Fyctia
Sous la surface
Je proteste une nouvelle fois mais il ne cède pas. Son regard à la fois mi-ferme, mi-taquin, m'enjoint à obéir. Il est clair que dans cette situation, c'est lui qui mène la danse. Un frisson d’excitation me traverse mais je me contente de me lever et de retourner m'installer sur le canapé. Je l'observe en silence. Il se tourne alors et c'est à cet instant qu'il trébuche légèrement sur le tapis. Son pied s'accroche à la frange du tapis et il manque de tomber. Il se rattrape de justesse, une main agrippant le dos d'une des chaises en osier pour retrouver son équilibre. C'est une scène un peu maladroite, presque comique. Après m'être assurée que tout aille bien, j'étouffe un rire. C'est un rire furtif, léger, sincère presque libérateur. Un instant d'humanité.
- Il faut croire que je ne suis pas fait pour les gestes héroïques, dit-il en se redressant, un sourire en coin et comme si l'incident n'avait jamais eu lieu.
Quand il revient avec deux verres de vin rouge, je remarque une goutte qui roule le long du verre jusqu'à son doigt. Il l'essuie distraitement mais je vois l'ombre d'un froncement sur son visage.
- À quoi on trinque ? demande-t-il en levant son verre.
Je réfléchis un instant avant de répondre.
- À de nouveaux départs, réponds-je finalement.
Il semble surpris une seconde, il ne s’attendait pas à cette réponse.
- Aux nouveaux départs, alors.
Nos verres s’entrechoquent, un tintement léger mais presque solennel dans le silence de la pièce. Le vin, d’un rouge profond, caresse mes lèvres, son goût riche et complexe envahit ma bouche.
- Tu crois vraiment à ça ? demande-t-il soudainement, son regard fixé sur moi, une lueur de défi dans les yeux.
Je le fixe, intriguée par la question. Il semble plus sérieux, moins détaché.
- À quoi ?
- Les nouveaux départs. Comme si on pouvait effacer ce qui a été fait et recommencer à zéro, dit-il, sa voix teintée d’un scepticisme évident.
Sa question est un piège, je le sens. Je sais qu’il cherche à voir si je vais céder à sa vision, si je vais lui offrir une réponse facile.
- Ce n’est pas une question d’effacer. C’est une question de réapprendre. De trouver une autre façon de vivre avec ce qu’on a perdu, dis-je, me sentant presque plus forte en prononçant ces mots. Mon cœur bat plus fort, une détermination nouvelle se forme dans ma voix.
Il hoche lentement la tête, son regard fixé sur moi. Il semble peser chaque mot et cherche à comprendre ce que je viens de dire.
- Intéressant. Mais parfois, ce qu’on perd nous change à jamais. Et on ne peut pas revenir en arrière, dit-il, son ton plus grave.
Une ombre d’expérience traverse ses yeux, ce qu’il dit n'est pas simplement une opinion mais un fait qu’il semble avoir appris à la dure.
Je déglutis et me sens soudainement vulnérable sous la profondeur de ses paroles. Il touche un point sensible. Mais je refuse de lui offrir cette victoire. Je redresse les épaules, décidée à ne pas flancher.
- On ne revient pas en arrière, Edward. On avance, dis-je, presque défensive.
Et pour que ses mots ne me touchent pas plus que nécessaire, mon regard défiant est ancré dans le sien.
Son sourire disparaît alors, remplacé par une expression plus sombre, indéchiffrable. Il devient plus distant, plus froid. Il est plus difficile à lire que je ne le pensais.
- Et toi, tu avances ? demande-t-il enfin, attendant une réponse plus personnelle, plus réelle.
La question claque dans l'air et je sens mon corps se raidir. Edward a changé de ton, il me pousse vers un endroit plus intime, plus difficile.
- J’essaie, dis-je, ma voix plus basse, presque murmurée.
Il laisse échapper un petit rire. Un rire qui ressemble plus à un constat. Sans joie.
- Essayer, c’est déjà quelque chose, dit-il.
Il a raison. Essayer, c’est déjà quelque chose. Mais est-ce suffisant ? Je me demande soudain si "essayer" est une excuse pour ne pas vraiment avancer. Je ne peux pas m’empêcher de m’interroger sur cette phrase. Peut-être qu’essayer est tout ce que je peux faire pour le moment.
Une ombre glisse sur ses traits. Pour la première fois ce soir, je le sens vulnérable.
- Et toi ? demandé-je, saisissant l'opportunité. Tu avances ?
Il y a une vérité que j’ai besoin de savoir. Lui aussi porte son propre fardeau, je le sens. Mais il n’en parle jamais. Il se cache derrière des sourires et des blagues, derrière des airs de savoir et de maîtrise, mais je sais qu’il cache quelque chose.
Il semble hésiter un instant, joue distraitement avec son verre et évite délibérément mon regard.
- Peut-être, dit-il enfin, avec un ton qui me laisse perplexe.
- Ce n’est pas une réponse, rétorqué-je, un peu frustrée par son évasion.
Son sourire en coin revient, mais cette fois, il semble forcé.
- C’est tout ce que tu auras ce soir, dit-il d’une voix tranquille.
Il y a bien quelque chose qu’il cache. Quelque chose de lourd, peut-être plus que ce que je suis prête à entendre. Je le regarde et l'observe avec plus d’intensité. Il me déroute. Il est comme un livre dont les pages restent toujours inaccessibles.
- Tu es énervant, tu sais ? lâché-je, plus pour détendre l'atmosphère qu'autre chose.
- On me le dit souvent.
Je ris mais c’est une tentative vaine de masquer l’anxiété qui monte en moi.
- Bon Edward, qu'est-ce qui c'est passé pour que tu viennes t'isoler ici et pourquoi as-tu du mal à écrire ? demande-je enfin, décidée à obtenir une réponse plus profonde.
Il se fige pendant un instant, la question semble l'avoir frappé de plein fouet. Il pose son verre sur la table basse et se laisse aller contre le canapé. Ses yeux se perdent dans le vide et pendant un moment, je crois qu’il ne va rien dire. Et puis, lentement, il commence à parler.
Ce soir, je ne suis plus aussi certaine d'être seule face à mes blessures.
Peut-être qu'au milieu des ruines laissées par Jack, il y a encore quelque chose à construire. Peut-être qu'Edward est une partie de cette reconstruction.
9 commentaires
lorrely
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Il y a 4 mois
NICOLAS
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Il y a 4 mois
Pjustine
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Il y a 4 mois
EvaBerry
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Pjustine
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Angie_fallen
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Il y a 4 mois
Pjustine
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Il y a 4 mois