Anna C Co-auteur au premier clic Chapitre 9 2/2 - Mélissa

Chapitre 9 2/2 - Mélissa

Qu’est-ce qui m’a pris d’avouer ça ? Heureusement qu’il n’y a plus que nous deux de ce côté-là de la piste, si on n’oublie la présence du caméraman, mais quand même…


— Pourquoi est-ce que cela ne pourrait pas être un homme ? demande Eric, étonné.


Il me dévisage, la tête penchée sur le côté. Une fine ride se dessine sur son front qu’il plisse. Je crois bien que je ne vais pas pouvoir sortir facilement de cette affaire. Tout ça parce que je n’ai pas pu m’empêcher de dire tout haut ce que je pensais tout bas.


— Jamais aucun homme ne pourrait travailler le point de vue d’une femme comme elle le fait.


Il se fige et je m’arrête un peu plus loin avant qu’il ne me rattrape en faisant glisser ses skis. La température monte de quelques degrés entre nous. L’air se fait plus lourd, plus électrique, tendu.


— Pourquoi penses-tu qu’un homme ne peut pas écrire une femme alors que l’inverse est possible ?


Sa voix tremble et je regrette de lui avoir répondu plus froidement que je ne l’avais prévu.


– Parce que les hommes aiment les femmes qui ont « les formes là où il le faut ». C’est connu et ils ne s’en cachent pas.


J’agite l’index.


— N’essaye pas de me contredire. Ce n’est pas toi qui goûtes à ces remarques que ce soit sur les réseaux sociaux ou dans la vraie vie.


Pourquoi sommes-nous arrivés à cette discussion ? Pourquoi se sent-il à ce point ciblé par mes paroles ? Et… Et s’il travaillait sur le point de vue d’une femme sur son projet ? Non, non je ne peux le croire. Dans un binôme homme — femme, les deux individus ne peuvent composer que… que… Bon sang, pourquoi ai-je d’un seul coup du mal à trouver mes mots ? C’est simple. Il n’y a que deux femmes qui œuvrent main dans la main qui peut écrire ce sur quoi je bosse en ce moment. Et puis, il est fort possible que cela soit le cas. Il n’a jamais été dit question genre pour les quatre mains, mais juste de compatibilité de plumes. Sans compter que nous sommes cinq femmes contre trois hommes.


Je déglutis. Et si deux hommes travaillaient ensemble sur un MF ou un FF ?


— Mélissa, je t’assure que je ne suis pas comme ça. Nous ne sommes pas tous comme ça, se défend Eric.


Mes mains tremblent et je les enfouis dans mes poches, l’esprit en feu en repensant à certaines œuvres à succès que j’ai refermées, dégoutées, écrites par la gent masculine. Comment suis-je censée garder mon calme quand on voit la société dans laquelle on vit ?


— On a beau être en 2024, on est encore loin d’être respecté nous autres, les femmes. Et je ne parle même pas des minorités, grincé-je des dents.


Je refoule des larmes, impuissante. Tout mon être brûle, et je suis incapable d’éteindre le brasier.


— Comment peut-on dormir en paix sur nos deux oreilles quand on considère tout ce qu’il se passe chaque jour dans le monde ? As-tu déjà consulté les articles à ce sujet ? As-tu vu les chiffres ?


Je m’emmêle dans mes mots et me mords la lèvre inférieure. Je suis allée loin, beaucoup trop loin, sauf que ma colère est légitime. Trop de poids pèsent sur mes épaules. Trop de non-dits enfouis en moi.


— Sais-tu combien de fois nous autres femmes sommes jugés pour ce que nous écrivons et lisons ? N’as-tu jamais entendu une femme se faire traiter de pute parce qu’elle aime la romance ?


Les yeux d’Eric s’arrondissent tandis que sa bouche s’entrouvre sans émettre le moindre son. Il m’écoute, abasourdi par mes mots. Sauf que je suis incapable de m’arrêter. La petite voix en moi me souffle de continuer tout en déliant ma langue. Tant pis si on me prend pour une hystérique.


— Pour rester à la romance, combien de fois les gens voient ce genre comme une sous-littéraire et l’associent au porno ? Beaucoup trop de fois et rien n’est opéré pour faire changer les pensées.


Des larmes de fureur ruissellent le long de mes joues. L’injustice, la colère, la haine coulent dans mes veines. Je ne me reconnais plus alors que le trop-plein se vide pour éclater d’un seul coup.


Un mouvement sur le côté attire mon attention et je déglutis difficilement, retenant de peu mes prochaines paroles. Une caméra se tient à quelques mètres de moi et le retour à la réalité est plus que vertigineux. D’un côté, j’ai peur et j’ai envie de prendre la fuite, de l’autre, je suis fière d’avoir craché ce que je ressens au plus profond de moi, ma woman rage, comme diraient certaines.


— Mélissa…, commence prudemment Eric en s’avançant d’un pas.


Je suis incapable de reculer alors qu’il s’approche encore un peu avant de finalement se stopper, gardant tout de même une certaine distance entre nous.


— Pardon.


Pourquoi ? Je suis bien incapable de lui poser la question, et un silence tendu s’étire entre nous.


— Pardon que nous sommes comme ça. Je…


Il secoue la tête et mon cœur manque un battement.


— Aucune femme ne devrait souffrir en ce monde, complète-t-il.


J’ai la sensation qu’il essaye de se justifier, mais qu’il s’arrête à mi-chemin, se doutant que cela n’est pas forcément une bonne idée, ce que je peux comprendre.


— Nous sommes pareils. Peu importe notre genre, notre orientation et notre identité, nous sommes tous des êtres humains. Je trouve… dommage, et ce n’est sans doute pas le meilleur mot, mais, personne ne mérite de se voir juger pour ce qu’il est.


Il fuit mon regard et sa pomme d’Adam remonte. J’ai une soudaine envie de saisir ses mains dans les miennes, mais je m’abstiens. Je ne peux me permettre de baisser mes barrières. Beaucoup trop d’éléments sont à prendre en compte.


— Tout va bien ? lance la voix familière d’Estelle dans mon dos.


Je sursaute, surprise, avant de me figer, ne souhaitant pas montrer mon visage à la jeune femme. Je crains de savoir ce qu’elle pourrait lire sur mes traits, et j’ai déjà fait suffisamment de dégâts, s’il est possible de dire ça.


— Tout va bien, murmuré-je. On était juste en train de… discuter.


— Vr…, commence-t-elle avant de ravaler ses mots. Je vois.


Je tourne du mieux que je peux sur mes skis et dépasse ma collègue sans lui jeter un regard. Petit à petit, je prends de la vitesse jusqu’à me précipiter sur une descente. L’adrénaline gronde dans mes veines tandis que je cherche à apaiser mon âme.


Des larmes coulent le long de mes joues. Du moment que personne ne les voit, cela me va. Pourquoi est-ce que je suis aussi… bizarre ?

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5 commentaires

Sunny NDV

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Il y a 3 jours

Quand la colère gronde, les larmes soulagent alors que les mots ne trouvent pas toujours un écho auprès de ceux qui devraient être à l'écoute. J'ai l'impression qu'Eric se sent un peu démunie face à l'intensité de la rage qui déborde de celle qu'il risque fort de soupçonner être sa co-auteure ;-)

MelinaSANYA

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Il y a 14 jours

Ce passage… il fait mal, mais il fait du bien. C’est une déferlante de lucidité, une voix qu’on entend trop rarement avec cette force-là. Tu ne cries pas, tu déclares, tu ébranles les silences avec une vérité brutale et belle. Mélissa est en feu — pas dans la colère destructrice, mais dans celle qui éclaire, qui dérange, qui réveille. Et Eric… touchant dans sa maladresse. Merci pour ce moment de “woman rage” incarnée, pleine de sens, de cœur, et de courage. J’en ai encore les larmes aux yeux. ❤️‍🔥

Anna C

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Il y a 14 jours

Aàah yeees, Mission réussie ! Merci beaucoup de ton retour ! Battons nous pour nos droits et dénoncer les propos et gestes problématiques ! 💪🏻

Gottesmann Pascal

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Il y a 15 jours

Houla, Melissa a du en baver pour penser tout ça. En tout cas j'attends qu'elle soit étonnée par la sensibilité d'Éric lors de ton histoire. D'ailleurs Éric ne se braque pas. Il comprend juste certainement que sa coautrice est Mélissa.

Anna C

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Il y a 15 jours

Réponses à venir dans quelques chapitres. 😇
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