Fyctia
Chapitre 10 1/2 - Eric
2 décembre 2024
Le regard tourné vers le tableau en liège, j’observe Pablo tracer et prendre des initiatives. J’ai de plus en plus du mal à croire qu’il soit jardinier, comme il le prétendait quelques mois plus tôt, alors qu’il aime organiser le train-train quotidien de notre retraite d’écriture. Cet homme est plein de contradictions, mais ne le sommes-nous pas tous ?
— Une activité par jour jusqu’à Noël, qui dit mieux comme calendrier ? s’égorgeuilise-t-il.
J’échange un coup d’œil avec Hector avant que ce dernier ne prenne la parole.
— Tu penses que les filles vont le valider ?
Pablo bombe le torse puis croise les bras, le menton haut et le regard fier.
— Si je vous ai demandé d’être présent, vous deux uniquement, c’était précisément pour avoir votre confirmation avant de leur proposer.
Malin, le lynx. On peut dire que la journée ski de la veille est tombée à pic, mais je le soupçonne d’avoir orchestré ça à l’avance. Sans compter que j’avais trouvé louche qu’il insiste pour attendre le premier décembre. Tout s’explique maintenant.
— Donc, si je comprends bien, aujourd’hui on va juste devoir faire une bataille de bonhommes de neige, demain une randonnée en matinée et ainsi de suite ? questionné-je tout en analysant ce qui est écrit sur le tableau.
— C’est ça. Qu’en pensez-vous ?
Je caresse mon menton, songeur, avant de hocher la tête.
— Je suis partant, confirme Hector avant de rajuster une boucle derrière son oreille.
— De même.
Pablo frappe dans ses mains, ravi, puis range son feutre avant de décrocher l’immense cadre du mur.
— Parfait, en route, mauvaise troupe ! nous encourage le jeune homme en se dirigeant déjà vers la sortie. J’ai plus que hâte que la bataille commence !
Dire que je suis étonné serait mentir. Mon collègue est un véritable amoureux de l’hiver.
— Mais tu as passé combien de jours dessus ? s’étrangle Cynthia, les yeux grands ouverts.
Angélique, à ses côtés, analyse attentivement ce qui est écrit, la mine songeuse.
— Trois fois rien, juste un week-end, répond Pablo.
Il n’a tout de même passé plus de temps à peaufiner son calendrier que son roman, si ?
— Ne faites pas cette tête, je vous assure que j’ai bien avancé sur le boulot. Mon binôme aime bien ce que je fais en plus.
Je ne sais pas si c’est vrai ce qu’il dit, mais j’espère que c’est bien le cas, sinon on a un soldat à terre parmi nous qui joue très bien. À sa place, si mon partenaire d’écriture ne donne pas signe de vie sur Doc, je crois bien que je ferai une attaque.
— Alors, vous validez ou pas du coup ? Hector et Pablo ne sont pas contre mon plan.
Les filles se tournent vers nous et nous toisent pendant un court instant qui me semble durer une éternité. Je m’agite sur ma chaise, tente de garder contenance en esquissant un sourire. Le regard de Mélissa s’attarde brièvement sur moi avant qu’elle ne se détourne.
— C’est OK, lance-t-elle avant d’être rapidement suivie par ses colocs.
Une vague d’enthousiasme s’élève dans le salon et je m’autorise à respirer. Je ne sais pas à quel moment j’ai retenu mon souffle, mais… je l’ai fait.
— En route dans ce cas ! Tous dehors ! s’exclame Pablo.
Il plante avec soin le tableau sur la table.
— N’oubliez pas, je veux des duos. La règle est la même pour tout le monde.
Désormais debout, je me fige. Une vague de frisson remonte mon échine alors que je sens un regard couler dans mon dos avant qu’une main se pose sur mon épaule.
— Eric ? m’interpelle Mélissa.
Je déglutis, tente de masquer le trouble qui me gagne. Aurai-je le privilège de travailler avec l’autrice que j’admire ? J’ai bien l’impression que oui.
— Oui ? retourné-je.
Je tourne sur mes talons et fais face à la jeune femme. Elle est beaucoup trop proche. Terriblement proche au point que je peux presque sentir son souffle sur mon visage.
— Ça te dit ?
Ma main se glisse à l’arrière de mon cou que je frotte. Honnêtement, je ne m’attendais pas une seule seconde à ce qu’elle m’en fasse la demande, surtout après la manière dont on s’est quitté hier sur la piste de ski. J’ai encore du mal à pleinement comprendre ce qu’il s’est passé, mais en tout cas, je me sens en partie fautif. En même temps, comment trouver les mots justes dans ce genre de situation ?
Je me racle la gorge.
— Avec plaisir.
L’ombre d’une douce lueur s’allume un instant dans ses yeux puis je lui tourne le dos pour gagner le monde extérieur, le cœur battant la chamade. Pourquoi me fait-elle autant d’effet ? Pourquoi est-ce que je me retrouve tout à coup à court de paroles ? Il n’y a parfaitement rien entre nous. J’admire juste la force et la sensibilité de ma collègue. Oui, c’est ça. Il n’y a rien d’autre que ça.
— Eh, Angélique, attends-moi ! crie un peu plus loin Hector en rattrapant la jeune femme.
Je serre les poings. Notre précédente conversation tourne en boucle dans mon esprit, je doute fort maintenant qu’elle puisse être ma partenaire d’écriture. Si c’était elle, on se serait de toute évidence jaugé différemment, sauf que cela n’a pas été le cas.
Une fois dehors, un message envoyé à l’équipe éditoriale pour trouver un jury, nous nous attelons à la tâche.
— Je m’occupe du corps et toi de la tête, proposé-je, confiant.
Mélissa m’observe, silencieuse, puis hoche la tête. Nous roulons les boules tout en veillant à ne pas les rendre trop imposantes et disproportionnées. Je saurai bien incapable de dire de quand date mon dernier bonhomme de neige, mais, pour être honnête, revenir un peu en enfance, cela ne fait pas de mal. On devrait sérieusement arrêter de juger les adultes pour leurs choix.
— Je vais chercher des galets et des rameaux, tu peux t’en sortir pour le reste ? me demande ma binôme.
— Je pense que oui, réponds-je en ajustant la seconde boule sur la plus grande.
Mes pas me ramènent en arrière et j’observe sous différents angles le « bonhomme ». Qu’est-ce qu’on pourrait ajouter pour rendre plus originale notre création ? J’ai bien envie qu’on gagne la bataille, mais ce n’est pas juste avec de la neige, des cailloux et des brindilles qu’on va y arriver.
3 commentaires
Sunny NDV
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Il y a 3 jours
MelinaSANYA
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Il y a 14 jours
Gottesmann Pascal
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Il y a 15 jours