Pjustine Coeurs en équilibre Contre vents et marées

Contre vents et marées

Une dizaine de minutes plus tard, j'entends trois coups secs à la porte. Margaret. Fidèle à sa parole, elle est là, comme toujours. Je me précipite pour lui ouvrir, le cœur encore lourd, mais soulagée de la voir. Elle s'engouffre dans l'appartement, vêtue de sa veste en jean délavée et ses lunettes de soleil roses posées sur le dessus de sa tête. Son regard bleu se fige sur moi avec une attention qui ne laisse rien passer. Sans un mot, elle me prend dans ses bras, me serre si fort que j'en oublie un instant la douleur. Elle sent la fraise et le thé vert, une odeur douce, familière et rassurante qui atténue les échos de la déception.


Après quelques secondes, elle desserre son étreinte et me fixe droit dans les yeux.


- Balance ! lance Margaret, le visage fermé, le regard dur et les poings serrés.


Si Jack avait le malheur de se trouver là, il ne ferait certainement pas long feu sous le regard noir de mon amie.


- Il est marié, dis-je finalement, d'une voix brisée par les sanglots et encore abasourdie par cette révélation qui semblait irréelle.


Le visage de Margaret s'assombrit encore davantage.


- Enfoiré ! lâche-t-elle avec rage. Je le savais, je le savais qu'il y avait un truc qui clochait chez ce type ! Il est sûrement très bon au lit, mais je n'aurais jamais imaginé qu'il était aussi bon à marier !


Et là, pour la première fois depuis des heures, je ris. Un vrai rire, sincère, spontané et libérateur. Une première bouffée d'air après une longue apnée.


- Et les Bahamas, franchement, c'est surfait ! Tout le monde part là-bas de nos jours, c'est d'un cliché ! En plus, il n'a aucune personnalité. Et... il a un énorme nez. Tu ne perds rien, crois-moi ! ajoute Margaret, de sa voix ironique et le regard malicieux.


- C'est vrai qu'il a un nez assez imposant, admis-je, un sourire amusé aux lèvres.


Margaret reprend en imitant ma voix et avec une moue exagérée :


- « Mais non, Marge, c'est juste une petite bosse, il a dû se cogner quand il était petit... » Ah ! Tu étais trop gentille avec lui, avoue-le maintenant !


Je ris de plus belle. En vérité, Jack est très séduisant et charismatique, mais là, lister ses défauts me fait un bien fou. Après tout, Margaret a raison : rien de tel qu'un peu d'ironie pour alléger les cœurs.


- Imagine la tête de vos mioches avec un truc pareil, non mais sérieusement ! renchérit-elle en levant les yeux au ciel.


Je ris, secouant la tête. Elle va trop loin, mais je sais que c'est sa façon de m'aider à tourner la page. Je la regarde un instant, mi-amusée, mi-moqueuse.


- Je te rappelle quand même que c'est toi qui l'as remarqué en premier, dans cette boîte obscure.


- Au Pink Door ? Oh, non, non, non ! fait-elle en agitant frénétiquement les mains devant elle. Ne me ressors pas ce vieux dossier ! La lumière était pourrie là-bas et puis si j'avais su, j'aurais opté pour une soirée Netflix avec toi comme otage ! Bon, tu te sens mieux ?


En la regardant, je réalise que mes larmes ont cessé de couler et que mon cœur, jusque-là oppressé, bat de manière plus régulière. En quelques minutes, elle a réussi à me faire passer du désespoir au rire.


- Merci, dis-je doucement, touchée et reconnaissante de sa présence indéfectible.


Elle hausse les épaules avec nonchalance.


- Ne me remercie pas, les amis sont là pour ça ! Vanille ou chocolat ? lance-t-elle en sortant deux pots de crème glacée de son sac en cuir marron.


- Sérieusement ? Tu es parfaite, réponds-je.


- Parfaite ? Attends de voir... Ce n'est plus de la glace mais du smoothie ! J'ai complètement foiré le timing, tout est fondu, dit-elle en grimaçant.


- Dans ce cas-là, je vais chercher des verres. On va boire de la glace, concept original, non ?


- Ça s'appelle un milkshake.


Je hausse un sourcil.


- Tiens et ça, ça nous changera les idées. Un bon Chablis, ça te va ? dit-elle en agitant une bouteille de vin blanc avec un sourire en coin.


- Pas mal, ça paie bien l'administration ? plaisanté-je.


Elle soupire, feignant l'indignation.


- Rêve pas, elle vient de la cave de mon père. Et ne me parle pas de fichu job d'été, je viens de commencer et je veux déjà arrêter.


- Ah, je croyais que vous ne vous parliez plus après votre dernière dispute ?


- Disons que ça s'est arrangé. Je te raconterai. Mais d'abord, j'aimerais savoir ce que tu comptes faire de ton été maintenant que ton projet de couple parfait est tombé à l'eau. Parce que, les 5 semaines de vacances pour moi, c'est juste un rêve !


- Franchement, aucune idée, dis-je en baissant les yeux.


- Si tu veux mon avis, tu devrais aller chez ta grand-mère Élizabeth, sur son île déserte. Ta mamie serait ravie de te voir plus de trois jours de suite ! D'ailleurs, ça fait combien de temps que tu n'y as pas mis les pieds ?


- Oh, non, Marge, pitié ! J'adore mémé, mais échanger le soleil et les palmiers contre le vent et les marées ? Non merci...


- Réfléchis-y. Ça pourrait te faire du bien. Tu ne crois pas que tu fuis un peu ? Tu n'y es pas allée depuis combien de temps ? insiste mon amie.


- De mémoire... cinq ans, peut-être sept, dis-je, vaguement honteuse.


- Elle serait si heureuse de te voir.


- Oui, mais elle vient à Seattle de temps en temps, tu sais. On se voit régulièrement.


- Ce n'est pas pareil. Elle prend de l'âge et elle serait tellement fière de t'avoir chez elle et de te montrer à ses amies. Tu n'as jamais pensé que ça pourrait t'aider à tourner la page, un peu ?


- Tourner la page Jack ? Non, tu parles, ça fait trois heures, c'est déjà du passé ! tenté-je de répondre ironiquement et un peu trop rapidement.


En réalité, ce n'est pas Jack que je redoute de retrouver dans ces souvenirs, mais mes parents, un sujet que je n'ai jamais totalement digéré. Elle me dévisage, comprend ma réaction, mais n'insiste pas.


- Netflix ? proposé-je pour changer de sujet, un sourire nerveux aux lèvres.


- D'accord, d'accord, on change de sujet, concède-t-elle en levant les mains comme pour signer sa reddition. Mais réfléchis-y quand même.


Nous nous installons enfin sur le canapé, nos verres de glace et nos coupes de vin à la main. Deux guerrières trinquant à une nouvelle liberté. Alors que le diabolique Lucifer envahit l'écran, je repense à ce vieil adage qui me fait sourire : « Un de perdu, dix de retrouvés. »


Le monde m'attend et avec lui, de nouvelles aventures à écrire.



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6 commentaires

Océ_bred

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Il y a 4 mois

J'adore ta plume, les dialogues sont si drôles ! Bon concours :)

Pjustine

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Il y a 4 mois

Merci beaucoup pour ton commentaire 🤗

M.B.Auzil

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Il y a 4 mois

Enfin un peu d'optimisme ! À 26 ans elle a la vie devant elle.! Fonce Mia 🥳

Pjustine

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Il y a 4 mois

Aha bien dit !
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