Fyctia
Chapitre 2 2/2 - Eric
À ce rythme, je vais finir par demander si mon aînée a vraiment fait des études en éditions. J’ai plus l’impression qu’elle sort d’une licence Art du Spectacle qu’autre chose. Comment fait-elle pour vivre avec autant d’énergie au quotidien tout en étant enfermée dans un bureau ?
— Par contre, je ne sais plus où on l’a rangée, il faudra que vous la cherchiez.
Un large écran plat se dresse dans un coin, et assez près de l’immense table en bois, des enceintes. De quoi se détendre, travailler et faire la fête à la fois entre deux dégustations. Je crains en revanche qu’on ait beaucoup de temps pour nous reposer entre deux sessions d’écriture.
— Bien sûr, vous aurez le droit d’inviter les filles, rien ne vous l’interdit, conclut Nicoles.
Je lève les yeux au ciel. Je ne sais pas si je dois rire ou non, mais cette remarque ne me touche pas comme elle doit l’espérer, je suppose. Nous sommes des adultes, des travailleurs, et non des adolescents en pleine colonie de vacances. Mes collègues sont juste des collègues. Il n’y aura jamais rien d’autre entre nous que le respect et peut-être l’amitié.
— Nous avons un livre ou plutôt, quatre livres à écrire avant tout, marmonné-je. Je doute que nous ayons beaucoup de temps pour nous amuser en dehors de Noël et du Nouvel An.
Mes mots s’accrochent à moi au point de me fendre le cœur. Toute mon attention se détourne des paroles de mon éditrice. Au plus profond de moi, je ne peux oublier les dernières discussions que j’ai eues avec ma famille. Mes parents n’ont nullement changé d’avis après mes « supplices ». Ils vont monter en Alsace pour les fêtes. J’ai beau avoir lu une étincelle de fierté pour mon travail dans leurs yeux, je ne peux m’empêcher d’avoir mal à l’idée qu’ils aient refusé mon invitation. Cette année, je serai seul, en quelque sorte. Je ne sais ce que prévoient les autres, mais je suppose qu’eux auront réussi à négocier avec leurs proches pour qu’ils puissent venir les rejoindre ici. Il faut à tout prix que je mette de côté la jalousie qui commence à gronder au plus profond de mon être.
— Tu as des questions ? me ramènent à la réalité mon éditrice.
Je lève les yeux dans sa direction et fronce les sourcils.
— Non, ça ira, réponds-je.
Sur ces mots, je la dépasse et monte les escaliers pour accéder à l’étage. Comme prévu, je découvre quatre chambres, en plus de deux salles de bains et de deux toilettes. En comptant ceux au rez-de-chaussée, ça fait trois sanitaires, parfait. On n’est jamais assez prudent. Qui sait si quelqu’un à la chiasse ?
De retour sur mes pas, je regagne l’une des pièces pour déposer ma valise. Un lit double trône contre un mur, encadré de deux modestes tables basses blanches. Mon attention glisse vers ma droite. J’observe un bureau, une chaise ainsi qu’une large commode. L’endroit sent bon le propre et est bien plus humble que les autres chambres surchargées. Je n’ai pas besoin d’une télé ici, seulement de l’espace pour dormir et écrire, c’est tout. Mon mode de vie en choquerait plus d’un, mais pour moi, cela me va parfaitement. J’aime la simplicité.
Après avoir abandonné près de la commode ma valise, je rejoins le salon. Il n’y a désormais plus aucun signe de mon éditrice que je soupçonne m’avoir quitté pour sans doute accueillir mes confrères auteurs. J’hésite à la rattraper ou à retourner à l’étage pour ranger mes affaires. Peut-être que la seconde option est la plus pertinente, je n’aurai ainsi plus besoin de penser à mes vêtements après. Ça me fera un problème en moins et je suis certain que Hector et Pablo auront beaucoup à raconter avant de se mettre au travail.
La décision prise, pour la seconde fois en quelques minutes dans ma nouvelle chambre, j’ouvre ma valise et en extirpe avec soin mon linge. Pendant un infime instant, mon intention se concentre sur la pochette de mon ordinateur. Il est presque tentant d’allumer l’appareil, mais…
Je soupire et entasse mes pulls, dont deux moches, puis mes pantalons dans la commode. Je pense qu’il est encore un peu trop tôt pour commencer à travailler. Que diront mes deux nouveaux colocs de moi si je m’isole ? OK, je ne fais pas toujours très attention à mon image, mais là, montrer le malade de l’écriture que je suis à l’action est…
— Hello ! Il y a quelqu’un ? rugit la voix de Pablo en bas.
Nous y voilà. Soit, quand il faut y aller, faut y aller. Rester enfermé en silence est loin d’être une bonne idée.
— J’arrive ! réponds-je dans un cri.
Je frappe dans mes mains et abandonne mes affaires à moitié rangées pour rejoindre les nouveaux venus. Si je ne perds pas du poids au cours des deux prochains mois à force de faire du sport dans les escaliers, je ne comprends pas. Même s’il y aura le repas du réveillon de Noël, de Noël et du Nouvel An entretemps.
— Quel plaisir de vous voir ! m’exclamé-je après avoir dévalé à toute vitesse les marches.
Hector, après avoir passé une main dans ses boucles blondes pour les ramener en arrière, m’assène une frappe dans le dos. Je retiens mon souffle pendant un court instant, à deux doigts de perdre l’équilibre. J’accepte ensuite la poignée de main de Pablo qui m’offre un vague sourire, comme pour s’excuser de la force de notre coloc.
— Je vois que ça n’a pas lésiné sur le sport, poursuis-je en détaillant brièvement du regard Hector.
Depuis le premier août, j’ai bien l’impression qu’il a pris du muscle au niveau des bras.
— Pas de repos pour les braves, lance joyeusement le concerné.
— La légende raconte qu’il a été à deux doigts de nous claquer des pompes dans le train, grommelle Pablo.
Il hausse les épaules puis se tourne en direction de ses valises. Dire que je suis surpris serait un sacré mensonge. Notre collègue, même en salon, ne s’arrête jamais vraiment de faire du sport. À ce qu’il paraît, ça l’aide à travailler son cerveau et simuler ses idées. Et je le crois. Nous avons tous une manière différente d’aborder l’écriture et la création, et ça, c’est beau.
— Tu nous fais la visite du lieu ? me demande Pablo, une courte mèche sombre tressautant sur son front.
On dirait bien que je n’ai pas le choix.
— Allons-y, conclus-je en leur faisant signe de la main de rejoindre l’étage.
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Soäl
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Il y a 11 jours
Ama Ves
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Il y a 13 jours
Scriptosunny
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Il y a 14 jours
Gottesmann Pascal
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Il y a 17 jours
Anna C
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Il y a 17 jours