Fyctia

Elle agite la tête au rythme de la musique qui, je dois avouer, attire ma curiosité, même si c’est un peu trop fort à mon goût. On est plus sur un tapage nocturne, mais un tapage matinal.

— C’est quoi ce bordel ? gémit Pablo.

La jeune femme rive son regard dans celui de notre collègue. Elle est à deux doigts de le foudroyer sur place tandis que la chanson qui s’échappe des enceintes ne cesse de rugir dans tout le chalet, accompagnée de quelques éclats de rire.

— Ça s’appelle Epic the Musical, petit insolent ! crie Estelle. Je ne te permets pas d’insulter un tel chef d’œuvre.

Je grimace et pose mes mains sur mes oreilles qui me font souffrir le martyr.

Quelques pas plus loin, ses consœurs s’échangent un coup d’œil ou lèvent les yeux au ciel. Elles tournent ensuite pour se reconcentrer sur leur sapin qu’elles n’ont pas encore réussi à terminer de décorer alors qu’elles sont plus nombreuses. Certaines auraient-elles profité pour faire la grasse matinée ou… Je déglutis et me rappelle brusquement comment j’avais entamé la journée : en écrivant entre deux croissants. Il faudra que je contrôle Discord et Doc plus tard. Si ça se trouve, ma binôme a beaucoup avancé de son côté.

— Attends… Mais je connais, avoue Hector en hurlant en retour. Je suis juste en retard d’un ou deux albums, mais je suis fan, surtout de l’arc de Circé.

Bon sang, ils ne vont pas commencer au milieu de ce chaos à débattre sur leurs chansons préférées, si ? Comment font-ils pour s’entendre dans ce désordre ?

Mes yeux se plantent sur Mélissa qui me fait signe de garder le silence tout en posant son index sur ses lèvres alors qu’elle s’approche d’un téléphone qui se trouve sur l’une des enceintes. Pas besoin d’être savant pour comprendre à qui il appartient : Estelle. En seulement quelques secondes, la musique s’éteint, et je pousse un soupir de soulagement. Un peu plus et je crois bien que je serai devenu sourd.

— Qui a osé ? s’étrangle l’amoureuse de mythologie grecque.

Mélissa s’éloigne à toute vitesse, l’appareil toujours en main. Je devine la suite avant même que la scène se joue sous mes yeux : une course poursuite autour de la table de l’espace salle à manger qui se tient à l’opposé du salon.

Cynthia observe, amusée, une main posée sur la bouche pour étouffer un fou rire. À ses côtés, Marie se tourne en direction du sapin, comme prête à le protéger de ses bras écartés au cas où les deux poursuiveuses s’en approchent. Je doute fort qu’elle réussisse à contenir les deux furies.

— Pitié, Mélissa, rends-moi mon téléphone, grogne Estelle.

— Seulement si tu nous promets au moins de ne pas mettre le son à 100 %, rétorque la fuyarde.

Je déglutis et découvre la présence d’une des caméras dans l’angle de l’espace salon. Nul doute que cette scène finira dans l’émission et je ne suis pas certain que les deux jeunes femmes en soient vraiment ravies.

— Bon, OK, d’accord, j’abandonne, soupire Estelle.

Elle s’arrête et se plie en deux pour reprendre son souffle, le visage rouge.

— Fichu cardio.

— Tu m’étonnes, après ton déhanché…, ajoute Marie. Ce serait bien que tu mettes autant d’énergie pour décorer le sapin ou le salon, au moins.

Je prends soudain conscience que je suis toujours dans le couloir et je m’avance avant de me laisser tomber sur l’un des bancs de la salle à manger. Mes coudes se plantent sur la table tandis que mon regard reste concentré sur Mélissa qui rend à sa camarade son téléphone.

— Vous voulez peut-être un peu d’aide ? me risqué-je à demander.

Cette phrase me coûtera peut-être à l’avenir, car je peux aisément imaginer des téléspectateurs réagir à cette réplique et commencer à se faire des films, sauf qu’il n’y a absolument rien d’ambigu. Nous ne sommes pas dans une romance et ce ne sera jamais le cas.

— Je ne dirai pas non et les autres non plus, je pense, répond Mélissa en jetant un coup d’œil à ses colocs qui hochent la tête.

Décision adoptée, je quitte le banc et ramasse sur la table deux boules, une argentée et une personnalisée avec un Stitch dessus pour les suspendre sur le sapin. De son côté, Hector, comme une bonne heure plus tôt, récupère une échelle qu’il installe au pied de l’arbre.

— Si vous avez besoin d’accrocher quelque chose en haut, faites-moi signe, lance-t-il.

— C’est vraiment gentil à toi de prendre le risque, sourit Marie.

Mes yeux se posent sur Mélissa. Elle agite nerveusement une guirlande et je m’approche d’elle pour attraper un bout afin de lui faciliter la tâche. Elle me semble un plus détendue plus tôt, mais je peux remarquer une légère tension dans ses gestes. Elle tremble, presque imperceptiblement.

— Merci, murmure-t-elle.

Je hausse les épaules et esquisse un faible sourire encourageant.

— Ce n’est rien.

Nos mains se frôlent au moment où elle déroule l’ornement, et je frissonne. Comment un simple contact peut-il faire tant d’effet ?

— Pardon, chuchote-t-elle.

Mes sourcils se froncent tandis que l’incompréhension gronde en moi. Mes lèvres s’entrouvrent, mais en fin de compte, aucun son n’en sort. Je secoue la tête et m’approche du conifère en espérant que ce qu’il vient de se passer n’éveille pas certains esprits alors qu’un mauvais pressentiment fait finalement son chemin. En tant qu’auteur, j’ai parfaitement conscience de ce que le simple contact d’une main signifie. Sauf qu’il n’y a rien du tout entre la jeune femme et moi. Je ressens juste de l’admiration pour elle, et c’est tout. Cela ne risque pas de changer de sitôt.