Ophélie Jaëger Close(d) to me track 25 - Hand in My Pocket

track 25 - Hand in My Pocket

Ce n’est pas une question de sa part, c’est un constat. Et je secoue la tête pour lui apporter cette réponse qu’il ne demande pas. Si Noël est une fête familiale, le jour de l’an a toujours représenté un compromis, une soirée entre amis, chez les uns, chez les autres, dans un bar ou même sur les quais, une année. Mais des amis, je n’en ai plus aucun. Ne me reste que cette conversation WhatsApp sur laquelle je les vois s’enthousiasmer à l’approche de cette soirée déguisée qu’ils organisent dans le nouvel appartement de Damien. Thématique “années 90”, et dans mes rêves j’ai déjà mon costume. De toute façon, je n’ai aucunement l’intention de célébrer une nouvelle année écoulée chez moi. Enfermée.


— Et toi ? je demande à nouveau pour la forme.

— Soirée pro organisée par mon patron pour impressionner les gros clients du cabinet.


L’euphorie n’est pas au programme, et je me garde bien de l’interroger davantage. Idris n’évoque que très rarement son emploi, et lorsqu’il le fait le mot “cabinet” sonne comme une injure à ses lèvres. Il en expire un soupir si long que les volutes de condensation semblent s’étirer un moment. Je meurs d’envie de le questionner, mais n’ose pas. Peut-être est-ce ma crainte de le lasser qui se matérialise, ou bien ma volonté de ne pas être invasive, je crains qu’au détour d’une question jugée trop indiscrète ou dérangeante, il se braque et se referme.


— On va rentrer, tonne-t-il d’ailleurs comme pour mieux me donner raison.

— Non, pas tout de suite.


Je veux rester encore, profiter de la vue et de cette étincelle de vie hors les murs. Je refuse d’y retourner si tôt sans la perspective de pouvoir m’en extraire à nouveau.


— T’es frigorifiée, plaide-t-il en avisant ces mains sur lesquelles je souffle toujours.


Ce n’est pas le seul indice. Je grelotte aussi malgré son blouson. L’air frais me fouette les joues et me tire quelques larmes, mais je tiens bon, et m’abreuve de toute cette étendue offerte par ses soins.


— On reviendra, m’assure-t-il en se levant déjà.


Une main s’étire vers moi. Je l’observe un instant, hésitante entre deux choix.


— Promis ?

— Promis.


Alors, seulement, ma paume glisse contre la sienne. L’instant d’après, je suis de retour sur son dos. Les gamelles abandonnées sur le zinc, je m’enivre une dernière fois du panorama. Une promesse est une promesse, mais la vie m’a déjà réservé quelques mauvaises surprises. La dernière fois, j’ignorais qu’il s’agissait de la dernière fois, justement. Aujourd’hui, si c’est encore le cas, alors je veux en profiter pleinement. Et le manque s’installe déjà.


Dans les étages suivants, c’est un autre qui s’accroche à mon esprit. Chaque marche sonne le glas de ce qui sera ou ne sera pas. Idris ne dit rien, il se contente de redescendre en silence. Comme à l’aller, mais en plus pesant. Ce mutisme n’a plus rien de léger ou satisfaisant, il est lourd de non-dits. Les miens. Ceux que je n’ose formuler, même dans ma tête. Parce qu’il fait nuit, parce qu’il est tard, parce que j’ai froid, parce que j’ai peur.


A notre étage, lorsque ses lèvres se déposent sur l’une de mes pommettes avec un respect que je souhaiterais lui faire ravaler, c’est l’agonie qui s’installe dans mes tripes. Ses pas l'éloignent, et pourtant je ne rentre pas. Ce seuil qui fut ma torture et mon salut, j’en repousse la traversée. J’attends qu’Idris disparaisse ou qu’il reste. Il ne restera pas, pourtant je l’espère. Il ne restera pas parce que je ne le demande pas. Du moins, pas avec des mots. Il suffirait de ça, j’en ai l’intuition. Un souffle, un murmure, rien de plus. J’y arrive pas. Aussi c’est en silence que je l’observe ouvrir sa porte et…


— Putain de merde !


… Se figer. Je n’en comprends la raison qu’au froid qui s’insinue dans le couloir par sa porte grande ouverte. Merde, il aère toujours ? Lorsqu’il s’enfonce dans son appartement, je prends sa suite et m’y engouffre à mon tour. C’est pire que sur le toit, il y règne des températures inattendues. Idris s’empresse de clore toutes les fenêtres, mais c’est trop tard. Il va falloir des heures avant que son intérieur soit à nouveau praticable.


— J’crois qu’il va impérativement falloir que tu me rendes mon blouson, lance-t-il en revenant dans le salon et avisant ma présence.

— Ou alors, dis-je en élevant un index en l’air. Ou alors, tu peux rester un peu chez moi.


Dans une vaine tentative de nonchalance, je hausse même les épaules laissant entendre que ça pourrait m’être totalement égal.


— Un peu ?


S’arme son très habituel sourire en coin qui remonte en un battement de cœur jusqu’à ses yeux.


— Le temps que ton appart chauffe, oui.

— Il faudra des semaines.

— N’exagère pas.

— Des jours ?


Une moue dubitative aux lèvres, je lui fais signe d’une main de revoir ses prétentions à la baisse.


— Une nuit ?

— Voilà, là on va pouvoir s’entendre.


Son sourire s’élargit, gagne le deuxième coin et s’étire. J’y vois du soulagement. A cause du froid ? A cause de moi ?


— Et Malik ? je réalise alors.

— Chez ma mère, me rassure-t-il en me rejoignant sur le seuil.


Tant mieux, sinon ma proposition changeait brusquement de perspective. Idris s’approche, et pourtant je ne bouge pas. J’hésite, j’ai encore une question. Elle me brûle les lèvres et empoisonne mon esprit. Elle ankylose mes membres et handicape mes mouvements. Idris le devine comme il semble le faire pour tout ce qui me concerne. Il me donne l’impression d’être un livre ouvert. Un livre à la lecture complexe, mais qui se laisse compulser. Ses doigts accrochent le col de mon blouson, ou plutôt du sien, et le miel se déverse sur moi pour m’enrober d’une confiance que je n’ai pas.


— T’as oublié une bonne question, tout à l’heure, j’ose enfin.

— Laquelle ?

— Idris, je plagie de cette petite voix aiguë utilisée plus tôt par ses soins. Et si c’était à refaire ?


J’ai accepté une nuit sans en préciser le programme. Evidemment que je sais ce que j’aimerai y faire, entre autres, mais… Et lui ? Son éclat de rire se répand jusque dans le couloir. Bref, chaud, cognant comme le tonnerre. Il me repousse doucement, m’amenant à sortir de son appartement et rejoindre les parties communes. Sa porte claque dans son dos.


— Je ne pensais pas être d’une si grande subtilité, rétorque-t-il en me faisant reculer jusqu’à mon seuil à moi. Oui, évidemment. Sur le champ, même.


Et cette fois, c’est ma porte qui claque dans son dos.


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2 commentaires

Dine79

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Il y a 2 mois

💞 toujours là et à jour
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