Fyctia

Sur ces mots, le jeune homme nous abandonne pour récupérer une pochette sur la table basse du salon. Après-coup, la lumière se fait dans mon esprit.

— C’était donc ça, murmuré-je. On l’a aussi, je crois l’avoir aperçu sur le comptoir, dans le couloir.

— Quel meuble ? demande Cynthia. Explique-toi.

— Le rangement à chaussures.

Je porte ma main dans mes cheveux que j’ai attachés aujourd’hui en une haute queue de cheval. Un peu plus de longueurs et j’aurai pu ressembler à la précédente era d’Ariana Grande.

— Ah oui, effectivement, je l’ai vu, reprend ma collègue. Faudra qu’on check ça du coup en rentrant, mais en attendant, Pablo, tu peux nous dire s’il y a des informations en ce qui concerne les sapins dedans ?

L’auteur hausse les épaules puis ouvre la pochette pour y retrouver la feuille où sont notées les coordonnées d’un vendeur. Et voilà, un problème de réglé, même si de loin, ce n’est pas le plus urgent.

— On ira récupérer tous les trois les sapins, annonce Hector.

— On peut vous aider nous aussi, hein. On n’est pas des petits êtres fragiles, ça va, grommelle Cynthia.

— Je suis d’accord avec elle, ajoute Estelle.

Hector lève les mains. Je crois bien que je ne vais avoir le droit de donner mon opinion, mais… Pourquoi pas ? J’ai bien envie de me défouler un peu les jambes après les heures passées dans le train puis le taxi.

— OK, pardon, je ne voulais pas être maladroit. On sortira tous ensemble du coup, je suppose ?

Je n’ai pas le temps de prononcer quoi que ce soit que Marie répond :

— Bien évidemment ! Je conseille même qu’on y aille demain. Plus vite ce sera fait, mieux ce sera. Rien ne garantit que d’ici le premier décembre il y en a encore.

Quand on songe qu’aux USA les sapins sont déjà installés dans les maisons dès le premier novembre. J’ai beau le savoir depuis une éternité, cela me surprend à chaque fois. Comment font-ils pour ne pas avoir une overdose de la magie de Noël à passer deux mois entiers à écouter Mariah Carey ? La simple pensée de cette chanteuse active All I Want for Christmas is You dans ma tête. Ça commence mal.

— Tu en fais une tête, souffle à mon attention Estelle. Tu es sûre que tu te sens bien ? Tu n’as pas digéré la route ?

Trop de réflexions tuent la réalité. Faut que je fasse gaffe à ne pas trop divaguer sinon on va croire que… Que quoi même ? Il n’y a absolument aucun problème, nom d’un poisson-chat.

— Je t’assure que tout va bien, réponds-je. Je pense juste au fait qu’on a encore les affaires à ranger avant de travailler.

La jeune femme lève les yeux au ciel puis m’observe comme une mère qui cherche à apaiser son enfant.

— Zen, profites un peu des vacances.

— Quelles vacances ? Nous ne sommes pas là pour nous reposer, mais pour…

— Détends-toi, Mélissa, tu n'as pas à te mettre autant de pression, je te l’assure, me coupe Marie. Tu verras, nos manuscrits seront tout beaux d’ici deux mois, si on oublie les étapes après le premier jet, bien sûr.

Comment font-ils tous pour ne pas stresser ? Ont-ils déjà préparé un plan solide avant même d’échanger avec leur binôme d’écriture ? Je ne sais pas, mais je veux bien leur secret. D’un côté… Je risque fort de faire un burn-out si je n’apprends pas à me détendre.

Estelle attrape mon verre de champagne que j’ai à peine entamé puis me le tend. D’un geste presque mécanique, je l’accepte sans pour autant le porter à mes lèvres. Maintenant que j’y pense, je crois n’avoir jamais bu une goutte d’alcool aussi tôt, et cela ne va pas changer. Aujourd’hui, c’est une exception. Que cela ne devienne pas une habitude.

— Allez, si tu as tant que ça besoin d’écrire, tu auras tout l’après-midi et encore la nuit pour ça.

Elle tourne sur elle-même et agite négligemment la main tout en faisant voler ses longues mèches blondes dans son dos.

— Pas de réveil, pas de planning, tranquille !

Mon regard glisse en direction d’Eric. Jusqu’à présent, je n’avais pas remarqué que le jeune homme semble… à moitié présent ? Ses doigts caressent sa fine barbe avant qu’il ne fronce les sourcils.

— Qu’est-ce qu’il y a ? demande-t-il.

— Rien, pardon, lancé-je à toute vitesse avant de plonger mon attention vers ma coupe pour boire une petite gorgée de champagne.

Est-ce que lui aussi songe déjà à aller écrire ? Peut-être bien que j’ai trouvé quelqu’un qui me comprend. Quel dommage qu’on ne puisse pas savoir qui est notre binôme, mais je veux croire qu’on finira assez vite par découvrir qui est avec qui. Comment pourrait-on tenir longtemps notre langue sans divulguer notre projet ? En temps normal, un auteur a toujours un ou deux confidents à qui révéler ses idées loufoques, voire un canal Instagram pour teaser. Seul un loup-garou serait capable de se murer dans le silence. Bon sang, ça donnerait quoi un mélange entre la version télé du jeu et… Je ne sais pas. Non, en fait, je ne comprends pas ce que mon cerveau vient d’essayer de me transmettre.

— Bon, demain, à la première heure, on part chercher les sapins, récapitule Pablo. Ça vous va ?

Nous hochons tous la tête, Eric et moi en dernier. Affaire conclue. Ça me laisse tout le temps pour ranger ma valise puis m’organiser pour le boulot. Parfait.