Fyctia
Chapitre 12 2/3 - Eric
— Sans doute, répond Pablo. Va falloir prévenir les filles.
Hector se met à siffler, quittant son fauteuil pour essayer d’attraper le chihuahua qui commence à courir bien trop vite pour ses petites pattes. Un dieu grec se cache-t-il derrière ses poils ? Zeus, par exemple ? Quel est le lien de cette divinité avec le grand Hector, en plus ?
— Grr ! rugit Ptikouik, toutes dents dehors.
D’un bond, je me laisse tomber sur la table. Qu’on ne vienne pas me dire que juste les femmes peuvent être capable d’un tel comportement, mais, purée, qu’on éloigne cette bestiole avant que je ne fasse une attaque. Déjà des sueurs froides coulent le long de mon front et de mon échine.
— Allez chouchou, reviens, tu ne veux pas voir des filles ? minaude Hector.
Minute papillon, il n’avait pas pour projet de draguer avec un chien, si ? Non seulement le chihuahua est loin d’être la race parfaite pour se donner une bonne image, mais en plus de cette manière… Il ne manquerait plus qu’il prenne des selfies avec Ptikouik sous le bras, torse nu, ou encore en slibard, et il sera l’incarnation exacte du red flag.
— Tant qu’y est, tu ne veux pas lui apprendre à danser sur ses pattes arrière au rythme des chihuahuas de Beverly Hills ? demandé-je en glissant telle une limace sur la table.
Pourquoi est-ce que je visualise Odie de Garfield ? En tout cas, je ne sais pas quel est le titre précis de la chanson du film, mais j’ai maintenant l’air en tête.
— Et pourquoi, la diva ? rétorque mon collègue. C’est vrai que ce serait une bonne idée, mais je crains de ne pas avoir assez de temps à portée de main.
Je lève les yeux au ciel, à deux doigts de soupirer. Ptikouik ne cesse de courir puis se met à aboyer devant moi, sans doute pour attirer mon attention. Heureusement que j’ai pris de l’altitude, mais vu le démon, il serait peut-être capable de voler haut avant de m’atteindre et de me donner une balayette.
— Allez, mon chouchou, on va rendre visite aux filles. Tu vas voir, elles sont bien plus sympas qu’eux. Tu vas être une star, fredonne Hector.
Si je n’avais pas le souvenir qu’on était filmé, j’aurais bien lâché un « c’est un sketch, n’est-ce pas ? Elles sont où les caméras ? ».
La boule de poils, toujours aussi agitée, mais désormais dans les bras de Hector, continue de grogner. Le jeune homme lui donne quelques papouilles sur la tête puis se dirige vers la sortie. Ce n’est qu’après un long silence que je rouvre la bouche, le regard tourné vers Pablo.
— Tu ne crois pas qu’on devrait le suivre, ne sait-on jamais ? déglutis-je.
Mon coloc pâlit puis quitte avec lenteur le canapé. Je me rappelle brusquement que je suis toujours étendu sur la table, et roule sur le côté. J’évite de justesse de me blesser en me réceptionnant sur une des chaises. De quoi encore alimenter mon image à la télé… Il va peut-être falloir après ces deux mois que j’enfonce une casquette sur ma tête et une paire de lunettes de soleil sur mon nez. Ou bien de changer d’identité et de pays.
— Je pense que c’est mieux, répond finalement Pablo. Après le numéro qu’il vient de nous jouer, je crains le pire.
Dans un sens, cela me rassure que nos avis se rejoignent, mais de l’autre, j’ai peur de tomber dans un sacré bourbier.
— Par contre, s’il a dit aux filles que l’idée provient de nous, je ne paye pas cher sa peau, ajoute-t-il. Je n’ai pas signé pour ça.
Ce n’était même pas prévu tout court au programme de garder une bestiole poilue et à quatre pattes tout droit sortie du feu des Enfers. Au moins, j’ose espérer qu’il s’agit là du pire épisode de nos deux mois ici et que rien d’autre d’aussi effrayant nous tombe dessus à l’avenir. Je doute de pouvoir survivre à pis. Qu’on ne vienne plus me raconter que les hommes sont costauds. Quoique… qui dit ça en dehors de quelques-uns de mes confrères ? Les femmes savent déjà qu’on a des égos fragiles qu’on essaye de cacher sous une fausse dureté. Il n’y a que dans les films chargés en sexisme et tout un tas d’autres trucs pas ouf que les hommes sont des héros, prêts à protéger la gent féminine au prix d’une « bonne » bagarre. Sauf que dans la vraie vie, c’est tout le contraire et la violence ne résout rien.
Une fois à l’entrée du chalet voisin, grelottant à cause du froid, je pose mon oreille contre le bois. Comme si je risquais d’entendre quoi que ce soit à l’intérieur. Mes poumons se gonflent puis je prends mon courage à deux mains et ouvre un peu trop brusquement la porte au point de la claquer contre le mur. Je n’ai même pas le temps de m’y attarder que mon attention est déjà concentrée ailleurs.
— Rattrape-le, bon sang ! hurle la voix familière de Mélissa.
Ça y est, le pire est arrivé. On n’aurait jamais dû laisser notre coloc partir sans nous. Tout ceci est en partie de notre faute.
— Je fais ce que je peux, mais je ne veux pas lui faire mal ou encore plus peur, gémit Hector.
Pablo et moi nous échangeons un bref regard entendu puis nous engouffrons enfin dans le chalet en faisant attention à bien refermer la porte. Si en plus on devait libérer le chihuahua dans la rue, on serait dans un sacré pétrin. Ce dernier, justement, tourne autour du sapin et me fait aussitôt comprendre le problème lorsqu’il se tapit derrière. Le moindre faux pas et il va y avoir des blessés.
— C’est quoi ce bordel ? demande Pablo, tentant de ne pas éclater dans une colère noire.
— Il ne doit pas avoir l’habitude de voir du monde, le pauvre, justifie Hector.
Malgré tout, il ne semble pas regretter d’avoir emmené Ptikouik ici. Au lieu de quoi, il sourit, à quatre pattes, sur le sol. S’il me sort qu’il utilise la prétendue technique de la mère Montessori qu’il a regardé en boucle sur TikTok, je vais crever. J’entends d’avance le « tempête émotionnelle » et « il ne faut pas gronder, mais se mettre à la même hauteur que l’enfant et l’écouter ». Pourquoi mon feed me montre ça alors que je n’ai rien demandé ? Où sont passés les vidéos livresques, voyage, karcher et humoristique ?
2 commentaires
Gottesmann Pascal
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Il y a 13 jours
Anna C
-
Il y a 12 jours