Fyctia
track 23 - Killing In The Name
— Mais… C’est toujours d’actualité ?
— Pourquoi pas ?
Son calme m’intrigue et quelque part m’inquiète aussi. Où sont passés sa répartie et son mordant ? C’est un Idris quelque peu éteint qui végète sur mon canapé, et je ne parviens pas à ne pas y envisager une forme de responsabilité. C’est à cause de moi, pas vrai ? J’ai tout gâché, je le savais et le constat s’étale sous mes yeux. Si seulement j’avais résisté un peu plus fort, si j’avais fait preuve d’un semblant de bon sens plutôt que de céder à la tentation comme une enfant sautant à pieds joints dans la première flaque. Non, c’est pas une flaque Idris, ou alors la plus éclatante de toutes, celle dont la surface reflète comme un miroir, et qu’on brûle d’envie d’exploser en gerbes. Bon, ok, ma métaphore est peut-être un peu violente, mais pas moins que mon désir de la veille, et celui qui rampe au creux de mes reins en cet instant, rien qu’en l’observant tapoter sa bouche de la pointe de son stylo.
Oh bordel !
— Tu fais la tronche ? je demande histoire de détourner l’attention de mon bas-ventre en éveil.
A ma question, ses yeux quittent enfin sa lecture et se redressent en ma direction.
— Ah non, pardon, j’étais concentré.
Il amorce même un sourire et je le retrouve un peu. Tout va bien. Enfin, je crois. Je pose même un pied au sol, puis le deuxième et quitte l’assise de mon siège avec précaution. Chez moi mais hésitante, c’est les bras noués contre mon ventre que j’avance vers le salon pour ne m’immobiliser qu’à un ou deux mètres du canapé.
— Tu travailles ? Chez moi, j’veux dire ?
La pointe de mon pied gratte le parquet, et j’ose un regard par en dessous. Comme un enfant entre ses doigts, j’imagine que si je suis discrète, il ne le verra pas. C’est le cas, puisque son regard à lui s’égare sur mes jambes dont je ne prends conscience de la nudité que maintenant. Crotte, j’suis toujours en combo culotte/tee-shirt trop grand.
— C’était pas le projet initial, mais tu étais occupée et j’ai pas voulu te déranger.
— Chez moi ? j’insiste en récupérant ses yeux.
— Chez moi ça pue et il fait moins quarante degrés.
J’arque un sourcil, et devant ce questionnement que je ne verbalise pas, Idris soupire. D’une main il tente de chasser la fatigue de ses traits, de l’autre il referme d’un coup sec le dossier sur lequel il travaillait. Il est épuisé, et je ne peux pas en être la seule responsable.
— Malik, se contente-t-il de répondre dans un premier temps, avant d’ajouter face à mon regard inquisiteur : Il a été malade toute une partie de la nuit, du coup j'aère l’appart avant que la gardienne ne pense que j’planque un cadavre.
L’éclat de rire qui m’échappe n’est ni moqueur, ni nerveux, il est complètement tout ça à la fois. D’une paume contre ma bouche, je l’empêche de s’évader plus, mais qu’importe, Idris ne s'embarrasse pas avec la gêne, et un sourire étire le coin de ses lèvres. Dois-je y voir la raison pour laquelle il s’est éclipsé cette nuit ? Je pourrais simplement lui poser la question, mais j’ai peur qu’il y relève l’aveu que je souhaitais qu’il reste. Et peut-être que c’est le cas, j’en sais rien, l’aiguille de mon crâne ne cesse d’aller dans un sens puis l’autre, sans jamais s’immobiliser sur mes réels besoins.
— Mais du coup, si t’as terminé, on peut y aller ? reprend-il et m’extirpe de mon huis-clos introspectif.
— Allez où ?
— Essai numéro cent quatre mille huit cent trente-et-un.
P’tit con et son sourire en coin. J’aurais presque envie de le lui faire bouffer s’il ne coulait pas comme du sucre liquide sur mes nerfs en pelote. Ses provocations sont devenues ma norme de référence.
— Trente-six, n’exagère pas.
Oui, j’en tiens le compte exact et me souviens avec précision de chacun d’entre eux. Trente-six et pas un seul sans sa présence à mes côtés. La voix de Mika résonne dans mon crâne. Je l’en chasse d’un “oust” qui n’était pas que dans ma tête, pas plus que cette main que j’agite au-dessus de mes cheveux. Idris m’observe mais possède l’instinct de survie de m’épargner tout commentaire. Au lieu de quoi, il m’envoie dans ma chambre m’habiller. Et encore une fois, il a la présence d’esprit de ne pas m’y suivre, ou seulement des yeux. Je suis dans le couloir lorsque sa voix me parvient depuis ce canapé lointain.
— Ah, et quand tu n’en auras plus l’usage, tu pourras me rendre mon tee-shirt ?
Mon dernier pas se suspend, et je me tourne à moitié, sourcils froissés et moue dubitative collée aux lèvres. Idris ne me voit pas, mais je lui dirige quand même toute l’étendue de ma perplexité. Un tee-shirt ? Quel tee-shirt ? Il faut quelques longues secondes à mon cerveau pour me souffler la réponse, et je baisse les yeux vers le tissu blanc qui recouvre mon buste et une partie de mes cuisses. Je l’étire à deux doigts comme pour mieux l’observer et l’étudier. Je n’ai pas besoin d’une investigation poussée pour comprendre, pourtant je tire quand même le col pour le porter jusqu’à mon nez. Voilà pourquoi j’avais le sentiment d’avoir son parfum partout sur moi malgré la douche. La pointe de mon nez s’y enfonce un peu plus, et mes inspirations s’y attardent. J’en ferme même les yeux un instant avant de me ressaisir précipitamment.
— Non ! je tonne depuis la pénombre du couloir. Il est à moi, maintenant.
Juste pour faire chier. Et peut-être un peu aussi pour avoir une bonne raison de le garder.
3 commentaires
Cara Loventi
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Il y a 2 mois
Gottesmann Pascal
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Il y a 2 mois