Fyctia
track 22 - Basket Case
— Ne va pas par-là, Rita, me somme Mika comme en accès libre à mon soliloque interne. Cette décision ne t’appartient pas.
— Tu sais aussi bien que moi qu’il finira par se lasser.
— T’es voyante ? Tu tires les cartes ? Non, alors t’en sais rien. Et puis, on parle d’Idris, là. Ce mec est la patience incarnée, le mètre étalon du mec bien.
Je ricane. Mika soupire. J’suis une gamine.
— Non, mais rien que ça, c’est étrange, je reprends plus sérieusement. Le mec est parfait, Mika.
— Alors pardon, mais il est juste normal. C’est pas parce que les connards sont légions qu’on va commencer à applaudir la norme.
— Tu sais bien que la norme est une valeur statistique, donc la norme c’est la légion de connards.
— Tu me gonfles, soupire-t-elle sans pour autant se départir de son sourire qui nuance quelque peu le propos. Tu veux que je te liste ses défauts pour te prouver que ce mec bien est perfectible ?
Mes boucles libres fouettent mon visage à mesure que je secoue la tête. J’ai pas besoin des “contre” tandis que j’ai une connaissance accrue de l’océan de “pour” qui s’étend jusqu’à l’horizon. A ce stade, aucun argument ne saurait m’extraire du bourbier dans lequel je me suis enfoncée de mon propre chef.
— Ça ne sert à rien…
— Tant mieux, parce que rien ne me venait là.
— S’il était parfait, ce serait chiant.
Perdue dans mes pensées, je n’écoute plus vraiment Mika. J’ai peur de demain. Non, je suis terrifiée par un demain si différent d’hier. J’allais bien, enfin aussi bien qu’une agoraphobe puisse aller. J’avançais, un pas après l’autre je retrouvais le chemin de la raison. Ma prison avait gagné en espace et je pouvais, à nouveau aller et venir au-delà de la simple périphérie de ce qui m’appartient. Je suis encore si loin de la norme, moi aussi. Je m’en rapproche, mais je ne suis pas certaine de savoir le faire sans lui.
— Dis-moi, Rita… Est-ce qu’au moins tu es consciente d’être amoureuse de lui ?
Cette fois elle récupère mon attention pleine et entière. Mes sourcils se froissent, mes lèvres s’écartent et mes joues s’empourprent. Je les sens chauffer jusqu’à mes oreilles. J’ai soudain très chaud dans mon tee-shirt trop grand.
— Mais n’importe quoi ! j’articule exagérément comme une gosse de douze ans.
J’en laisse même échapper un petit bruit de bouche des plus immatures.
— C’est juste un ami, alors ?
— Oui, voilà, c’est exactement ça, juste un ami, j’acquiesce trop heureuse qu’elle m’offre une porte de sortie aussi facile d’accès.
— Un ami qui te pousse dans tes retranchements, te bouscule, te soutient, t’aide à avancer comme personne auparavant, un ami qui anesthésie tes angoisses par sa simple présence, et…
— Il me semble qu’on a déjà établi le fait qu’il avait de nombreuses qualités, oui.
— Je m’assurais juste qu’on parlait bien de cet ami en particulier avec lequel tu couches.
Elle a beau élever deux mains innocentes, je ne suis pas dupe de son petit manège psychologique duquel je m’extirpe sans me saisir de la queue du mickey qu’elle m’agite sous le nez.
— C’est justement parce qu’il est cet ami particulier que je crains que cette erreur me fasse perdre le bénéfice de tout le reste.
— Pourquoi tu t’obstines à transformer le plus en moins ?
— Parce qu’il s’est barré en pleine nuit, Mika !
— Donc tu aurais préféré qu’il reste jusqu’au petit dej et plus si affinité ?
— Non, mais… Et s’il ne revenait jamais ?
Ma question aurait pu aboutir sur une analyse de mon souci d’abandon, ou encore celui de mon manque de confiance en le sexe opposé, chacun ayant tout à voir avec cet homme dont je ne veux même plus prononcer le prénom. Mais l’inspiration qui précède la prise de parole de ma psy se trouve interrompue par des coups à ma porte. Je n’ai pas le temps de répondre que cette dernière tourne sur ses gonds et que la tête ébouriffée de celui que je craignais ne plus revoir, émerge de l’embrasure.
— Rita ? lance-t-il en fouillant l’espace avant que son miel ne se dépose sur moi. Est-ce que tu aurais un remède anti-gueule de bois dans ta cagette à pharmacie ?
Les mots s’emmêlent sur ma langue, et comme une idiote j’ânonne une suite d’onomatopées incompréhensibles. Bien joué, Rita, tout est parfaitement normal grâce à toi. Faute de sujet-verbe-complément, je passe à la langue des signes et lui indique la direction de la salle de bain.
Il s'exécute après avoir salué Mika d’un geste de main.
— Vous étiez bourrés ? se renseigne cette dernière à voix basse.
— Non, c’est pour son frère.
— En attendant, il a plutôt l’air de bien vivre votre nuit de débauche, tandis que toi…
Elle se lance alors dans une imitation quasi parfaite de mon presque-AVC.
— C’est de ta faute, tu m’as mis des trucs dans la tête.
— Ravie d’apprendre que ça te travaille.
Je n’ai pas le temps d’élever mon majeur en réponse qu’Idris réapparaît armé de diverses boîtes de médicaments. Il a clairement pillé ma pharmacie, et au lieu d’en être agacée, je me retrouve à sourire comme une idiote en élevant un pouce comme s’il n’y avait rien de plus normal que cela. Le nez dans les notices d’utilisation et contre-indications, il me remercie vaguement, salue à nouveau Mika avant de claquer la porte derrière lui.
— C’est bon, j’en ai un, s’exclame ma psy dans mon dos avant que je refasse pivoter mon siège en direction de l’écran.
— Un quoi ?
— Un défaut ! Et pas un petit. Abus de beauty privilege.
— De quoi ? je grimace sans comprendre.
— C’est simple, imagine Hervé, 57 ans, un léger embonpoint et la calvitie galopante, dans le rôle du voisin envahissant.
Ma grimace d’incompréhension se transforme en grimace de dégoût. Bientôt un combo calvitie-moustache s’en vient entacher les éclats de souvenir de ma nuit. Je pourrais porter plainte pour le film qui se joue dans cette tête que je secoue vivement. Une fois Hervé échappé, je fais tourner ma chaise à nouveau, reportant mon attention et mes interrogations en direction de cette porte close.
— Tu ne l’as pas trouvé trop… normal ? j’interroge mon témoin oculaire.
D’accord, je craignais que nos échanges nocturnes aient bousculé notre relation au point de nous y perdre totalement, et appelais de mes vœux un retour éventuel à la normalité, mais… Quand même ! Pas à ce point-là, pas après plusieurs orgasmes et autant d'intrusions intimes. Un bruit sourd me ramène à l’écran. Dans une parfaite imitation de moi-même, Mika vient d’écraser son front contre son bureau.
— J’suis pas assez payée, se lamente-t-elle.
7 commentaires
CamilleAubrey
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Il y a 3 mois
Marrah2921
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Il y a 3 mois
Gottesmann Pascal
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Il y a 3 mois
Cara Loventi
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Il y a 3 mois