Fyctia
Gaufre et chantilly
Le soleil au zénith baigne la place centrale du festival d'une lumière éclatante. Autour de moi, des familles s'amusent, des enfants gambadent en brandissant des ballons colorés et les marchands de rue attirent l'attention des passants avec leurs voix perçantes. Les effluves de gaufres et de popcorn flottent dans l'air et se mêlent aux sons qui résonnent dans tout l'espace.
Assise à une table en bois, j'essaie de profiter de ce moment paisible, mais mon esprit vagabonde déjà, anticipant les surprises que l'après-midi pourrait réserver.
Et puis, je les aperçois.
Mamie, rayonnante comme toujours, s'approche. Son éternel chapeau de paille, orné de fleurs fraîchement cueillies, trône fièrement sur sa tête. Sa robe à motifs floraux danse légèrement autour de ses chevilles. Malgré son âge avancé, elle marche avec l'énergie d'une jeune femme, un panier en osier serré contre elle. Mais ce n'est pas sa présence qui fait accélérer mon cœur. C'est l'homme qui marche à ses côtés.
Edward Johnson.
Il porte une chemise en lin blanc, légèrement déboutonnée, laissant entrevoir son torse hâlé. Une paire de lunettes de soleil pend négligemment à l'encolure de sa chemise et une casquette est vissée sur le dessus de sa tête camouflant une partie de son visage. Dans ses mains, il tient trois hot-dogs parfaitement emballés dans du papier blanc. Sa démarche est tranquille, mais son charisme naturel rend chacun de ses pas presque captivant.
Ils s'approchent de ma table et mon cerveau peine à suivre ce qui se passe.
- Ma poupette ! s'exclame mamie, son sourire radieux illuminant son visage. Je t'avais dit que je serais là à midi pile ! Et regarde qui j'ai trouvé sur mon chemin, le charmant Edward.
Elle pose son panier sur la table et me fixe avec une malice non dissimulée.
J'essaie de sourire, mais c'est plus un rictus nerveux qu'autre chose. Edward Johnson, ici ? Avec mamie ? Pourquoi ? Comment ?
- J'ai croisé Edward en sortant de chez lui, ajoute-t-elle joyeusement. Il a accepté de m'accompagner ! Et comme il ne connaît pas encore le festival, je me suis dit qu'il pourrait le découvrir avec nous.
Edward s'assied à côté de moi et me lance un regard amusé, presque comme s'il comprenait l'effet qu'il produit sur moi.
- Vraiment ? dis-je, tentant de cacher le ton anxieux dans ma voix.
- Vous avez un festival très charmant ici, commence-t-il en observant les stands autour de nous.
Mamie, visiblement ravie, s'empresse de répondre.
- Oh, mais vous n'avez encore rien vu ! Attendez de goûter à la tarte aux myrtilles de Mme Cunningham. Une institution !
Elle se tourne vers moi avec un éclat dans les yeux.
- Tu t'en souviens, Amélia ? C'est elle qui gagne presque chaque année le concours de tarte !
- Oui, mamie, je m'en souviens, murmuré-je.
Edward Johnson observe la scène. Ses lèvres se courbent en un sourire, mais il reste étonnamment silencieux. Je sens son regard peser sur moi. Mamie, quant à elle, continue son monologue avec une énergie qui ferait pâlir un animateur de télévision. Elle évoque les stands, les jeux, les potins locaux... puis lève soudainement son verre de limonade pour porter un toast comme si la présence d'une star de la littérature à sa table était tout à fait normale.
- À ce déjeuner improvisé ! dit-elle avec enthousiasme. Et à ma petite-fille, la meilleure qui soit !
Je lève timidement mon verre, tandis qu'Edward trinque avec un sourire espiègle.
- À Amélia, alors, répète-t-il, sa voix grave et posée attirant malgré moi mon attention.
Je détourne rapidement les yeux et essaie de me concentrer sur ma boisson. Il va vraiment falloir que je prenne de l'assurance à ses côtés. Il va finir par me prendre pour une imbécile.
À ma grande surprise, le déjeuner ne se révèle pas aussi gênant que je l'avais redouté. Edward rit aux blagues de mamie et commente avec intérêt ses anecdotes.
- Alors, Edward, nous n'avons pas eu l'occasion de beaucoup échanger depuis votre arrivée, dit mamie entre deux bouchées de hot-dog. Qu'est-ce qui vous a amené à Friday Harbor ?
- Oh, l'envie de changer d'air, répond-il, jouant négligemment avec une miette de pain sur sa serviette en papier. L'inspiration est capricieuse et parfois, il faut savoir la chercher ailleurs.
Mamie hoche la tête avec un sérieux exagéré.
- L'inspiration, c'est comme une marmite sur le feu. Si on ne remue pas, tout finit par coller au fond.
Edward éclate de rire et je ne peux m'empêcher de sourire à mon tour.
- Voilà une sagesse que je n'oublierai pas, répond-il.
Puis, se tournant vers moi, il ajoute :
- Et vous, Amélia, qu'est-ce qui vous inspire ici ?
Je relève la tête, prise au dépourvu. Le simple fait qu'il prononce mon prénom me fait frissonner.
- Euh... l'air frais, je suppose ?
C'est pitoyable. Il le sait, je le sais. Mais au lieu de relever, il hoche doucement la tête et son sourire en coin trahit son amusement.
Après le repas, mamie insiste pour nous emmener au stand de gaufres, réputé pour ses créations excentriques. Je proteste mollement, mais elle insiste, traînant Edward dans son sillage.
- Une "gaufre tout en un", annonce-t-elle en lisant le menu. Fraises, chantilly, noix caramélisées et... bacon. Qui veut essayer ?
Edward, intrigué, accepte le défi.
- Mais, on vient de terminer de manger, dis-je, l'estomac encore bien rempli.
- C'est ça le Friday Festi, ma chérie, tout est permis ! Edward, si vous mangez ça sans en mettre partout, vous méritez un prix, plaisante ma grand-mère.
Le résultat ? Edward, habituellement si impeccable, finit avec de la chantilly sur le menton et une fraise écrasée sur sa chemise. Cette scène déclenche un fou rire chez mamie. Même moi, je ne peux m'empêcher de rire.
- Vous êtes meilleur avec les mots qu'avec les desserts, on dirait, dis-je en souriant.
- Je prends ça comme un compliment, réplique-t-il en s'essuyant avec une serviette en papier.
Nous passons le reste de l'après-midi à flâner entre les stands du festival. Edward se révèle étonnamment doué lors d'un atelier de peinture marine, surprenant même mamie par son talent. Il laisse échapper un rire lorsqu'il mélange accidentellement des couleurs et sa manière de s'excuser auprès des autres participants est touchante. Nous assistons également à une démonstration de construction de bateaux miniatures et participons à une course de canards en plastique.
Edward semble sincèrement amusé par l'ambiance. Il prend des photos et engage la conversation avec les artisans locaux.
Lorsque le soleil commence à décliner, mamie nous annonce qu'elle doit rentrer pour préparer quelque chose. Je la regarde s'éloigner, nous ne sommes plus que tous les deux, Edward et moi.
- Alors, Amélia, dit Edward après un moment, qu'avez-vous prévu pour la soirée ?
Je m'apprête à répondre lorsqu'une voix s'élève derrière nous.
- C'est lui ! C'est bien Edward Johnson !
Je me retourne pour voir un petit homme chauve pointer Edward avec excitation et en un clin d'œil, une foule commence à se rassembler autour de nous.
2 commentaires
lorrely
-
Il y a 4 mois
Pjustine
-
Il y a 4 mois