Fyctia
track 22 - Basket Case
Rita
Quand j’étais petite, on allait en Espagne tous les étés. On quittait notre minuscule appartement parisien, notre chambre, nos peluches, nos habitudes et l’odeur familière du parquet que maman lessivait au savon de Marseille, au profit d’un appartement encore plus petit mais avec vue mer et au parfum si différent. Et chaque fois qu’on rentrait après un long mois hispanisant, notre foyer m’apparaissait sous un jour complètement différent. Ce lieu que je connaissais pourtant par cœur et que je n’avais quitté qu’une fraction de seconde à l’échelle d'une vie, me semblait soudain étranger. Comme si les pièces avaient été inversées, les murs repoussés, le parfum altéré. C’était à la fois fascinant et terrifiant.
C’est exactement ce que je ressens en cet instant. Tout est pareil mais différent. Les pièces n’ont pas été modifiées entre hier et ce matin, la couleur des murs est la même, la manière dont les grains de poussière dansent dans les rayons de soleil aussi, jusqu’au miaulement de Harry réclamant son offrande matinale avec autant de régularité qu’un horloger helvétique. Mais moi, moi je suis différente. Mes draps également. Je voudrais y vivre et mourir, et paradoxalement m’en extraire le plus rapidement possible. Mon lit, cocon ouaté, ultime refuge à mes nuits d'angoisses, soupire les effluves d’un autre et exhume le récit d’une nuit qu’il n’a pas besoin de me conter.
Ce n’est pas la première fois que mon oreiller s’imprègne d’un parfum masculin, et d’ordinaire un simple programme court à 60° suffit à mon bonheur. Mais ce matin, tout est différent, les murs, les pièces, les miaulements du chat, et mon rapport à cet élément étranger saturant mes poumons. J’ai fait une connerie. Une délicieuse et déroutante connerie. Et ce parfum, il est à l’image de ma bêtise, j’aimerai m’en débarrasser au plus vite, effacer les preuves et prétendre que rien de tout ceci n’a jamais eu lieu, et en même temps… Il n’y a rien que je ne veuille véritablement effacer. Au contraire ! Si je pouvais graver au burin chaque souffle, chaque soupir, chaque expiration, j’en ferais un fronton monumental accroché au-dessus de ma tête de lit.
Et c’est peut-être ça, le véritable problème. Si encore ça avait été quelconque, ou même juste moyen, je pourrais me rassurer en me disant qu’on s’est débarrassé de la tension sexuelle et qu’on peut, dorénavant, repartir sur des bases assainies. Mais tout ce qu’il me laisse est un goût de reviens-y. Et vite.
J’ai tout gâché ! Dans un moment de faiblesse, j’ai tout envoyé valser, ma culotte et ma seule constance de ces derniers mois : lui. Enfin nous. Non, pas nous, on est pas un nous. Juste un lui et moi, ou un lui par rapport à moi. Surtout un moi par rapport à lui. Parce qu’il m’attire autant qu’il m’effraie. Ou bien est-ce parce qu’il m’attire à ce point qu’il m’effraie autant ? Il était déjà partout dans mon quotidien, avais-je vraiment besoin de cocher une énième case supplémentaire ? Il m’apporte mes courses, mes livraisons, la motivation de dépasser le seuil, un peu de rire et de légèreté, et désormais… des orgasmes. Au pluriel, bordel !
Le chat tente un miaulement guttural. A croire qu’il héberge un groupe de polyphonie corse dans son gosier. Je lui réponds par une insulte avant d’écraser mon visage contre l’oreiller. Ça n'aide pas. Ça sent Idris. Aussi, je m’en arrache avant d’y revenir tout aussitôt. Je suis un paradoxe ambulant. Heureusement, il n’est plus là. Mais ce constat aussi agite un débat intérieur. Je ne sais pas si je serais parvenue à assumer de le découvrir au réveil entre mes draps, mais d’un autre côté… Genre, même pas il tente ? Je n’ai pas été habituée à ça. D’ordinaire, je dois développer des trésors d'inventivité pour les foutre à la porte après service rendu à ma nation. Idris, lui, n’a pas attendu que j’émette l’idée avant de regagner son appartement. Pas un mot, pas un geste, il est parti sans demander son reste. Déjà c’est vexant, et puis… Est-ce qu’il va revenir ?
A la cent huitième protestation de Harry où je jure l’avoir entendu prononcer “Ritaaaaaouh”, je réponds par une insulte envers l’intégralité de son espèce avant de m’extraire, à contre-cœur, de ma prison olfactive. Le froid me saisit l’épiderme tandis que j’enjambe mes vêtements épars au sol, vestiges de l’avidité avec laquelle je me suis laissée déposséder de ma détermination. Détermination à ne surtout pas toucher à cet homme-là au risque de me retrouver exactement là où je me situe en cet instant. A mi-chemin entre ce qui a été et ce qui pourrait être, dans une nébuleuse de points d’interrogation.
Même cette douche, je ne suis pas certaine de la souhaiter. J’ai tout à la fois envie de me débarrasser la peau et besoin d’en conserver encore un peu les reliques de la nuit. Je suis perdue. Par habitude, je passe en pilote automatique, et enchaîne les gestes du quotidien sans plus réellement en avoir conscience. Le chat nourrit, je me sers un bol de céréales avant d’allumer l’ordinateur. Je ne suis même pas certaine de ce que j’ai sur le dos lorsque l’écran affiche le visage souriant d’une Mika. J’espère juste ne pas être complètement nue.
— J’ai couché avec Idris, j’annonce sans autre forme de procès.
Mika avance le buste et plante son menton dans la paume de sa main. Soudain sa tête emplit toute la largeur de l’écran.
— Raconte-moi tout, lance-t-elle armée d’un sourire en coin.
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Gottesmann Pascal
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Ophélie Jaëger
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Il y a 3 mois
Alyssa Well
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Ophélie Jaëger
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Il y a 3 mois
DIANA BOHRHAUER
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Il y a 3 mois
Ophélie Jaëger
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Il y a 3 mois