Ophélie Jaëger Close(d) to me track 19 - Boombastic

track 19 - Boombastic

Second round, ding, ding, ding ! Je visualise très bien l’octogone qu’elle érige, mais j’ai pas la force. Pas ce soir, pas après cette journée de merde. J’avais juste prévu de passer chez ma mère aujourd’hui, prendre de ses nouvelles et faire acte de présence avant qu’elle n’appelle au bled pour signaler ma disparition et forcer tous les tontons à me harceler jusqu’à ce que je redevienne un fils digne de ce nom. J’avais pas prévu qu’elle profite de ma présence pour m’envoyer faire ses courses, passer récupérer un colis à la Poste, tirer des sous à la banque, et me présenter à Soraya, la fille de sa nouvelle voisine du dessus. Enfin ça, c’était avant l’appel du commissariat pour récupérer mon frère en garde-à-vue pour état d’ébriété et violence après seulement une pinte. Et dire que j’espérais passer chez Rita après ça, et savourer un peu de ma nouvelle normalité autour d’une bière, sans savoir qu’elle avait commencé sans moi et à cause de moi.


— Est-ce que tu veux qu’on en parle ? j’amorce d’un ton précautionneux d’où s’exfiltre, malgré moi, un peu de fatigue.

— Non.


Ça a le mérite d’être clair. Illogique, mais clair.


— Rita, j’dis pas que j’ai rien fait de mal, je dis juste que si c’est le cas, c’était vraiment pas intentionnel, et que si tu ne me l’expliques pas, bah j’peux pas éviter de refaire la même erreur.


Un œil s’exfiltre de sa prison capillaire. Il est toujours noir mais quelque peu radoucit. A moins qu’il ne s’agisse d’une pointe d'agacement ? Un soupir soulève une partie des boucles qui retombent aussitôt sur son visage.


— C’est impossible de se disputer avec toi, en fait ?


Dans sa bouche, ça sonne comme un reproche et je me garde bien de lui avouer qu’elle s’énerve suffisamment pour deux. Je tiens à mes couilles, mon nez et ma vie. Deux sœurs et l’expérience m’ont appris qu’on ne gagne absolument rien à contrarier une femme en colère. Les mecs sont bien moins cérébraux pour la plupart. Ça a ses avantages parfois.


— Si t’as un trop plein d’énergie, j’connais plein de moyens de t’en délester, je tente.

— Si ça n’implique pas des points de sutures sur ta personne, je suis, pour le moment, pas intéressée.

— Pardon, j’ai juste entendu “pour le moment”.


Rita soupire à nouveau mais ne proteste pas. J’y vois une avancée significative et décide de pousser ma chance jusqu’à poser mes fesses sur le tabouret de bar à côté du sien. Si je garde une distance de sécurité, j’espère lui signifier aussi que je ne compte pas bouger de là, pas avant qu’elle m’ait offert un indice, une direction à suivre, n’importe quoi me permettant de comprendre ce qui la contrarie autant. En attendant, je garde le silence. Je suis prêt à patienter le temps qu’il faudra pour obtenir un début de quelque chose sans avoir à la forcer à le faire. Aussi, j’observe et note ses défenses s’affaisser en même temps qu’elle contre le comptoir. Bientôt, sa joue vient se déposer contre ses bras repliés sur le bois, et son regard accroche le mien. Un combat s’y déroule, et pour une fois il n’est pas contre moi. Elle se débat avec elle-même afin de laisser une ébauche de communication franchir ses lèvres.


— J’ai juste une question, concède-t-elle dans une moue contrariée. Depuis qu’on se connaît, tu m’as menti combien de fois ? Genre pas un chiffre précis, hein, disons à la louche, est-ce que tu dirais plutôt une dizaine ou une…

— J’t’ai jamais menti, je la coupe sans trop comprendre où elle veut en venir.

— Non, j’crois que t’as pas compris, Idris, pas nécessairement des gros mensonges avec l’intention de nuire ou de manipuler, juste…

— Zéro fois, Rita, je l’interromps à nouveau ma voix ondulant entre agacement et incompréhension.

— Impossible, on ment tous, m’oppose-t-elle en se redressant sur ses coudes.

— Donc, toi, tu m’as déjà menti, alors ?

— Forcément, oui, riposte-t-elle dans un froncement de sourcils.

— Quand ?


L’espace d’un instant, elle détourne le regard, le perd dans le lointain de ses souvenirs et je ne doute pas un seul instant qu’elle y mène une fouille archéologique consciencieuse.


— J’ai pas d’exemple qui me vient, mais oui, c’est obligé, rentre-t-elle bredouille et de mauvaise foi.

— Pourquoi “obligé” ? Sincèrement, j’vois pas quand et pourquoi tu pourrais avoir estimé préférable de me sortir une connerie plutôt que la vérité. Ça n'a pas de sens.

— T’arrives pas à envisager la possibilité du micro mensonge sans conséquence, mais t’as zéro souci avec le fait de me jurer très solennellement ne m’avoir jamais menti de ta vie ?


Elle s’énerve, à nouveau. Son dos se redresse en même temps que son menton, ses yeux se teintent d’orage et ses lèvres se font assassines. Et étrangement, cela me va très bien. Trop bien peut-être.


— Parce que je ne mens pas, je déteste ça, je m’impatiente à mon tour. C’est pour ça que tu m’en veux, parce que je suis supposé t’avoir menti ?

— T’es avocat, Idris, c’est ton métier de mentir, m’oppose-t-elle en enfonçant à plusieurs reprises son index dans mon torse.

— Tu confonds avec les dentistes, mon métier à moi il impose justement de pas mentir.

— Bah voyons, monsieur perfection ne plaide que la vérité, toute la vérité et rien que la vérité, levez la main droite et dites “je le jure”, plagie-t-elle ces vieilles séries américaines à la VF plus que douteuse.


Néanmoins, j’élève la main droite et le jure. Rita en demeure un instant interdite, avant d’entreprendre de scruter mes traits à la recherche de je ne sais trop quoi. La vérité peut-être, celle que je ne lui dissimule pas.


— Oh merde, t’es sérieux ! s’exclame en en arrivant à la même conclusion.

— Ça fait une heure que je me tue à te le dire, Rita.

— Mais comment c’est possible ?

— De quoi ? je demande en quittant le tabouret pour rejoindre le frigo.


J’ai besoin d’une bière. Vraiment besoin. D’un doliprane aussi, mais ça, ça attendra. Il ne s’agit pas de pillage puisque cet achat est le mien.


— De ne faire que dire la vérité dans ton métier ? précise-t-elle sans animosité, pour une fois, seulement une pointe d’intérêt.


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4 commentaires

Le Mas de Gaïa

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Il y a 3 mois

Bravo pour avoir désamorcé la bombe, enfin pour l’instant

Gottesmann Pascal

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Il y a 3 mois

Chapeau Idris et respect Il agit exactement comme il faut avec Rita et son sens de la psychologie force le respect. Par contre, un avocat qui ne ment pas j'ai un peu de mal à y croire.
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