Ophélie Jaëger Close(d) to me track 19 - Boombastic

track 19 - Boombastic

Idris


Pris en étau entre deux portes closes, mon palais se tapisse de relents d’échec. Un échec que j’assumerai volontiers si seulement je savais quelle est ma faute. Depuis l’incursion d’Alex dans mon cerveau, j’ai tout remis en question. Mon comportement, celui de Rita, mes attentes, celles que j’avoue volontiers et les autres moins audibles par mes valeurs. Il y a ce que j’admets vouloir et puis le reste, ce que tout le monde semble avoir vu sauf moi. Je ne vais pas me voiler la face : impossible, c’est trop tard. Mais malgré mes bonnes résolutions, je ne peux pas me résoudre à cette porte close et cette animosité inexpliquée. Si je dois morfler, soit, mais au moins que je sache pourquoi.


Aussi, après un dernier regard à ma propre porte, c’est sur la sienne que je toque à trois reprises. Oui, je fais cet effort, mais ne pousse pas la politesse jusqu’à attendre qu’elle me réponde par la positive, ça n’arrivera pas. J’entre. Rita n’est même pas surprise. Peut-être qu’elle s’attendait à ça ? Peut-être qu’elle n’attendait que ça et que je suis un foutu pigeon ? Possible, et ça me va.


— Tu m’expliques ? j’ose lancer les hostilités.


J’évite l’ordre impérieux et le ton vindicatif, je ne veux pas le conflit, seulement la résolution de celui que je ne m’explique pas. J’ai merdé, c’est sûr, mais j’arrive pas bien à savoir où.


— C’est à toi d’expliquer, grince-t-elle en pivotant sur ses talons.


Je ne discernais que son dos, désormais j’ai l’étendue de sa colère en visuel, et je ne peux même pas mettre ça sur le compte de l’alcool, elle a l’air d’avoir totalement dégrisé.


— Alors pardon, j’ai bien compris qu’on partait sur une dispute, et je ne suis pas contre, mais va falloir que tu me fournisses mes lignes de dialogues si tu veux un minimum de répondant.


Rita m’ignore et me présente, une fois encore, son dos. Je n’ose pas entrer plus, je reste bloqué sur ces centimètres carrés de paillasson. M’imposer, oui, mais pas comme ça. J’ai mes limites. Et pendant une minute ou peut-être deux, elle fait comme si je n’étais pas là. Je l’observe aller et venir, récupérer un verre dans le placard du haut, se hisser sur la pointe des pieds pour l’atteindre parce que c’est moi qui l’ai rangé là comme un idiot, puis se servir de l’eau au robinet. Je fixe ses doigts qui griffent le bois du comptoir tandis qu’elle achève son verre en une seule fois. Je dois avoir l’air con, immobile sur un Welcome qui n’a jamais aussi mal porté son inscription. Je pourrais partir, faire demi-tour, prendre conscience que j’attends tout, là où elle n’espère rien, mais… Non. J’arrive pas à m’y résoudre. Ça me retourne les tripes de ne pas comprendre. Ça ne devrait pas, et par le passé ça ne l’a jamais été, et pourtant c’est là, et ça fait chier.


— T’sais, le lapin j’peux l’accepter, on a tous une vie, finit-elle par rompre son silence et ma torture. Mais ne pas prévenir… Pire, me renvoyer direct sur ton répondeur, ça… Ça ne passe pas.


Quel lapin ? Mais surtout quel répondeur ? Machinalement, je tire mon portable de ma poche arrière et contemple l’écran noir. Merde, il est mort.


— J’ai plus de batterie, je constate à voix haute et ça sonne comme une excuse de merde.

— Oh, s’il te plaît !


Son verre vide claque contre le comptoir. Elle ne me croit pas.


— Et j’imagine que c’est la raison pour laquelle tu n’as pas su dire quel jour on était, aussi ?


D’un index impérieux, elle désigne son frigo, ou plus exactement le calendrier qui s’y trouve aimanté. J’y vois une invitation à avancer, pénétrer plus avant dans l’appartement. J’y vais à pas lents, mesurés, lui offrant tout le loisir de me hurler dessus et me forcer à reculer si j’ai mal interprété. Elle n’en fait rien, et me laisse même contourner le comptoir, frôler son dos, puis me planter devant ce qui doit être la preuve de mon délit. Je n’y relève rien d’autre que ses rendez-vous avec Mika, ses deadlines au boulot, des signes cabalistiques hors de portée de mon cerveau, et nos essais. J’ai collé des gommettes abandonnées par Hana aux dates de mes soirées libres. Mes après-midi et mes matinées aussi. En réalité, tous mes congés sont référencés dans sa cuisine.


— J’dois regarder quoi ?

— La date du jour, Idris.


C’est mon prénom qu’elle prononce, et pourtant ça sonne comme une insulte. Malgré tout, je reporte mon attention sur ladite date et… ne vois rien. Une case blanche coincée entre deux gommettes. A moins que… Et si ?


— On est quel jour, selon toi ?


Elle soupire si fort que malgré le bon mètre de distance, son souffle vient me fouetter la nuque.


— Mardi, Idris, nous sommes mardi.


Son timbre grinçant est à la mesure de son exaspération, et je me mords l’intérieur de la joue pour ne pas lâcher cet éclat de rire qui me démange de manière fort malvenue.


— Et t’as bossé hier ? j’insiste armé d’une feinte innocence qui l’insupporte, je le vois bien.

— Bah non, puisqu’on était…


En direct, je perçois la lueur de compréhension onduler furtivement contre ses pupilles. Ça ne dure qu’une fraction de seconde, puis son regard se teinte d’un soupçon de gêne et peut-être d’un peu de culpabilité avant de redevenir incendiaire.


— Tu me fais chier, Soltani ! explose-t-elle en même temps que ce rire que je ne retiens plus.


Je ne me moque pas, enfin si, un peu. C’est essentiellement le soulagement qui m’assiège. La tête entre ses mains, elle me dissimule son visage. Penchée au-dessus du comptoir, ses cheveux sont un rideau me la rendant inaccessible. J’ose malgré tout m’approcher, et glisser entre ses coudes mon portable éteint.


— La batterie est véritablement morte et on est lundi.

— J’ai cru que…

— Je sais, je la coupe en pensant la soulager d’un fardeau.


A la manière dont elle redresse le nez et plante son regard dans le mien, je comprends que j’aurais mieux fait de m’abstenir. A nouveau. Merde, moi qui pensais avoir plus ou moins décrypté le mode d’emploi de Rita, réalise brusquement que j’ai sauté des pages, voire des chapitres entiers de la notice d’utilisation.


— Non, tu sais pas ce que j’ai cru, s’insurge-t-elle. T’as pas la moindre idée de ce que j’ai cru, et c’est quand même ta faute.

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6 commentaires

Le Mas de Gaïa

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Il y a 3 mois

Rho la mauvaise fois 😂

Cara Loventi

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Il y a 3 mois

🤣🤣🤣 la mauvaise foi ! Et Idris qui se dit qu’il a forcément merdé 🤣

M.B.Auzil

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Il y a 3 mois

J'ai la réf !! Mr Boombastic 😄

Gottesmann Pascal

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Il y a 3 mois

Rita est une angoissée de nature et ça crève les yeux dans ce chapitre. Pas de nouvelle d'Idris en plus du lapin et elle a commencé à se faire des films dans sa tête en mode MGM. Effectivement Idris doit gérer une personnalité fantasque et imprévisible mais elle n'est pas méchante notre Rita, au contraire même. En tout cas ça fait une dispute entre les deux, une de plus mais, à mon souvenir, la première vraiment sérieuse alors que les autres tenaient plus des chamailleries. Il reste à rassurer Rita qui s'est inquiétée mais, ça, je suis sûr qu'Idris saura faire. Et surtout toujours avoir son téléphone allumé et chargé.

M.G. Margerie

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Il y a 3 mois

Moi je suis soulagée que Idris n'ait pas merdé. Déso Rita.
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