés flotte dans l’air, mêlées à celles des pins et de l'océan.
- Tu sais, commence Margaret, rompant le silence alors que nous avançons dans la rue principale, je ne pensais pas que tu te remettrais aussi vite de tout ça.
- Oh, crois-moi, je suis loin d'avoir tout digéré, admets-je en haussant les épaules.
- Tu es beaucoup trop incroyable pour te laisser abattre par un gars comme lui.
Sa remarque me fait sourire. C'est peut-être un compliment exagéré mais dans l'instant, il a l'effet d'un baume. Nous continuons de marcher, nos pas résonnent sur les pavés irréguliers, alors que le port se dévoile peu à peu devant nous.
Soudain Margaret m'attrape par le bras et avant que je ne puisse protester, elle m'entraîne vers un petit étal où un vieil homme expose des bouquets de fleurs sauvages. Les couleurs explosent devant mes yeux : des jaunes dorés, des bleus délicats et des rouges intenses. Les fleurs sont un mélange d'espèces locales.
- Sens ça, dit Margaret en approchant un bouquet sous mon nez.
J'inspire profondément et une vague de parfums frais et légèrement sucrés envahit mes sens. L'odeur est un rappel de la simplicité et de la beauté du monde naturel. Je ferme les yeux et savoure l'évasion qu'elle procure.
Le port de Friday Harbor s'ouvre devant nous, vaste et baigné dans une lumière dorée. Les rayons du soleil dansent sur l'eau et transforment la surface en un kaléidoscope scintillant. Les bateaux amarrés, d'antiques voiliers aux coques en bois verni, se balancent doucement. Des filets de pêche pendent ici et là. Les mouettes survolent les lieux, leurs cris aigus se mêlent au bruissement des vagues et au grondement lointain des moteurs de bateaux.
Nous longeons les quais en silence. Une nouvelle fois, les odeurs se mélangent. L'iode de la mer, la résine des cordes et l'arôme chaleureux de café qui s'échappe des petites terrasses qui bordent le port. Des enfants courent accompagnés de leurs rires cristallins. Ils s'arrêtent parfois pour observer les crabes qui s'aventurent sur les rochers, fascinés par ce petit monde marin.
La mer s'étend à l'horizon. Aujourd'hui, je ne regarde plus en arrière. Aujourd'hui, je choisis de marcher droit devant moi.
8 commentaires
Marine Dargon
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Il y a 4 mois
Anaïs Tehci
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Il y a 4 mois
NICOLAS
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Il y a 4 mois
aurora.R
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IvyC
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Il y a 4 mois