Pjustine Coeurs en équilibre Sous le magnolia

Sous le magnolia

Je ne peux pas me concentrer. Les mots de ces articles se superposent dans ma tête, lourds et assourdissants. Ils tournent, se percutent comme les pièces d'un puzzle que je n'arrive pas à assembler. Chaque mot, chaque phrase m'assaillent avec une brutalité inattendue. Ils décrivent quelque chose que je n'ai pas choisi, quelque chose qui m'échappe complètement.


Qui est cette fille sur les photos ? Est-ce vraiment moi ?


Les questions tournent en boucle, implacables. Mon propre reflet dans la vitre de la cuisine me paraît étranger. L'idée que ma vie et mon physique soient scrutés sous toutes ses coutures par des millions de gens m'écrase. Le poids de leur regard imaginaire me cloue sur place. J'ai envie de disparaître, de redevenir une personne sans visage ni histoire. Je ferme les yeux un instant. Soudain, une pensée intrusive me happe : comment ces photos ont-elles été prises ? Par qui ? Et pourquoi ? Une crainte diffuse s'installe en moi, celle d'être surveillée. Piégée par des objectifs qui volent des fragments de ma vie.


Un bruit me fait sursauter. Un son familier, apaisant et bouleversant. Une voix. Sa voix. Douce, calme et qui semble porter partout avec lui. Edward.


Je me lève précipitamment mais mes gestes sont maladroits. Mes pieds glissent légèrement sur le carrelage froid alors que j'essaie de me diriger vers la fenêtre. Mes mains s'accrochent au rebord de l'évier, mon souffle se suspend. Il est là, dans le jardin, en pleine discussion avec mamie.


Un instant, je me demande si ce n'est pas mon imagination qui me joue des tours. Peut-être que je l'entends parce que je veux l'entendre. Mais non, c'est bien réel et je reste figée, incapable de bouger. Chaque battement de coeur me rappelle la réalité de ce moment. Non, ce n'est pas une hallucination. Edward est vraiment là, assis sur une des chaises en bois sous le magnolia en fleur. Je ne sais pas ce qu'elle lui a dit ou comment elle l'a invité à rester, mais le voilà installé. Il donne l'impression d'avoir toujours fait partie de ce décor. Mamie, fidèle à elle-même, est rayonnante, complètement à l'aise en sa compagnie.


Je tente de reprendre mon souffle et de calmer les pensées qui s'entrechoquent dans ma tête. Pourquoi est-il ici ? Comment peut-il rester si détendu après tout ce qui se passe ? Je me sens exposée, vulnérable.


Ma grand-mère rit doucement à une remarque qu'il fait. Puis elle se penche vers lui et adopte cette posture qu'elle réserve uniquement aux conversations importantes. Je ne peux pas entendre tout ce qu'elle dit mais le ton est sans équivoque : elle l'interroge, elle le teste. Évidemment. C'est mamie, après tout. Elle doit être en train de le passer au crible. Edward, lui, reste impassible. Ses gestes, mesurés, sa posture décontractée.


Je me décide enfin à sortir. Rester dans la cuisine à écouter à moitié leur conversation ne fera qu'augmenter mon malaise. Alors, je pousse la porte, l'air du jardin m'accueille, chargé du parfum des fleurs.


Mamie m'aperçoit aussitôt et s'exclame avec un enthousiasme qui me dépasse.


- Ah, poupette, te voilà ! Regarde qui est venu nous rendre visite !


Sa voix est légère, comme si tout était normal, comme si Edward Johnson, l'homme que tout un pays semble traquer, n'était qu'un voisin venu prendre un café.


Edward se lève à mon approche et son sourire s'adoucit en me voyant. Mais ses yeux trahissent quelque chose d'autre. Une inquiétude, peut-être ?


- Mia, bonjour, dit-il d'une voix posée, presque trop calme.


- Bonjour, Edward, murmuré-je, incapable de faire mieux.


Les mots sortent, fragiles, inaudibles. Je me hais un peu pour ça. Et pourquoi doit-il toujours me regarder comme si j'étais la seule personne dans son monde ?


Mamie, toujours en pleine effervescence, pointe joyeusement la chaise vide à côté de moi.


- Allez, assieds-toi avec nous ! Je disais justement à Edward que cela faisait bien longtemps qu'on n'avait pas eu un invité aussi charmant dans le jardin.


Charmant est un mot faible. Avec ses cheveux parfaitement coiffés, ses yeux gris et troublants, Edward ne fait pas qu'être charmant, il est... irrésistible.


Edward rit doucement, presque gêné par le compliment. Il se passe une main sur la nuque, son geste est discret.


- Vous êtes trop aimable, madame. Mais c'est un réel plaisir d'être ici. Cet endroit est magnifique, tout comme votre hospitalité.


Mamie se rengorge, visiblement ravie par le compliment. Elle n'est pas du genre à se laisser impressionner mais Edward a clairement un don pour charmer même les esprits les plus aguerris.


- Bon, assez parlé ! Je vais préparer un bon déjeuner. Edward, vous restez bien sûr avec nous, c'est non négociable, ajoute-t-elle avec une fermeté souriante avant de disparaître vers la cuisine.


Je n'ose pas croiser son regard mais je sens le sien sur moi, brûlant, intense. Finalement, je cède, lève les yeux et pendant un instant il n'y a plus rien d'autre. Ni les fleurs qui embaument l'air, ni le soleil qui filtre à travers les branches de l'arbre. Juste lui et moi.


Je déglutis difficilement. Mes yeux se posent sur ses lèvres, pleines, roses, merveilleuses.


- Tu vas bien ? demande-t-il, brisant finalement le silence.


Il ne parle pas fort, mais chaque mot résonne profondément.


- Je... oui, enfin... c'est juste un peu beaucoup, tout ça, dis-je en faisant un geste vague de la main, comme si je pouvais balayer les articles d'un revers de bras.


Edward hoche lentement la tête mais ne répond pas immédiatement.


- Je suis désolé, finit-il par dire. Tout ça, les photos, les articles... ça n'aurait jamais dû arriver.


- Mais ça arrive, Edward. Et je ne sais pas comment gérer ça.


Je n'ai pas l'intention d'être dure mais mes mots sortent plus abruptement que prévu. Il baisse légèrement les yeux et son expression se ferme.


- Je comprends, murmure-t-il, presque pour lui-même. Je suis désolé, répète une nouvelle fois Edward.


Une partie de moi veut le rassurer, lui dire que ce n'est pas de sa faute. Mais une autre, plus fragile, veut crier que rien de tout cela ne serait arrivé si nos chemins ne s'étaient pas croisés. Je reste silencieuse, partagée.


Il inspire, prêt à parler, mais se ravise au dernier moment. Je sens qu'il veut dire quelque chose d'important mais il semble hésiter, choisir ses mots.


Mamie revient et porte un plateau chargé d'une salade du jardin, de légumes frais, de pain et de fromage.


- On en reparlera tout à l'heure, me chuchote-t-il précipitamment.


- Voilà, installez-vous confortablement. Edward, j'espère que vous avez faim, parce qu'ici, on mange bien, annonce-t-elle fièrement.


Il rit et me lance un regard en coin, m'invitant à me détendre.


- Alors, Edward, dites-moi, vous comptez rester dans la région ?

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4 commentaires

Petit Guillaume

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Il y a 4 mois

Un like... je clique ou pas ? :-) Bon bin j'ai cliqué ^^

Pjustine

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Il y a 4 mois

Aha merciii

Camille Salomon

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Il y a 4 mois

J'adore cette mamie, moi ! 😁

Pjustine

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Il y a 4 mois

Vive mamie Elizabeth
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