Ophélie Jaëger Close(d) to me track 24 - No Limit

track 24 - No Limit

Rita


— Comment ça, t’as pas de manteau ?


Sur le seuil, une main sur la poignée, Idris me contemple avec stupeur. Je me fais l’effet d’une enfant après confession d’une grosse bêtise. Pourtant, je ne vois pas ce que cela a de surprenant de la part d’une nana qui vit recluse depuis plus de quatre ans. Qu’est-ce que j’irais foutre en manteau dans mon appartement parfaitement chauffé ?


— Et tu sais ce que je n’ai pas non plus ? Des moonboots, un parapluie, ou même une foutue appli podomètre. Et t’sais pourquoi ? Parce que j’en ai pas la moindre utilité !


Le coin de ses lèvres tressaille. Il lutte contre un sourire, cet imbécile ! Plus je m’agace, et plus monsieur prend son pied. Je tape du talon sur le sol, croise les bras, et Idris élève deux mains en guise de drapeau blanc. Il expire ce rire qu’il retient, et je le vois se concentrer pour se recomposer un sérieux de surface. Zéro pitié, cet homme ne fait pas grand cas de mon handicap.


— Ok, ok, mais avant ça, tu devais bien avoir une veste, un manteau, quelque chose ?

— Oui, certainement quelque part dans un carton, mais t’as trois heures devant toi et le numéro de l’inrap pour lancer une campagne de fouilles dans mon appart ?


De deux doigts, il pince l’arête de son nez qui se plisse sous le froissement de ses sourcils. Deux doigts que j’attrape d’une main et force à libérer sa naissante migraine.


— Pourquoi tu te donnes autant de mal ? J’vais pas réussir à sortir de toute façon.


Jamais encore il ne s’était inquiété de cela. Pas une fois, il ne s’est soucié des températures extérieures ou du fait que je puisse avoir le karma de choper la crève la seule fois où j’aurais l’audace de foutre un pied en dehors du bâtiment. Ni moi, d’ailleurs. J’ai jamais eu la prétention d’y parvenir suffisamment longtemps pour avoir la nécessité de me couvrir. Ou d’y parvenir tout court, finalement.


— Ok, tant pis, c’est pas grave, lance-t-il plus pour lui-même que pour moi.


L’instant d’après, il a tourné les talons et prend la direction de son propre appartement. Mon cœur rate un battement, puis de nombreux autres et finalement cavale pour rattraper ces pulsations manquées. Je ne sais pas ce qui me blesse le plus, qu’il ait abandonné aussi facilement, ou cette main captive de la mienne un court instant dont il a reprit possession sans la moindre difficulté ?


— Non, mais attends, on peut quand même essayer ? je hurle à travers nos portes respectives restées ouvertes. S’il te plait, sois pas comme ça…

— Comme quoi ?


Sa voix tonne à moins d’un mètre alors que je l’imaginais déjà dans les profondeurs de son deux pièces. Idris repasse le seuil, son attention portée sur le machin qu’il a entre les mains. Non, pas un machin, un blouson. Son blouson, je réalise tandis qu’il passe et repasse un pouce sur le tissu en daim.


— Ta mère avait raison, le gros sel fait des miracles, marmonne-t-il en revenant vers moi.

— Ma mère ? je répète bêtement.

— Oui, non rien, tiens, enfile ça. Ça risque d’être un peu grand, mais…


J’observe le manteau qu’il me tend et étire l’instant durant lequel je ne m’en saisis pas. Je marque le coup de mon obstination à la contrariété.


— Tu ne me forceras pas à sortir, Idris.


La pointe de mon pied se joint au martèlement de mon palpitant. C’est plus de l'agacement, mais de la nervosité. Je suis terrifiée face à son entêtement.


— Je t’ai déjà forcé à quoi que ce soit ?


Non. Et je le confesse en lui arrachant le blouson des mains avec humeur. Un vêtement dans lequel je me noie et dont je savoure le confort et la qualité bien malgré moi. Je suspends mes gestes lorsque Idris s’empare de la fermeture éclair pour la remonter jusqu’à mon menton. Je pourrais m’irriter, me sentir infantilisée, je suis encore capable de fermer un manteau seule, mais… Ma respiration se bloque et je fixe comme une idiote sa concentration et son regard qui remonte en même temps que ses doigts. Est-ce que j’aimerais que ses mains poursuivent leur course et s’emparent de ma mâchoire pour mieux permettre à ses lèvres de fondre sur les miennes ? Absolument. Est-ce que je résiste de toutes mes forces pour ne pas le faire à sa place ? C’est possible aussi. Est-ce que j’expire un souffle frustré lorsqu’il s’écarte et prend la tête de la marche ? Pffff…


Précipitamment, je cavale et m’accroche à son ombre pour ne pas me laisser distancer. Je l’observe dépasser l’ascenseur et opter pour les escaliers. Ça ne m’arrange pas, j’ai encore du mal avec les étages, mais bientôt la surprise supplante l’appréhension dans mes entrailles.


— Tu montes ? je m’étonne en le découvrant sur la troisième marche direction le sixième étage.

On monte, me reprend-il tandis qu’un bras s’allonge et qu’une main s’étire dans ma direction.


J’hésite, m’interroge, contemple l’infinité de marches au-dessus de ma tête et cette rampe qui s’enroule encore et encore jusqu’à un huitième étage dont je ne connais rien. Certes, il y a moins à gravir qu’à descendre, mais je ne vois pas comment m’enfoncer plus dans les profondeurs de l’immeuble est supposé m’aider à en sortir.


— Fais-moi confiance, insiste-t-il de cette main qui réaffirme sa présence sous mon nez.


Et j’obtempère car oui, évidemment que je lui fais confiance. Il est le seul à m’avoir mené aussi loin, je n’ai donc aucune raison de douter de ses techniques, certes peu orthodoxes mais avec un sacré taux de réussite sur ma personne. Quand bien même il souhaiterait m’emmener boire un verre chez Burkowski, j’aurai foi en son projet. Moins en sa santé mentale, cela dit. Aussi, je glisse ma main dans la sienne, et lorsque ses doigts s’entremêlent aux miens, je réprime un sourire. Qu’il me prenne la main pour m’aider à juguler mes angoisses, j’ai l’habitude. Mais ça, c’est nouveau, c’est intime, et j’aime assez. Instinctivement du moins, car soudain un flot d’interrogations s’abat contre mon front en un tsunami de doutes et spéculations.


En parler avec Mika ne m’a aidé en rien, ce matin. J’espérais une épiphanie, ma psy ne m’a offert que plus de questions sans réponse. Mais elle a raison sur un point, comment pourrais-je savoir ce qu’attend Idris lorsque je ne suis même pas certaine de ce que je veux, moi ? Peut-être n’espère-t-il rien d'autre que quelques améliorations à notre amitié naissante ? Dans ce cas, je n’aurais à craindre aucune lassitude de son côté. Mais est-ce que cette amélioration suppose d’autres amitiés améliorées avec lesquelles je devrais me confronter ? Non, stop ! Il ne faut pas que j’aille par là. Je ne dois questionner que moi, mes envies, mes désirs, mes besoins, ce que j’attends de lui, et ensuite je pourrais envisager de faire concorder nos perspectives. Oui, ok, mais il se passe quoi si je découvre trop tard que ça ne concorde pas ?


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8 commentaires

Gottesmann Pascal

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Il y a 2 mois

Un simple manteau permet d'envisager de sortir. Les techniques d'Idris ne sont pas les plus orthodoxes mais rien ne convient mieux à Rita alors qu'il continue et persévère. Effectivement, il ne la force à rien et c'est tout à son honneur.

Le Mas de Gaïa

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Il y a 2 mois

À force d'angoisser sur leur relation, elle va oublier d'angoisser sur la sortie XD

Marion_B

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Il y a 2 mois

Bon ils vont continuer longtemps à faire comme si de rien n'était ?
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