Fyctia
track 21 - Insane in the Brain
Idris
Mes paupières lestées de plombs résistent encore au sommeil. Je lutte de toutes mes forces à Morphée qui m’appelle. J’ai trop conscience de l’après pour ne pas savoir savourer ce présent immédiat figé dans le temps, encore intact et immaculé. Rita a perdu le combat. Celui de l’assoupissement, et l’autre aussi, je crois.
Dans un premier temps, elle m’a présenté son dos. Comme une parenthèse qu’on referme, elle ne m’offrait plus que la quatrième de couv’ et le résumé de l’histoire que je venais à peine d’entamer. Mais depuis les limbes, son corps privé de pensées parasites a roulé jusqu’au mien, s’y est emmêlé, enraciné, pour ne plus s’en déloger. Sa beauté féroce l’est plus encore dans cette vulnérabilité qu’elle m’expose en cet instant. Ses traits apaisés, ses lèvres légèrement entrouvertes, son souffle calme et chaud, ses ondulations qui lui barrent le visage et que je déplace du bout des doigts, sont autant de souvenirs que je m’emploie à collectionner.
Je ne suis pas stupide, j’ai lu l’éclat dans le noir de ses iris, j’ai perçu l’ondulation de la raison, l'altération du champ de force faisant crachoter la réalité de l’instant. Il y a le vouloir, et il y a le pouvoir. Rita veut, c’est indéniable, mais pense encore ne pas pouvoir. Je ne suis pas dupe, si je ferme les yeux, si je me laisse happer par le sommeil, en un battement de cils nous serons demain. Et demain, elle regrettera.
J’aurais dû dire non, ou au moins me contenter d’un baiser. Mais je défie quiconque de résister à cette femme-là. Il n’y avait pas de plan, mais c’était quand même pas celui-là. Alex avait raison, je suis foutu. J’ai goûté et il va falloir m’en sevrer. Non, c’est faux, je n’ai pas simplement goûté. J’ai dévoré, comme si ma vie en dépendait, comme si demain n’arriverait jamais. Je ne suis qu’un con. Un connard amoureux d’une femme qui n’est pas prête et ne le sera peut-être jamais.
Mon poing s’enfonce entre mes lèvres pour étouffer cette frustration qui se fait sonore. Rita bouge dans son sommeil et je ne respire plus. Ce n’est que pour resserrer son étreinte, accrocher mon cou, barrer mes hanches d’une jambe, et former un baiser contre ma gorge. Est-elle éveillée ? Ou n’est-ce que son inconscient sans filtre qui dispense ses tendresses ? Je pourrais m’endormir, là tout de suite, d’ailleurs mes paupières cillent de plus en plus longuement, mais je ne suis même pas sûr que ce soit ce qu’elle souhaite. Je ne crains pas vraiment de m’exposer à un rejet au petit matin, ce n’est jamais plaisant, mais ce ne serait pas le premier, mon ego peut l’encaisser. Ce que je ne veux pas, c’est d’obliger Rita à endosser ce rôle, prêter ses traits à celle qui n’assume pas, celle qui réclame son espace et chasse l’intrus que je serais devenu. Je ne supporterais pas d’être ce gars-là. Cela dit, j’veux pas non plus être celui qui s’éclipse en douce. Pas après ça, pas après tout ça.
Putain, elle m’a bousillé le cerveau ! Le plan A est naze, le plan B est à chier, c’est quoi le plan C ? Me lever avant l’aube et lui préparer le petit-déj en offrande ? Merde, j’ai pas encore eu le temps de visionner le tuto gaufre. J’en suis à l’inventaire mental de ses placards à la recherche d’un gaufrier lorsqu’un grincement familier force l’ouverture automatique de mes paupières. Je connais trop bien ce son pour ne pas savoir l’identifier : la porte d’entrée. Rita ne ferme à clef que le soir, et ce soir nous avons été un peu occupés… Les sens en éveil, mon corps ne suit pas. Je ne suis pas contre l’idée d’un octogone avec un cambrioleur, mais cette nuit ça ne m’arrange pas. Une douce fureur m’a vidé de mon énergie, j’suis pas opé sur la clef de bras.
L’appel qui s’échappe du salon, mi-hurlé, mi-chuchoté, achève de me convaincre qu’on aurait mieux fait de fermer. Mon prénom me revient en écho, et entre mes bras, depuis les tréfonds du sommeil, je crois que Rita l’entend aussi. Alors, à contre-cœur, je m’échappe. Contre le matelas, je me faxe, accompagnant de mon bras puis ma main, le corps anesthésié d’une Rita contrariée. Ses sourcils se froissent, sa bouche se tord. Ses bras attrapent un oreiller, et toute sa silhouette se love contre ce dernier. Je veux être cet oreiller, bon sang ! Mais mon prénom, une énième fois chucho-gueulé me rappelle à l’ordre. Du regard je sonde la pénombre au sol, et ramasse le pantalon bazardé plus tôt. J’ai pas terminé de l’enfiler que je poursuis ma quête d’un tee-shirt égaré. Une latte grince, l’appel revient, Rita geint, et je renonce.
Mes doigts s’affairent encore sur ma braguette lorsque je déboule dans le salon illuminé et Malik blanc comme un linge statufié en son centre. Il sursaute à ma vue.
— Ça va pas de rentrer chez les gens comme ça ? je gueule à voix basse.
Oui, je sais, l’hôpital, la charité, tout ça… Mais pas en pleine nuit, bon sang ! Le regard de mon frère s’attarde sur mes cheveux en vrac et probablement ma gueule en biais aussi, il redescend sur cette fermeture que je remonte à la hâte, puis se fixe sur ce torse dépourvu de tee-shirt mais non de quelques marques de nos échanges nocturnes.
— Pas ta meuf, hein ? qu’il me balance avec insolence.
Il arme même un sourire au coin de ses lèvres, ce petit con.
— Allez, ta gueule ! Qu’est-ce tu veux ?
— Ta vie, chouine-t-il, son sourire définitivement envolé.
C’est l’alcool qui parle, et la méconnaissance de ce qu’est véritablement ma vie. Mais surtout l’alcool quand même. Une bière, et mon frère termine en pilier de bar. Si je lui en laisse l’occasion, dans deux secondes il se lamente sur l’état du monde et parle politique avec autant de pertinence que notre mère qui vote parti animaliste à chaque élection parce que “un toutou, ça déçoit jamais”.
— Malou, qu’est-ce que tu fous là ? j’insiste en avançant pour le forcer à reculer jusqu’au seuil.
— Y avait tout qui tournait, même les yeux fermés, ça bougeait, et puis j’ai vomi, qu’il m’annonce de sa voix pâteuse et son œil vitreux. Mais ça va beaucoup mieux maint’nant…
M’en voilà ravi, tiens. J’avais pas prévu de terminer ma nuit ainsi, mais si Malik est ici, debout, dans ce salon, c’est que le mien est, à coup sûr, devenu invivable. J’avais enfin opté pour le plan C, et me voilà à repousser mon frangin hors de ces murs que je quitte en même temps que lui. J’ai quand même le réflexe de fouiller ma poche, en tirer le trousseau de clefs, et enfermer Rita chez elle avant de traverser le couloir.
— T’es un boulet, j’échappe dans un soupir.
Et je ne sais pas très bien qui je vise. Mon frère, ou bien moi ?
4 commentaires
Alexandra Prevel
-
Il y a 3 mois
Cara Loventi
-
Il y a 3 mois
IvyC
-
Il y a 3 mois
Gottesmann Pascal
-
Il y a 3 mois