Fyctia

16 novembre 2024

Levé un peu trop tôt à mon goût, le corps désormais shooté à la caféine, je suis le groupe le long des rues du village. Mes mains sont parfaitement enfoncées dans les poches de mon manteau tandis que mon crâne est couvert d’un bonnet. Il ne manquerait plus qu’un pompon et j’aurai le look idéal pour un cliché de Noël au milieu de ce paysage montagnard qui ne devrait plus tarder, j’ose espérer, être nappé par une immense quantité de neige. Après tout, pourquoi venir ici si le cadre n’entre pas dans les attentes de nos éditrices pour que nous puissions écrire au mieux nos romances ? L’Alsace aurait sans doute été plus juste comme choix, mais pourquoi concentrer un pays aussi beau que la France à seulement un point ?

— Par contre, quelqu’un a pensé à ce qu’on fera des sapins une fois que tout ceci sera terminé ? demandé-je, tout à coup conscient que louer serait une bien meilleure idée.

Je n’ai pas lu le document, mais peut-être qu’il est préférable de passer par une alternative plus raisonnable que l’achat ? Déjà qu’on va avoir droit à de vrais conifères et non pas à ceux vendus en plastique, on ne va tout de même pas gâcher un si noble arbre, si ?

— D’après l’équipe, il est possible de les déposer à la mairie une fois les fêtes terminées, répond Pablo, le nez rivé sur son téléphone.

Qu’est-ce qu’on ne ferait pas sans lui ? Le jardinier s’annonce plus organisé que je ne le croyais avant le départ. Si ça se trouve, depuis la réunion, il a revu sa manière de travailler. Après, il est vrai que ça peut tout et rien dire. On peut très bien planifier un roman et être incapable de gérer une maison.

— Quand il y aura de la neige, il faudra à tout prix qu’on teste les pistes de ski, enchaîne le jeune homme. Ou sinon, on peut faire une promenade en raquettes si vous êtes un peu peureux.

Il adopte une courte pause tandis qu’un large sourire étire ses lèvres.

— Pour la luge, je ne sais pas si c’est possible pour les adultes.

— Quand tu parles de ski, de quoi est-ce que tu parles précisément ? reprend Marie.

Pourquoi est-ce que je sens que ce n’est pas une bonne idée ? Et si quelqu’un se blesse ? D’un côté, ça nous éviterait de trop sortir des chalets pour davantage nous concentrer sur le travail, ce qui ne serait pas plus mal. Bon sang, je suis un monstre.

— Alpin et de fond. Je le dis d’avance, mais je préfère la deuxième possibilité.

Qui n’aime pas le ski de fond en même temps ? Personne, je pense. Quoique… Le gang des Grinch. Mais je ne leur en veux pas. Décidément, je saute du coq l’âne.

— Tu n’es pas trop bavard, m’interpelle Mélissa.

Je fronce les sourcils et considère la jeune femme qui se tient à mes côtés. Ses longues mèches brunes effleurent son délicat visage qu’elle a légèrement maquillé.

— Toi non plus, retourné-je sans méchanceté.

Elle hausse les épaules puis reporte son attention devant elle. La rue me donne l’impression d’être sans fin, mais au moins, le paysage est agréable à regarder. Revenir à la nature, ça fait du bien.

— Et pourtant, c’est moi qui viens d’ouvrir la conversation.

— Si tu veux.

Ma collègue accélère la marche, me force à la rattraper avant qu’elle ne reprenne d’une voix un peu plus dure :

— C’est tout ce que tu as à dire ?

Bon sang, mais qu’est-ce qu’elle cherche ? Pourquoi ce soudain changement de comportement ?

— Quelque chose ne va pas ? Tu me parais assez tendue depuis ton arrivée, commencé-je avant d’essayer de détendre l’atmosphère. Tu es inquiète sur la timeline ?

Elle soupire et enfouit le bas de son visage dans son manteau.

— Qui ne le serait pas ? Enfin, je dis ça, mais j’ai l’impression que cela ne fait pas peur une seule seconde nos collègues.

Du coin de l’œil, je remarque un des caméramans nous tourner autour. Bien sûr que c’est intéressant pour lui de filmer la scène qui se joue entre Mélissa et moi, mais je n’aime pas ça du tout. Pourquoi les gens prennent plaisir devant les doutes des autres ?

— Je vois parfaitement ce que tu veux dire, finis-je par prononcer d’une petite voix.

J’inspire à pleins poumons l’air frais du matin.

— J’ai espoir que nos éditrices en ont conscience et que si elles n’ont donné deux mois pour écrire notre roman, c’est parce qu’elles croient en nos capacités.

J’ai beau être davantage un passionné de fantasy que de romance, j’ai tout de même parcouru certains titres de mes confrères et consœurs et rédigé deux feel good. Ça ne fait pas de mal d’étendre son horizon, au contraire, ça nous aide à découvrir le monde sous un autre angle et à briser certains préjugés.

— Tu sais quoi ? Ton petit dernier, L’aube de nos jours, je l’ai lu à sa sortie et j’ai beaucoup aimé la manière dont tu as dépeint les relations entre tes différents personnages. C’était vibrant, confessé-je.

J’offre un clin d’œil qui se veut encourageant à la jeune femme, les battements de mon cœur accélérant un peu plus.

— La personne qui travaillera avec toi aura beaucoup de chance.

L’autrice se fige et m’observe, les yeux grands ouverts, la bouche entrouverte. J’espère qu’elle comprend que mes mots sont sincères. Le mensonge est loin de faire partie de mon arc.

— C’est vrai ? questionne-t-elle.

— La pure vérité. Tu as une plume sublime. Tout en délicatesse, en poésie, mais surtout en humanité. J’avoue que j’ai versé ma petite larme sur la fin.

Avant même qu’elle puisse répondre, Estelle nous rejoint et je prends soudain conscience qu’il y a une sacrée distance entre les autres et nous.

— Arrêtez un peu de flirter, les sapins ne vont pas se porter tout seuls, s’amuse-t-elle.