Fyctia
Chapitre 11 2/2 - Mélissa
Je me craque les doigts avant de savourer un nouveau morceau de mon dessert puis une gorgée de mon chocolat chaud. Du coin de l’œil, j’observe mes collègues, aussi concentrés que moi sur leur travail. Cynthia sourit devant son écran tandis qu’Estelle me donne l’impression de massacrer son clavier en tapant à toute vitesse. À ma gauche, deux sièges plus loin, Marie feuillette son propre carnet, un stylo en main. Je suis bien incapable de deviner qui est mon binôme, mais je reste convaincue qu’il s’agit d’une femme. Peut-être que ma conversation avec Eric avait écarté de moi un court instant le doute, maintenant, ce n’est plus le cas.
— Ça à l’air passionnant ce que tu écris, m’interpelle une nouvelle fois Eric. Je n’avais encore jamais vu quelqu’un s’amuser à ce point avec son manuscrit.
S’il ne fait pas une fixation sur moi, je ne comprends pas. Nous sommes huit autour de cette table, pourquoi ne s’adresse-t-il pas aux autres ? OK, j’aime bien discuter avec lui, c’est agréable, mais trop d’attention, c’est suspect. Surtout quand des caméras sont rivées sur nous.
— Peut-être, dis-je en haussant les épaules. Il est vrai que je prends beaucoup de plaisir à écrire, mais je suis mal placée pour juger de sa qualité.
Un rictus penche les lèvres du jeune homme de côté. En a-t-il seulement conscience ? Se joue-t-il de moi ?
— La personne qui travaille avec toi doit être bien chanceuse.
Si mes joues ne sont pas en train de s’empourprer, je ne comprends pas.
— Vous n’avez pas fini de flirter ? grogne ironiquement Estelle.
Je me retiens de prendre ma tête entre mes mains.
— C’est faux, soufflé-je.
— Et mon cul c’est du poulet ?
Eric me dévisage avant de reporter son attention sur la jeune femme.
— Je peux t’assurer qu’il n’y a absolument rien entre nous et si c’était le cas, cela ne concernerait que nous, lance-t-il, prudemment.
Il passe une main sur sa tête et ébouriffe sa crinière châtain alors qu’il l’avait si bien dompté, comme à son habitude. Et pourquoi est-ce que je suis en train de le scruter ? Ma collègue va avoir du mal à croire en la moindre de mes justifications si je continue à le fixer ainsi, mais… Et si c’était vrai ? S’il y avait vraiment quelque chose entre nous, plus qu’un lien entre auteurs ? Non, non et non, si c’était le cas, la situation serait tout autre. Eric en aurait déjà profité pour me demander… Demander quoi même ? Bon sang, Mélissa, ressaisis-toi.
Je cherche à me faire toute petite et replonge mon attention sur mon écran.
— Il n’empêche que vous êtes quand même mignons, enfonce Estelle. Vous devriez essayer…
— Estelle, s’il te plaît, serre les dents Eric tandis que baisse la tête.
Les battements de mon cœur ne cessent de s’accélérer. Je suis à deux doigts de poser ma main sur ma poitrine, mais je crains que cela puisse trahir le trouble qui m’habite. Ô grand jamais je ne ferais le premier pas. S’il y a vraiment quelque chose entre nous, ce sera lui qui s’ouvrira. Je suis dérangée, ma parole.
Tentant de cacher mes tremblements, j’agrippe la tasse de mon chocolat chaud et savoure une longue gorgée. La boisson me fait du bien, mais j’ai du mal à pleinement profiter de la douceur. Qu’Estelle soit maudite de jouer les cupidons. Je ne compte pas une seule seconde la laisser crier victoire trop vite.
Respire, Mélissa, respire. Arrête ça.
Mes doigts s’enfoncent sur mon clavier. Dommage que je ne sois plus sur une scène de tension. Le timing aurait été parfait pour me défouler.
Me glissant dehors, la mallette de mon ordinateur sous la main, j’avance d’un bon pas malgré la présence de la neige. C’est peut-être louche pour certains que je sois la première à avoir quitté le café, sauf que l’ambiance était beaucoup trop lourde. Entre les regards, les chuchotements, les caméras… Tout était trop, beaucoup trop. Je préfère largement être suivi par des objectifs statiques que ambulants, même si là, l’un d’eux me poursuit et ne compte m’abandonner qu’une fois que j’aurais franchi la fichue porte du chalet.
J’inspire profondément et serre les poings. Et si je me mettais à courir ? Cela m’aiderait peut-être à opérer un vide en moi, voire même à semer le caméraman. Je suis convaincue que cela ne lui ferait pas de mal un peu de sport à lui aussi. OK, on pensera sans doute que je suis folle, mais je n’en ai plus rien à faire de mon image, surtout après les derniers évènements. Mon dossier est déjà rempli.
Après un rapide coup d’œil derrière mon épaule, j’accélère ma marche. Je commence avec un petit footing puis petit à petit, je prends de la vitesse. Le vent bat contre mon visage. Le froid du monde extérieur combat le brasier qui est contre moi. Mes poumons gonflent et se dégonflent. Je me concentre sur ma respiration et prie au plus profond de mon être de ne pas finir avec un point de côté, mais plutôt avec la victoire de m’être débarrassé du caméraman. Sauf que…
Mon attention tourne derrière moi au moment où je décide d’adopter une brève pause pour reprendre mon souffle. Je suis loin d’avoir semé mon poursuivant, mais suis tout de même étonné qu’il demeure dans mon champ de vision. Je suis tombée sur un ancien sportif ou quoi ? C’est hallucinant.
Je me mords la lèvre inférieure et me plie en deux pendant un court instant. Ce n’est pas le moment pour baisser les bras. Encore un peu et je serai à l’abri derrière les murs rassurants du chalet. Mon objectif est à portée de main.
Loin d’avoir pleinement repris mon souffle, je poursuis ma course. La mallette de mon ordinateur se cogne contre ma hanche et je manque de tomber une ou deux fois le long du trottoir. J’évite de hurler victoire au moment où la maison se dessine dans mon champ de vision, de plus en plus proche. Je passe devant celle des éditrices, puis celle des hommes et enfin, j’arrive à destination en… rentrant dans la porte d’entrée. Tout mon corps vibre et ma sacoche se retrouve dans la neige. Intérieurement, je me maudis, ramasse mes affaires puis ouvre la petite poche de la mallette pour récupérer la clé. Je ne m’autorise à soupirer qu’une fois dedans, la porte refermée derrière moi, le bois contre mon dos. Bon sang, plus jamais je ne fais ça.
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Gottesmann Pascal
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Il y a 13 jours