Fyctia
Sauve qui peut
La foule commence à se resserrer autour de nous, une marée humaine motivée par une excitation commune. Des téléphones se lèvent dans les airs, des flashes crépitent et des voix s'élèvent dans un brouhaha étouffant.
- Edward ! Une photo, s'il vous plaît !
- Edward, je suis votre plus grande fan !
- Edward ! Juste un autographe !
Des voix se chevauchent, aiguës, suppliantes. Mon souffle se fait court et une chaleur oppressante monte dans ma gorge. Mes pensées s'emmêlent et une vague de panique m'envahit, paralysante. Mon regard cherche désespérément une issue mais tout ce que je vois, ce sont des visages. Des dizaines de visages, leurs regards avides et leurs sourires tendus, qui se pressent contre nous comme un mur mouvant. Mes mains tremblent légèrement et mes jambes menacent de céder sous l'effet de l'adrénaline.
Ma poitrine se serre. J'entends le sang battre à mes tempes, un grondement sourd qui m'isole presque des hurlements autour.
À mes côtés, Edward reste étrangement calme. Pas un muscle ne bouge sur son visage parfaitement sculpté. Ses traits semblent taillés dans une pierre indifférente. Sa mâchoire carrée, encadrée par une barbe soigneusement négligée, lui confère une autorité naturelle. Il pose une main sur mon bras, un contact à la fois rassurant et plein d'assurance.
- Suivez-moi, dit-il d'une voix basse, presque imperceptible dans le tumulte.
Je lève les yeux vers lui, accrochant son regard, et quelque chose dans son calme m'apaise instantanément. Il n'y a ni doute ni peur dans ses yeux. Ses doigts glissent dans les miens avec une précision étonnante. Une poigne chaude, ferme, mais jamais brutale. Il me tire doucement, comme s'il avait tout calculé, chaque pas, chaque détour. Puis, il me guide avec une maîtrise qui confine à l'instinct, zigzaguant entre les corps serrés, ouvrant un passage là où il ne semblait y avoir que chaos.
- Par ici ! souffle-t-il, sa voix tendue trahissant une concentration absolue.
Nous avançons à grandes enjambées entre les silhouettes pressées. À chaque tournant, Edward jette un regard rapide derrière nous, évaluant la distance entre la foule et nous. Mais malgré nos efforts, certains continuent de nous suivre. Des cris d'appel résonnent, des téléphones toujours brandis dans l'espoir d'une photo volée.
Nous bifurquons brusquement dans une ruelle étroite, ses pavés usés brillent sous la lumière des réverbères. Edward ralentit légèrement, sa respiration audible mais contrôlée. Je sens son souffle, sa main toujours ancrée à la mienne. Mais la ruelle se termine en impasse : un mur de briques imposant nous barre le passage. Edward s'arrête net, lançant un juron à mi-voix.
- Et merde...
Derrière nous, les bruits de la foule se rapprochent, menaçants. Mon cœur tambourine, mes pensées fusent dans tous les sens. Je scrute les alentours, à la recherche d'une échappatoire.
- Venez, dis-je brusquement, en désignant une petite haie qui borde le jardin de M. Hunger.
Sans poser de questions, il me suit. Nous escaladons rapidement la clôture, atterrissant dans un fouillis d'herbes hautes et de rosiers un peu sauvages. Les branches griffent mes bras et mes jambes, une douleur vive mais fugace qui se perd dans l'urgence de la situation. Le parfum âcre des feuilles écrasées se mêle à l'adrénaline qui pulse dans mes veines.
- Par ici ! chuchoté-je, m'engageant entre deux parterres de fleurs négligées.
Je l'entraîne à travers ce terrain, guidée par l'instinct. Après quelques minutes d'efforts, nous atteignons finalement une rue plus calme. Je m'arrête pour reprendre mon souffle, réalisant à peine que je ris. Un rire nerveux, incontrôlable, qui explose sans prévenir. Edward me regarde et son visage s'éclaire d'un sourire fatigué. Puis nous rions ensemble, un moment absurde mais étrangement libérateur.
- Vous allez bien ? me demande finalement Edward, essoufflé et son regard cherchant le mien.
Je jette un coup d'œil derrière nous. Plus de cris, plus de flashes. Juste le silence, rompu par le bruit de nos souffles.
J'acquiesce, ma respiration encore saccadée. Ce n'est qu'à cet instant que je réalise que je tiens toujours sa main. Je la relâche précipitamment, un peu gênée.
- Désolée... Je ne m'attendais pas à ça, murmuré-je, encore troublée par l'intensité de ce moment.
Il esquisse un sourire, un mélange d'épuisement et d'amusement.
- Pas besoin de vous excuser. Vous vous en êtes très bien sortie.
Il marque une pause, jette un regard pensif vers la ruelle d'où nous venons. Puis il ajoute, d'un ton presque désinvolte :
- Vous savez, on ne s'y habitue jamais vraiment.
Je l'observe, intriguée par cette confidence. Il n'ajoute rien.
Nous marchons un moment en silence, nos pas résonnent sur le bitume. La tension retombe peu à peu. Edward brise finalement le silence.
- Si vous voulez, on pourrait aller chez moi. Juste pour souffler un peu et éviter qu'on nous retrouve tout de suite.
Je le regarde, surprise par l'invitation. Aller chez Edward Johnson ? L'idée me paraît irréelle, presque absurde. Une part de moi hésite, pourtant, une autre part, plus audacieuse, brûle d'envie d'accepter.
- Oh, en tout bien tout honneur, bien sûr, ajoute-t-il en souriant et comme s'il avait lu dans mes pensées.
Je réfléchis un instant, pesant soigneusement le pour et le contre. Ma grand-mère ne m'attend pas ce soir et rien ne m'oblige à rentrer immédiatement. Une curiosité m'envahit, irrésistible et un peu coupable. Edward Johnson, le célèbre écrivain dont les romans m'ont tenue éveillée des nuits entières, m'invite chez lui. Et il y a autre chose, un détail plus intime. Cette maison voisine que j'ai toujours connue close et silencieuse a longtemps alimenté mes propres fantaisies d'enfant. À chaque fois que je passais devant, je m'imaginais des trésors derrière ces volets fermés : une galerie d'art secrète, une cachette pour espions ou même une maison hantée. Découvrir enfin ce qui s'y cache me démange.
- D'accord, dis-je finalement.
Un sourire sincère éclaire son visage.
- Très bien. Suivez-moi.
Il sort une clé de sa poche et la tourne dans la serrure, le clic métallique résonne. Edward pousse la porte puis s'efface pour me laisser entrer.
- Faites comme chez vous, dit-il en refermant derrière nous.
Je franchis le seuil et m'arrête net, frappée par l'atmosphère qui règne. Je découvre un intérieur à la fois chaleureux et raffiné.
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