Ophélie Jaëger Close(d) to me track 15 - I'll Stand by You

track 15 - I'll Stand by You

Je connais tellement d’hommes ayant des sœurs que j’ai du mal à saisir le rapport. Il doit le sentir à ce regard qui pèse contre sa nuque ou bien à mon silence, car il se retourne une demi seconde, la bouche pleine et le regard en coin.


— Tu as rencontré Samara, ma grande sœur, commence-t-il après avoir péniblement avalé sa bouchée. Mais tu ne connais pas encore Kamelia.

— Celle que tu avais au téléphone ?


Il hoche la tête en s’essuyant les doigts. Il ne me regarde pas. Ses yeux sont tantôt sur ses phalanges, tantôt dans le vide entre la télé et la table devant lui.


— Elle a un an de moins que moi et est minuscule. Pourtant, c’est le minipouce le plus deter au monde. J’ai jamais croisé personne d’aussi forte et endurante. On a fait toute notre scolarité ensemble, et j’te jure que c’est elle qui allait casser des gueules à la récré, pas moi…


Sa voix basse sonne comme une pénible confession. Et je ne l’interromps pas. Jamais. Car j’ai peur de trop bien savoir où il m’emmène.


— Kam souffre d’endométriose, finit-il par lâcher après une bouchée d’une interminable longueur. Je n’ai pas la moindre idée de la douleur que ça peut représenter, j’sais juste que ma sœur est une guerrière et que chaque mois cette merde la fout en l’air… Donc bon, ça me coûte pas grand chose de te préparer une bouillotte ou de boucher mes artères en ta compagnie.


Ses mots s’éteignent dans un raclement de gorge, et je devine le reste, cette suite qu’il tait par pudeur ou respect d’une sœur dont il vient de me révéler en partie l’intimité.


— Elle peut pas avoir d’enfant ? je demande malgré tout d’une petite voix qui ose à peine.

— Non, chuchote-t-il.

— Et elle en veut ?

— Plus que tout au monde.


Son timbre s’étrangle un peu et immédiatement se reprend dans un toussotement. Alors, je ne sais pas trop quelle mouche me pique, mon buste se projette en avant et mes bras s'enroulent autour de ce cou à disposition. Mon nez aussi surpris que moi de ma propre audace s’enfonce entre mon bras et sa nuque. Idris se fige et je le sens se tendre sous cette étreinte spontanée, puis ses doigts s’en viennent enserrer un avant-bras.


— C’est pas pour toi, c’est pour ta sœur, prétend ma fierté mal placée.

— Évidemment, le câlin par procuration, je connais bien.

— Tu transmettras ?

— Tu peux compter sur moi. Et tu sais ce qu’elle aime bien aussi, Kam ? Les massages.

— Chuuuut, gâche pas tout.


D’une main que je souhaite bâillon, je m’impose sur son visage, telle une étoile de mer contre sa face. Je suis assez fière de ma connerie jusqu’à ce que du bout de ses lèvres, un baiser ne se dépose contre ma paume. Fourbe ! En un instant je le libère et me redresse. Prise de court, mes pommettes en surchauffe, je plonge dans mes frites larges et fermes comme il faut. Je lui jetterais bien une insulte ou deux, mais j’ai peur que ma voix me trahisse.


— J’ai vraiment été con, me surprend-il en reprenant la parole à ma place. J’suis désolé, sincèrement.


Son cou se ploie légèrement, et à nouveau il m’offre un regard en coin qui se veut parfaitement hésitant.


— Pourquoi tu veux me sauver ? je me lance finalement.


Cette question qui me brûle les lèvres depuis des jours est la seule que je me permets de laisser échapper. Il y en a bien une autre, mais je n’ose encore, pas vraiment décidée à entendre ou accepter la réponse qui suivra immanquablement. Car si je pense qu’Alba me ment, j’ai l’intuition qu’Idris n’en fera pas de même.


— Te sauver ? T’as pas besoin de moi pour ça.

— Alors quoi ? Ça change quoi à ta vie que ta voisine sorte ou pas ?


Cette fois, il se retourne complètement et va même jusqu’à reposer son burger comme pour ne pas souffrir de la moindre distraction. Son regard parcourt la boule de douleur que je suis, puis revient à mes yeux auxquels il s’ancre. Je deviens liquide. Pourquoi je deviens liquide ? S’il s’obstine à me fixer comme ça, je vais rapidement passer au stade gazeux.


— A peu près autant de chose que le fait que tu sois short en protection, pourtant tu m’as appelé…

— J’suis en pleine hémorragie, j’suis pas cohérente.

— … et demandé de rester avec toi.

— Mon cerveau n’est plus irrigué, j’te dis. Et ça répond même pas à ma question !


Comme d’habitude, Idris retourne la conversation. Il s’empare de mon interrogatoire et le malaxe jusqu’à le faire sien. Insupportable avocat !


— Parce que je n’ai pas encore de réponse satisfaisante, finit-il par avouer. Mais je planche sur le sujet, et promis, tu seras la première informée.


Monsieur j'ai-toujours-le-dernier-mot qui bloque sur une interrogation ? Ce serait bien la première fois, et pourtant à ses sourcils froncés et ses lèvres qui se pincent, je ne doute pas une seule seconde de son honnêteté. Idris coince. Et moi avec lui. Mon esprit s’élance dans une valse de théories toutes plus improbables les unes que les autres, allant du complot où Idris ne serait pas Idris mais Jean-Bernard, acteur fauché qui aurait accepté de se faire passer pour le voisin afin de me faire sortir de chez moi, jusqu’au mec trop bien pour moi qui serait tombé sous mon charme à cause d’un affreux kink “handicap”.


— Tu te situes comment vis-à-vis de personne en fauteuil ? je m’entends, d’ailleurs, lui demander.

— Pardon ?


Je ne sais pas lequel des deux s’avère le plus surpris par ma question, mais Idris me contemple avec perplexité tandis que je trouve refuge sous le plaid. De retour à l’horizontale, je ramène la couverture sur ma tête dans le vain espoir d’y disparaître.


— Ouais, t’as raison, je vais rester un peu, c’est plus sage, assure-t-il avec tant de sérieux dans la voix. J’voudrais pas que faute d’irrigation de ton lobe frontal, tu lances un mandat d’arrêt contre la facho du six sous prétexte que, de dos, elle te fait penser à Dupont de Ligonnès.


Mes dents se plantent dans ma joue et prennent en otage ce rire qui menace de secouer mon utérus torturé. Mais, maintenant qu’il en parle… c’est vrai qu’elle lui ressemble un peu…

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9 commentaires

IvyC

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Il y a 3 mois

🥰

CécileIsabelleK

-

Il y a 3 mois

Me voilà bien à jour et joyeuses fêtes :p

Gottesmann Pascal

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Il y a 3 mois

Beau chapitre où Idris on connait mieux Idris. Il est très touchant quand il parle de sa sœur malade et tellement courageuse et résiliente. Rita n'y est pas insensible non plus même si son cerveau commence à élaborer des théories assez fumeuses.
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