Fyctia
track 18- Livin' la Vida Loca
Idris
C’est vraiment pas comme ça que j’avais prévu de passer ma soirée. Pas non plus l'image que je m’étais faite de mon retour à l’immeuble. Peut-être qu’il y aurait eu un taxi, je sais pas, mais pas cette joue écrasée sur mon épaule et cette bouche qui bave sur mon manteau tout neuf. Bordel, c’est du daim, et j’ai même pas eu le temps de l’imperméabiliser en plus. La joue parasitaire laisse échapper un rot saveur bière bon marché, et le chauffeur profite de l’occasion pour monter le volume de son podcast de développement personnel. J’ai bien envie de l’interroger sur les raisons qui le poussent vers une démarche globale de smart thinking sur soi et de total value de son potentiel pour atteindre la full capacité de son leadership naturel, et pourquoi ça implique autant de franglais, mais je préfère fermer ma gueule.
Remarque, sur un malentendu, c’est peut-être efficace son truc. Et quelques grammes de leadership ne feraient certainement pas de mal à ma carrière ou ma vie privée. C’est pas que je suis malmené, mais il suffit de voir l’autre andouille qui marmonne contre mon blouson flambant neuf pour comprendre que je suis définitivement trop con.
Le chauffeur s’immobilise avec soulagement devant mon immeuble, ravi qu’il n’y ait aucun vomi à déplorer. Il nous a acceptés dans sa berline de futur winner full capacité seulement parce que l’adresse lui inspirait confiance. Et aussi parce que j’ai promis de payer en cash. J’ai d’ailleurs à peine le temps de lui glisser les billets qu’il repart dans un crissement de pneus à la Fast and Furious version Gégé, 56 ans.
Tirer ce poids mort jusque dans l’ascenseur aura eu le mérite de compenser le sport que je n’ai pas fait depuis un moment. Sérieux, une bière et le mec est carpette. Je veux bien qu’on ne soit pas des gros buveurs dans la famille, mais quand même. Un minimum d’amour propre, bordel !
J’suis presque arrivé à destination tout en trainant le corps inerte de l’autre tâche, lorsque la porte d’en face s’ouvre avec fracas et qu’une Rita complètement éméchée en jaillit. Merde, c’est une soirée à thème ?
— Je le savais ! qu’elle hurle en me menaçant de son index.
Il lui arrive quoi à la balafrée ? Et d’ailleurs, pourquoi est-elle balafrée ?
— C’est quoi ça ?
Une demande qui sonne si autoritaire que je l’imagine immédiatement en treillis et gros cigare aux lèvres. De son index despotique, elle désigne le ça en question, en la personne de l'autre andouille amorphe.
— Un con, je réponds en secouant légèrement ledit con qui pousse un grognement.
— Vous allez super bien ensemble, alors ! J’vous souhaite d’être très heureux.
Ok, c’était gratuit, ça, mais je prends quand même. J’ai peut-être fait une connerie dont j’ignore tout encore.
— T’as bu ? je me renseigne en tentant de repositionner l'abruti qui pèse de tout son poids sur mon bras.
— Juste un pack.
Elle dit ça comme s’il ne s’agissait pas, déjà, d’une dose record à quelque chose comme vingt-deux heures un soir de semaine.
— Tu célébrais quelque chose ?
— Oui, le fait que t’es un connard comme les autres.
D’accord, je ne sais toujours pas ce que j’ai fait, mais je suis le problème de la soirée. Il va falloir éclaircir ça, mais une chose à la fois.
— T’as quoi, là ? je demande en désignant ma propre mâchoire.
Et Rita fronce les sourcils en observant l’endroit que je tapote. Ma mâchoire à moi, donc. Putain, on va pas s’en sortir. Son temps de réaction est d’une lenteur surréaliste avant qu’elle ne comprenne et ne porte le bout de ses doigts sur les marques de griffure. Elle grimace et la douleur semble la redémarrer en mode sans échec.
— Ah bah oui, parce que pour couronner le tout, Houdini est un vampire.
Oui, bon, il reste quelques bugs, visiblement.
— Whaaaaa, elle est méga chelou, ta meuf.
Évidemment, c’est l’instant que choisit Orphée pour sortir des limbes. C’est une caméra cachée ou bien la voisine du sixième fait du vaudou ?
— C’est pas ma meuf, nous exclamons-nous en simultané, Rita et moi.
Je coule un regard perplexe vers celle qui fronce sourcils et paupières face à sa propre intervention. Elle semble chercher ce qui cloche dans son affirmation puis son épiphanie se fait visuelle. Elle en lâche même un “ah” de satisfaction.
— J’suis pas sa meuf, se corrige-t-elle armée d’un grand sourire.
J’ai beau savoir qu’il n’est destiné qu’au contenant et non au contenu, ça demeure tout de même un poil vexant.
L’instant d’après, Rita traverse le seuil avec une aisance qui me fascine. Cela fait des semaines que le couloir n’est plus un obstacle, mais le constater une nouvelle fois m’hypnotise. Ses pas la conduisent à l’autre ivrogne qui pend à mon cou. Elle se penche en avant pour percevoir le visage de celui qui somnole à moitié. J’aimerai la prévenir que c’est dangereux, qu’il pourrait vomir à tout moment, mais elle recule d’elle-même sans m’en laisser le temps.
— On dirait toi du passé ! elle s’exclame une paume contre ses lèvres comme pour atténuer le choc de cette découverte.
— Oui, voilà, c’est exactement ça, Rita. Ma route à croisé celle d’un voyageur temporel qui n’est autre que mon moi de 2011.
— Tu vois que t’avais déjà le nez pété, sale menteur !
Alors, celle-là, je l’avais pas vu venir. Mais j'aurais dû, en même temps. Rita tourne les talons, repasse le seuil, et je ne peux m’empêcher de paniquer légèrement. Pourquoi je panique, bon sang ? Cette fille est épuisante et je lui suis déjà bien assez. Pourtant, la voir réintégrer son appartement fait l’effet d’un sprint sans échauffement sur mon palpitant.
— Tu vas où ? je ne parviens pas à m'empêcher de scander comme un foutu désespéré.
— Chercher ma trousse à pharmacie, me répond sa voix depuis son antre. Installe-le chez toi, j’ai déjà assez de ton sang sur mon parquet.
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Le Mas de Gaïa
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IvyC
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Gottesmann Pascal
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M.G. Margerie
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Ophélie Jaëger
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M.G. Margerie
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Ophélie Jaëger
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Il y a 3 mois