Pjustine Coeurs en équilibre Au bout du fil

Au bout du fil

Assise sur la terrasse de mamie, un thé fumant entre mes mains, je fixe l'écran de mon téléphone. L'arôme délicat du thé, mélange subtil de fleurs et d'épices, flotte dans l'air et se marie parfaitement à la fraîcheur iodée de Friday Harbor. Mon regard s'accroche à l'horizon où le ciel semble se fondre dans l'eau argentée, à peine troublée par la brise matinale. Le calme de l'île est trompeur. En moi, tout est agitation.


Je prends une gorgée, espérant que la chaleur douce-amère m'insuffle un peu de courage. La tasse émet un léger bruit contre la table en bois patinée par le temps lorsque je la repose. Margaret saura trouver les mots, comme toujours. Mais par où commencer ? Tout semble si irréel. Trois jours seulement depuis mon arrivée et pourtant j'ai l'impression que ma vie a basculé dans une dimension parallèle.


Ce séjour était censé être une échappatoire, un moyen de m'éloigner du tumulte de Seattle et des blessures encore fraîches de mon passé. Et maintenant ? Maintenant, il y a Edward. Une rencontre inattendue, presque banale, mais qui a tout changé.


Mes pensées s'attardent sur les images de la veille. L'éclat du soleil sur l'eau, le bruit des vagues contre la coque du Sea Whisper et surtout, Edward. Son sourire, ses gestes pleins de calme et d'assurance. Je me souviens de la sensation déstabilisante de ses mains guidant les miennes sur la barre et de la douceur de sa voix grave. Et ce moment où, sous le ciel étoilé, le silence n'était interrompu que par le ronronnement du moteur, seul témoin de l'instant.


Lorsque nous avons accosté, il m'a raccompagnée jusqu'à la maison.


- À bientôt, Amélia, avait-il murmuré, son regard sombre et profond ancré dans le mien.


C'était simple, presque anodin, mais je ne peux m'empêcher d'y chercher un sens caché. Est-ce que cela signifiait quelque chose pour lui ? Était-ce une promesse ? Souhaitait-t-il me revoir ?


Et pourquoi cette phrase m'obsède-t-elle à ce point ?


Je saisis mon téléphone. Mes doigts hésitent un instant, comme s'ils craignaient la réaction de Margaret. Elle est ma meilleure amie mais aussi la plus grande fan d'Edward Johnson que je connaisse. Si elle découvre que j'ai passé une journée entière avec lui, elle risque de ne plus tenir en place et de s'emballer, pour un rien.


J'appuie sur l'icône vert. Quelques tonalités résonnent, puis sa voix, vive et familière, éclate à l'autre bout du fil.


- Mia ! Enfin ! Je commençais à croire que tu t'étais perdue sur une autre planète. Alors, raconte-moi tout ! Comment ça se passe chez mamie Elizabeth ?


Son enthousiasme est contagieux et je ne peux m'empêcher de sourire.


- Salut, Marge. Désolée de ne pas t'avoir appelée plus tôt. Disons que les derniers jours ont été... intenses.


- Intenses ? À Friday Harbor ? Allez, crache le morceau, je sens qu'il y a une histoire derrière ça !


Je ris nerveusement, cherche mes mots puis prends une profonde inspiration.


- Eh bien... Tu te souviens de ce que je t'ai dit dans mon dernier message ?


- Que mamie te dorlote avec des crêpes et que l'île est incroyablement paisible ? Oui, mais je te connais, Mia. Il y a autre chose, pas vrai ?


Je ris doucement, incapable de contenir ma nervosité.


- Oui, il y a autre chose.


Et je me lance. Je commence par la rencontre sur le port. Je raconte l'épisode du vélo cassé, son intervention salvatrice et le trajet en camionnette avec ces carnets d'écriture éparpillés partout. Puis...


- Attends une minute, coupe-t-elle brusquement. Edward Johnson ? LE Edward Johnson ? Tu es sérieuse ?


Je souris malgré moi.


- Oui, c'est lui.


Un silence. Puis un cri d'excitation.


- Mon Dieu, Mia ! Tu te rends compte ? Cet homme est un rêve incarné ! Continue, vite !


Je lui décris l'atmosphère du marché, nos échanges entre les étals de fruits et légumes et son invitation inattendue pour une sortie en mer. Je m'applique à retranscrire la sérénité de cette journée, la douceur du soleil sur ma peau, le clapotis des vagues et surtout la façon dont il m'a encouragée à tenir la barre.


- Il a posé ses mains sur les tiennes ? interrompt-elle, surexcitée.


Je souris et rougis légèrement.


- Oui, mais c'était pour m'apprendre à diriger le bateau. Rien de plus.


- Rien de plus ? Mia, tu es sérieuse ? Tu réalises la chance que tu as eue ?


Je tente de minimiser, mais Margaret ne me laisse aucun répit.


- Et le retour ? Il t'a raccompagnée, j'imagine ? demande-t-elle, insatiable.


Je hoche la tête, bien qu'elle ne puisse me voir.


- Oui, il habite à côté. Il était tard et le ciel était magnifique, couvert d'étoiles.


Je m'arrête, hésitante.


- Et il m'a souhaité bonne nuit. C'est tout.


- « C'est tout » ? répète-t-elle, incrédule. Il ne t'a pas invitée sur son bateau par hasard.


- Margaret, il ne s'est rien passé et il n'a rien fait de déplacé. Il a été gentil, c'est tout.


Mon ton se veut ferme, mais même moi, je sens l'incertitude qui s'y glisse.


- Gentil ? Ce n'est pas un compliment qu'on associe souvent à Edward Johnson. Mia, sois honnête. Qu'est-ce que tu ressens ?


Je ferme les yeux un instant et cherche les mots justes.


- Je ne sais pas. Il me trouble, c'est sûr. Avec lui, j'ai l'impression que le temps ralentit et que tout devient... différent. Mais il y a une part de lui que je n'arrive pas à cerner.


Margaret reste silencieuse un moment, puis reprend d'un ton plus sérieux.


- Écoute, Mia. Je sais que tu es prudente, surtout après... Jack, mais parfois, il faut savoir prendre des risques.


Je tressaille à l'évocation de ce nom. C'est la première fois que je l'entends à voix haute depuis le jour de notre rupture.


- Ce n'est pas comparable, murmuré-je. Avec... Jack, j'étais aveuglée dès le début. Je ne veux pas revivre ça.


- Et si Edward n'était pas Jack ? Si c'était juste un homme bien, qui te plaît et qui a croisé ta route au bon moment ?


Ses mots me frappent et je reste sans réponse. Margaret finit par ajouter :


- Mia, ce n'est pas parce que tu as eu une mauvaise expérience que tu dois te fermer. Je ne te dis pas de foncer tête baissée, mais s'il doit se passer quelque chose... alors donne-lui une chance. Tu mérites d'être heureuse.


Je soupire, émue par ses mots.


- Merci, Marge.


- Toujours là pour toi. Mais plus sérieusement, Mia, si tu ne veux pas de lui, je prends ta place !


Je ris, enfin détendue.


Nous continuons à parler pendant un moment. Nous partageons des anecdotes et rions aux éclats. Elle me raconte ses mésaventures au travail et je lui promets de lui envoyer des photos de l'île.


Quand je raccroche enfin, je reste un moment sur la terrasse et savoure le calme de la matinée. Peut-être que Margaret a raison. Peut-être que, cette fois, je devrais oser. Pas fuir, pas me précipiter non plus, mais affronter les évènements à venir avec prudence et une pointe d'espoir.

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6 commentaires

Camille Cardoso

-

Il y a 4 mois

;)

liacarter.auteure

-

Il y a 4 mois

:)

Alyssa Well

-

Il y a 4 mois

Je viens te donner de la force 🫰🏻

Pjustine

-

Il y a 4 mois

Merciii 🔥
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