Fyctia
Équilibre fragile
"Vous semblez tellement différents, mais en même temps, ça marche"
La remarque de Charlotte me prend de court. Légère en apparence, elle s'étire pourtant, insidieuse, jusqu'à occuper tout l'espace et son sourire énigmatique accentue le poids de ses mots. Dois-je sourire, feindre l'indifférence ? Suis-je censée me sentir flattée ? Offensée ? Une vague de malaise me traverse.
Son ton neutre rend sa phrase ambiguë. Que veut-elle dire ? Que je ne suis pas assez bien pour Edward ? Que je ne fais pas le poids face à cet homme charismatique, adulé et dont la prestance éclabousse la pièce ?
Edward reste calme, assis à mes côtés, mais je sens qu'il m'observe du coin de l'œil. Ses doigts jouent distraitement avec la bordure de son verre de vin, une gestuelle à peine perceptible qui trahit sa vigilance.
- Et toi, Amélia, reprend-elle après un silence calculé, tu n'as jamais mentionné cette rencontre, ni... cette relation sur tes réseaux. Pourquoi tant de mystère ?
Je commence à balbutier une réponse, mais Edward intervient, comme s'il avait anticipé l'attaque.
- Peut-être parce qu'elle aime garder certaines choses pour elle, dit-il, son ton léger. Et parfois, ce sont les meilleurs secrets qui restent les plus précieux.
Ses mots sont si habilement choisis que je pourrais presque croire qu'il parle d'un trésor. À cet instant, il transforme ma gêne en quelque chose de moins tangible, presque supportable.
Charlotte esquisse un sourire mais son regard ne me quitte pas. Elle en attend davantage.
Je me redresse légèrement et essaie de puiser une confiance que je ne ressens pas.
- Oh, ne t'inquiète pas, Charlotte, dis-je doucement. Ce n'est pas vraiment un secret, juste quelque chose qui s'est construit loin des projecteurs.
Je sens, de nouveau, le regard d'Edward posé sur moi. Un mélange d'approbation, de soutien et de fierté. Charlotte incline la tête et fait mine de réfléchir. Ses lèvres esquissent un sourire plus large, plus assuré.
- Loin des projecteurs, hein ? répète-t-elle, un éclat malicieux dans les yeux. Mais on ne reste pas loin des projecteurs très longtemps, surtout avec Edward Johnson, je suppose.
Edward éclate d'un rire léger, maîtrisé comme à son habitude.
- Vous avez raison, concède-t-il en plaisantant. Mais pour l'instant, nous nous en sortons plutôt bien. N'est-ce pas, mon amour ?
Un frisson me parcourt, brutal, incontrôlable. Edward vient de franchir une ligne. Il m'appelle "mon amour". Le son de ces deux mots, dits avec une telle fluidité, s'inscrit en moi et mon cœur s'emballe. Je suis partagée entre exaltation et envie irrépressible de disparaître derrière l'imposant canapé.
Mon esprit s'embrouille. Comment dois-je réagir ? Dois-je sourire ? Rire ? Faire mine de rien ? La pièce autour de moi semble se resserrer, les visages s'estompent. Edward me prend la main et la serre légèrement.
Je lève les yeux vers lui. Il me fixe avec une intensité douce comme s'il essayait de m'envoyer un message : "Fais-moi confiance." Mais ce regard contient aussi autre chose, quelque chose que je n'arrive pas à déchiffrer. À ce moment précis, je me rends compte de l'ambiguïté de la situation. Depuis le début de ce "jeu", je m'efforce de jouer mon rôle. Mais qu'en est-il d'Edward ? La chaleur de sa main dans la mienne brouille encore plus la frontière entre vérité et mensonge.
Charlotte s'apprête à relancer le sujet lorsque Mickael entre dans la pièce. Son arrivée est une bénédiction. Avec sa carrure imposante, son sourire chaleureux et son tablier impeccablement noué, il dégage une énergie peu commune.
- Bonsoir à tous ! s'exclame-t-il joyeusement. Alors, c'est vous, Edward Johnson ? On m'a beaucoup parlé de vous depuis tout à l'heure, ajoute-t-il en désignant la cuisine d'un geste du menton.
Edward se lève immédiatement pour lui serrer la main puis engage une conversation cordiale.
- Et vous devez être Mickael, le chef cuisinier en personne, rétorque-t-il avec un sourire amusé.
Sa voix posée et sa prestance transforment l'interaction en un spectacle. Les deux hommes échangent quelques mots cordiaux sur le menu et les saveurs du vin et laissent à l'atmosphère une chance de se détendre. Je respire enfin et profite de cet instant pour tenter de me recentrer. Mais Charlotte ne baisse pas les armes. Alors que Mickael et Edward discutent gastronomie, elle se penche vers moi, son parfum floral envahissant mon espace.
- Il est fascinant, souffle-t-elle, sa voix assez basse pour ne pas être entendue des autres.
Je force un sourire et sens l'étau se resserrer autour de moi.
- Oui, il l'est, réponds-je simplement, les yeux rivés sur Edward.
- Et toi, Amélia ? Tu sembles... différente à présent.
Je sens mes joues s'échauffer mais je m'efforce de rester impassible.
- Oh, tu me connais, Charlotte, je suis restée la même dis-je d'un ton léger.
Elle hoche la tête mais son sourire satisfait me met mal à l'aise. Edward, comme s'il avait perçu la tension, tourne la tête vers nous.
- Tout va bien, ici ? demande-t-il.
Charlotte se redresse immédiatement et arbore un air innocent.
- Absolument, répond-elle dans un éclat de rire. Je ne fais que rattraper le temps perdu avec Amélia.
Edward ne répond rien mais son regard reste fixé sur moi un instant de plus. Ses yeux cherchent quelque chose. Une confirmation peut-être ? Un signe que je tiens bon ? Je lui adresse un sourire discret et espère qu'il le comprenne comme un merci silencieux. Je suis frappée par l'aisance avec laquelle il navigue dans cette soirée, toujours sur le fil, mais sans jamais trébucher. Moi, en revanche, je me sens comme une funambule mal préparée avançant à tâtons sur une corde qui menace de céder à tout moment. Charlotte n'a pas dit son dernier mot.
Plus tard, autour de la table, les conversations deviennent plus légères. Les rires fusent, les verres se remplissent mais je reste sur mes gardes. Chaque fois que mon amie d'enfance ouvre la bouche, je sens une tension familière dans mes épaules et me prépare à une nouvelle défense.
- Alors, Edward, commence-t-elle à un moment, quelles sont vos prochaines aventures ?
Edward répond avec aisance. Il évoque son prochain livre, des interviews prévues et un aller-retour à New York pour échanger avec son éditeur. Tout en parlant, son regard glisse régulièrement vers moi cherchant à s'assurer que je vais bien.
Et moi, je ne peux m'empêcher de me demander : est-ce qu'il joue ce rôle uniquement pour ce dîner ? Ou y a-t-il une part de vérité dans cette manière qu'il a de me regarder, de me soutenir ?
Le doute persiste, mais une chose est certaine : ce soir, nous sommes un duo. Un tandem inattendu, certes, mais un tandem malgré tout. Et tandis que les heures passent, je sens une étrange force naître en moi. Peut-être que, finalement, ces différences qui nous définissent sont aussi celles qui nous unissent.
4 commentaires
Renée Vignal
-
Il y a 4 mois
Pjustine
-
Il y a 4 mois
EvaBerry
-
Il y a 4 mois
lorrely
-
Il y a 4 mois