Fyctia
Dérive estivale
L'été à Seattle a toujours ses petits enchantements et ses coins où l'on oublie l'agitation quotidienne. Dans la torpeur des mois de juillet et août, les habitants fuient et laissent la ville étrangement silencieuse, presque apaisée, comme si elle-même s'accordait un instant de répit. On peut déambuler sans être bousculé et les bruits de la circulation ou les éclats de voix laissent place aux chants des oiseaux, notamment au sein des parcs habituellement pleins à craquer.
Mais cette année, la magie n'opère pas. Après l'épisode Jack et mon évasion avortée pour les Bahamas, la ville me paraît vidée de tout son charme, creuse et sans chaleur. Les rues ensoleillées et les terrasses d'habitude si animées ont un air de déjà-vu étouffant. Rien ne peut remplacer les palmiers et les plages de sable fin des îles paradisiaques, mais j'espère naïvement qu'un passage à Green Lake Park pourrait m'apporter un peu de réconfort. L'idée de lire un bon roman policier, étendue sous le soleil, même au bord d'un lac, semble encore meilleure que de rester chez moi à ressasser le passé. C'est tout le contraire. Dès mon arrivée, je suis accueillie par l'odeur prononcée de mon voisin de serviette. Un mélange de transpiration, de crème solaire bon marché et de friture flotte autour de moi comme une aura de mauvais goût. Chaque fois que j'inspire, je ne peux m'empêcher de grimacer.
Je tente de garder un semblant de calme et de m'imaginer sous les cocotiers, mais l'illusion ne tient pas. « Allez, Mia, détends-toi », pensé-je en scrutant l'eau trouble. La foule qui s'y bouscule est loin de l'image tranquille des vacances que j'ai en tête. Impossible de se baigner sans risquer d'être arrosée par des enfants qui jouent avec des pistolets à eau, remplis de liquide dont l'origine reste douteuse. Ils courent et s'amusent à asperger tout le monde quand l'un d'eux dirige son jet vers moi. Désormais trempée et désespérée, je me lève et renonce définitivement à ma journée détente et bronzage. Je ramasse mes affaires et tâche de ne pas croiser le regard des enfants encore en train de ricaner, puis je quitte l'endroit, soulagée.
Seattle et ses pseudo-vacances ne me méritent pas et il me faut à peine quelques minutes pour m'en rendre compte.
De retour chez moi, je me précipite sous la douche. Une fois, puis deux, puis trois fois. J'ai beau me frotter et me savonner avec mon gel douche à la fleur d'oranger, je sens encore cette odeur désagréable et indéfinissable incrustée sur ma peau. Un mauvais souvenir qui refuse de s'effacer. Je suis toujours poisseuse et imprégnée de l'échec de cette journée. L'été s'annonce désormais aussi chaotique que désastreux.
En sortant de la douche, je reste un moment immobile devant le miroir, observant mon reflet. Mes cheveux bruns, encore humides, tombent en mèches indisciplinées autour de mon visage. J'ai l'air fatiguée, l'air d'une personne qui a beaucoup trop réfléchi, beaucoup trop pleuré.
Je suis encore marquée par l'odeur tenace de ma mésaventure, même si elle n'est plus aussi insupportable. J'essaie de me convaincre que ce sera suffisant pour ce soir, mais rien ne semble facile.
La soirée, prévue depuis plus d'un mois, m'attend avec ou sans Jack. L'idée d'annuler me paraît encore plus décourageante que d'y aller. Je soupire et laisse retomber mes épaules. Mes amis savent, plus ou moins, ce qui s'est passé. Ils éviteront sûrement le sujet et m'aideront à passer un moment aussi normal que possible.
Je me dirige vers le dressing, essayant de choisir une tenue parmi le bazar ambiant. D'habitude, ces petites soirées entre amis me procurent une intense excitation, l'occasion de porter cette robe que je n'ai mise qu'une seule fois, d'enfiler mes chaussures préférées et de me parer de mes bijoux favoris. Mais ce soir, tout choix semble fade et futile. Finalement, je prends une combinaison noire simple, un modèle passe-partout qui n'est pas non plus l'idéal pour une chaude soirée d'été. Mais elle a cette qualité indéniable : elle glisse sur mes épaules et retombe avec élégance, soulignant juste assez mes formes sans attirer trop d'attention.
Une fois habillée, je m'attarde une nouvelle fois devant l'imposant miroir pour appliquer un peu de maquillage. Une fine couche de fond de teint pour masquer les rougeurs que l'énervement a laissées, un trait d'eye-liner pour accentuer mon regard fatigué et une touche de rouge à lèvres, histoire de raviver un peu ce visage que je ne reconnais plus vraiment ces derniers jours.
Je parcours rapidement le salon pour m'assurer qu'il n'y reste pas d'indices de mon état actuel. Des magazines traînent, témoins de mes tentatives pour oublier la réalité et le fiasco avec Jack. Je les empile rapidement sur la table basse, range quelques coussins et allume une lampe pour créer une atmosphère accueillante, même si personne ne viendra ici ce soir. Cette action me permet de remettre un peu d'ordre dans mon esprit.
Je jette un œil à l'horloge. Le dîner est prévu pour 20 heures. Il me reste juste assez de temps pour me poser quelques instants et reprendre mon souffle. Je m'installe sur le canapé et serre entre mes mains une tasse de thé vert que je n'ai même pas eu la force de boire plus tôt. Sa contenance refroidie me décourage, je grimace. Malgré moi, l'angoisse se fait sentir. J'appréhende les regards de mes amis, leurs petites mines compatissantes et même leurs silences calculés. Margaret, en particulier, aurait sûrement quelques questions dissimulées derrière ses phrases innocentes. Elle s'inquiète encore et je l'adore pour cela, mais ce soir, je n'ai pas la force de revenir sur les événements récents.
Peu importe, me dis-je en serrant un peu plus ma tasse. C'est simplement une soirée entre amis, l'occasion de rire un peu et de parler de tout et de rien. Je dois me convaincre que ce ne sera qu'une parenthèse, un bref instant pour retrouver le goût des choses simples.
Alors que les minutes s'écoulent doucement, je prends machinalement une dernière gorgée de ma boisson puis me lève pour enfiler mon blouson en cuir. Une dernière retouche de rouge à lèvres, un dernier regard dans le miroir et me voilà prête à affronter cette soirée. J'inspire profondément. Ce soir, peut-être, je pourrai laisser de côté mes préoccupations et ma vie sans saveur, sans couleur.
4 commentaires
M.B.Auzil
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Il y a 4 mois