Ophélie Jaëger Close(d) to me track 23 - Killing In The Name

track 23 - Killing In The Name

Rita


Le spéculos s’agite entre mes dents. De bas en haut, de haut en bas, à mesure que je fouille et inspecte les lignes de codes à la recherche de cette foutue faille où installer ma porte dérobée. Zack de la Rocha hurle dans mes oreilles, provoquant le chaos nécessaire à ma concentration. Le biscuit danse de plus en plus, frénétique entre mes lèvres impatientes. Bordel, je sais qu’elle est là, elle est forcément là cette foutue vulnérabilité sur le composant faq.php. Mais comme dans un cache-cache grandeur dark web, elle résiste à mes yeux éreintés. Peut-être que si j’avais dormi plus et que j’avais chevauché un peu moins… Non, n’y pense pas ! Ne va pas par là ! J’ai pas le temps pour les digressions inutiles de mon cerveau, j’ai une porte à trouver, un malware à poser, et une nation à sauver… ‘Fin presque.


D’un geste agacé, j'éjecte le spéculos d’entre mes lèvres. Il est tout pâteux désormais, il a perdu de son intérêt. A la place, je me saisis du verre d’eau à deux mains, fais cliqueter mes ongles entre les gouttes de condensation, tout en penchant la tête de droite puis de gauche, comme si une nouvelle perspective allait s’ouvrir à moi. Une gorgée, puis deux, puis trois, tandis que mon index scroll encore et toujours, faisant défiler des lignes et des lignes de ce langage si particulier que je comprends mieux, parfois, que n’importe quel autre. Et soudain, elle m’apparaît, juste là, au creux du complexe binaire : la vulnérabilité.


Le verre claque contre le bois, et subitement mes doigts enfoncent les touches à un rythme effréné. Je n’ai pas beaucoup de temps, quelques secondes, une minute à peine avant de me faire repérer. Mais j’ai pour moi l’expérience et la préparation. Je me faufile, j’entre et pose mon webshell. D’un mouvement de souris, j’anime un deuxième écran sur la droite. Le Tardis de veille s’échappe au profit d’une fenêtre noire où une suite d’adresses mails s’affiche à toute vitesse. Un “Yes !” victorieux m’échappe et j’élève les deux bras. La batterie dans mon casque me pousse à jouer des bâtons imaginaires. De la pointe d’un pied contre le bois du bureau, je fais rouler mon fauteuil en arrière, avant de l’obliger à pivoter sur lui-même en beuglant des paroles fort à propos dans ce contexte.


J’en suis à mon quatorze ou quinzième “fuck you i won’t do what you tell me !” lorsque je ressens un bug dans la matrice. Une anomalie qui pèse sur moi de tout son poids. Mes paupières s’ouvrent au détour d’une rotation, et je croise furtivement une touche de miel. Un cri m’échappe et je ne sais pas si l’insulte est à mettre sur le compte de la chanson ou de ma surprise teintée de frayeur.


Depuis le canapé, courbé en deux au-dessus de la table basse, Idris m’observe en silence. Une foule d’interrogations se bouscule contre mon front, et avec Zack qui hurle toujours, c’en est trop. D’un geste gauche, j’éjecte mon casque qui retombe au sol en un bruit sourd. La musique s’en échappe et nous insulte encore.


— T’es là depuis quand ? j’expulse dans un souffle.


D’un mouvement de poignet, Idris force sa montre à apparaître de dessous la laine de sa manche avant d’y jeter un œil.


— Une heure, ou peut-être deux, avoue-t-il sans se départir de son calme olympien.


Mais bordel, il ne voit pas où est le problème ? Cette question était une accusation, pas un moyen de lui demander la météo !


— Mais putain, Idris, tu peux pas faire ça, te pointer chez les gens et les observer travailler pendant des heures sans rien dire !

— J’pensais que tu savais, me rétorque-t-il, son attention oscillant entre ses papiers qu’il consulte et ma furieuse petite personne.

— Pardon ? A quel moment j’t’ai laissé croire que je savais que t’étais là ?

— En me demandant de t’apporter de l’eau et des gâteaux, lâche-t-il en désignant lesdites offrandes d’un coup de menton que ses yeux ne suivent pas.


A petits coups de pied contre le sol, j’impose une nouvelle rotation à mon siège, et jette un regard circonspect au paquet de spéculoos à proximité du grand verre d’eau fraîche. C’est vrai, je n’ai aucun souvenir de m’être levée afin d’obtenir aucune de ces denrées. Est-ce que…? Merde, je suis vraiment dans le cosmos lorsque je m’immerge dans mes lignes de codes.


— Et puis qu’est-ce que tu fais là, d’abord ?


C’est vrai ça, me nourrir et m’hydrater n’excuse en rien cette énième intrusion dans mon domicile, surtout pas alors que je ne me suis pas encore décidée sur quelle attitude adopter vis-à-vis de celui qui m’a visité plusieurs fois une bonne partie de la nuit.


— Mon appartement est zone sinistrée, et puis on avait rencard, souffle-t-il entre deux pages qu’il tourne de son épais dossier.

— Rencard, c'est-à-dire ? Quand ?


J’ai parlé dans mon sommeil ? J’ai programmé un date que je ne pourrais pas honorer ? Quelle autre connerie a bien pu raconter la Rita inconsciente ? Est-ce que je me suis confiée, est-ce que j’ai évoqué… Nom de dieu !


— Y a une heure ou deux, je dirais, répond-il après une nouvelle consultation de sa foutue montre. C’est marqué sur le frigo.


De la pointe de son stylo, il me désigne ledit mastodonte blanc sur lequel trône mon planning de la semaine, et cette foutue gommette que j’avais complètement occultée après l’avoir drapé d’une importance capitale juste la vieille. Merde.


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10 commentaires

Cara Loventi

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Il y a 3 mois

Elle est tellement habituée à sa présence qu’elle n’a pas tilté la nouille 🤣 Je crois que ton subconscient a choisit pour toi quelle attitude adopter Rita ! 🤣

Le Mas de Gaïa

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Il y a 3 mois

Quelle patience a Idris. Je me demande si elle va encore être de mauvaise fois ou va finir par reconnaître ses torts.

Gottesmann Pascal

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Il y a 3 mois

Elle est complètement à l'ouest la Rita. Et Idris le prend avec philosophie, ne rechignant pas à lui donner les informations demandées.

ambre_revant

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Il y a 3 mois

Elle est trop forte ! Et il est d'une patience... angélique.
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