Pjustine Coeurs en équilibre Les mots qui sauvent

Les mots qui sauvent

Une vibration légère me tire lentement de ma torpeur, un écho timide dans le silence de l'appartement. J'attrape machinalement mon téléphone posé sur la table basse. Mon cœur bondit d'un coup. C'est peut-être Jack ? Je sens une lueur d'espoir se raviver malgré moi. Peut-être appelle-t-il pour tout expliquer, me dire que ce n'est qu'un malentendu, une mauvaise blague, un cauchemar dont je vais bientôt me réveiller. Peut-être s'apprête-t-il à me murmurer des excuses, à m'assurer qu'il m'aime, que rien n'est plus important pour lui que notre relation, notre futur et ces vacances à venir.


Mais non. Le nom sur l'écran n'est pas le sien. C'est celui de Margaret, ma meilleure amie. Un soupir m'échappe alors que je glisse mon doigt sur le téléphone pour décrocher.


- Salut, Bella ! Tu fais quoi ? lance-t-elle avec son énergie débordante et sans la moindre idée de l'état dans lequel je me trouve.


- Hey, Marge... murmuré-je d'une voix éteinte, incapable de masquer mon désespoir.


- C'est quoi cette voix d'outre-tombe ? demande-t-elle, suspicieuse.


J'avale ma salive, incapable de cacher mon chagrin.


- Je...Jack... commencé-je, mais les mots s'étouffent dans ma gorge, coincés comme des lames acérées que je n'arrive pas à cracher.


Elle perçoit immédiatement le sanglot qui menace de déborder.


- Mia, ne me dis pas que tu pleures ? Sa voix s'adoucit, elle se prépare déjà à la suite.


- Oui... il... sangloté-je, incapable de terminer ma phrase, la voix déformée par la douleur.


Il ne lui en faut pas plus.


- Bon, laisse tomber, j'arrive dans cinq minutes, dix tout au plus. À tout de suite !


Et avant que j'aie le temps de répondre, elle raccroche. Elle n'a pas besoin de détails, ni d'explications supplémentaires. Margaret sait me lire mieux que personne et il lui suffit de sentir ma détresse pour accourir. Elle ne porte pas Jack dans son cœur et n'a jamais hésité à me partager le mauvais pressentiment qu'elle éprouve à son égard. Les tentatives de rapprochement que j'ai orchestrées, les dîners, les sorties en groupe, rien n'a réussi à briser son scepticisme. Ce « beau mâle », comme elle aime l'appeler ironiquement, n'a pas su la convaincre, même si, pour moi, il semble tout de l'homme parfait. Ou plutôt, il semblait tout de l'homme parfait.


Je laisse échapper un soupir et me dirige vers la salle de bain, l'estomac serré. Ce que je vois dans le miroir est à la hauteur de mon humeur. Mon maquillage, soigneusement appliqué plus tôt dans la journée, a fondu en de longues traînées noires sur mes joues. Le mascara coule jusqu'à mon menton, dessinant des sillons macabres de tristesse et de rage accumulée. Mon visage, encadré par des mèches éparses, est devenu un tableau grotesque, presque caricatural. À cet instant, j'ai l'impression d'être une mauvaise image d'Halloween.


La vie est vraiment mal faite, pensé-je en retenant un sourire amer. J'essuie mon visage d'un geste las, mes pensées tourbillonnent. Cette rupture soudaine me laisse sans repère. Je sais que, quelque part, ce n'est pas seulement l'homme que je perds, c'est aussi la promesse d'un futur à deux qui s'effondre. Une vision douce et rassurante qui se transforme en un mirage lointain. À presque 26 ans, réaliser cela a une saveur plus amère encore. La société peut bien prétendre évoluer, le poids des regards demeure. Ne pas avoir de compagnon à cet âge-là, malgré les avancées, suscite encore des murmures, des questions et je sens mon cœur s'alourdir sous ce fardeau invisible.


Je saisis un coton et continue de nettoyer les restes noircis, tâchant de retrouver une apparence plus digne avant l'arrivée de Margaret. Je sais qu'avec elle, je ne pourrai rester ni abattue, ni vulnérable trop longtemps. Elle ne l'acceptera pas. Elle est de ces personnes dont la force est contagieuse, une véritable tornade qui ne laisse personne derrière elle, surtout pas moi.


Je repense à notre première rencontre des années plus tôt à l'université de Seattle. Nous avions intégré le même programme de psychologie. Dès le premier jour, Margaret s'était imposée dans l'amphithéâtre, entourée de son aura unique. Elle portait un large pull vert trois tailles trop grand pour elle, une paire de lunettes rondes légèrement de travers et un sourire si lumineux qu'il semblait éclairer l'espace autour d'elle. Je me souviens de l'avoir vue arriver, un café dans une main et un carnet dans l'autre. Elle rayonnait de cette assurance qui me manque tant.


C'est elle qui m'avait approché en premier, s'installant à mes côtés. Avec un sourire espiègle, elle avait lancé :


- J'espère que tu n'es pas du genre à faire les devoirs trop en avance ! Sinon, on risque de ne pas bien s'entendre toi et moi.


Je me souviens avoir rougi, prise de court, bafouillant une réponse incohérente. Elle avait ri, un rire léger, presque contagieux, qui m'avait instantanément mise à l'aise.


Très vite, nous sommes devenues inséparables. Margaret et moi formons un duo aussi improbable que complémentaire. Elle, l'esprit aventurier, rebelle, toujours prête à sortir des sentiers battus. Moi, la prudente, la studieuse qui a besoin de planifier chaque détail. Elle m'apprend à lâcher prise, à vivre l'instant présent et à ne pas toujours écouter mes peurs. Je lui offre une oreille attentive et une certaine stabilité dans ses moments de doute. Notre amitié se forge entre les couloirs bondés de l'université, les longues nuits à réviser et nos cafés matinaux et précipités.


À mesure que je nettoie mon visage, je sens le poids de ma tristesse s'alléger un peu. Margaret sera là dans quelques minutes et déjà, l'idée de la retrouver chasse le désespoir et laisse place à une étrange sérénité. Elle me connaît mieux que quiconque, comprend mes angoisses et mes doutes avant même que j'aie besoin de les exprimer. Elle ne me laissera pas seule dans cette épreuve, elle ne l'a jamais fait et je sais que, d'une manière ou d'une autre, elle m'aidera à tourner la page.


Aujourd'hui encore, en raccrochant, elle me prouve que son soutien n'a pas faibli d'un iota. Mon amie va débarquer dans mon appartement comme une force vive, prête à me rappeler que la vie ne s'arrête pas avec une déception amoureuse et que ma valeur ne se mesure pas à l'amour d'un homme.


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10 commentaires

Lunedelivre

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Il y a 4 mois

J’aime beaucoup ce que je découvre pour le moment !

Pjustine

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Il y a 4 mois

Merci beaucoup, j'espère que la suite continuera à te plaire 🤗

Cloclo95

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Il y a 4 mois

Hyper agréable à lire !! Et j'adore déjà le personnage de Margaret 🤩

Pjustine

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Il y a 4 mois

Merciii 🙃

Bibi ROB

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Il y a 5 mois

Peu de fautes, écriture fluide, agréable à lire. Je continue pour découvrir la suite :)

Pjustine

-

Il y a 5 mois

Merci, j’espère que la suite continuera à vous plaire 🤗
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