Fyctia
track 15 - I'll Stand by You
Rita
Lorsqu’on est agoraphobe, il existe une règle à respecter quoiqu’il arrive : une organisation rigoureuse. Sortir étant l’obstacle, il ne peut pas exister le cafouillage dans l’aménagement du quotidien. C’est pourquoi ma boîte à pharmacie est pleine à craquer, mes placards aussi, et une grande part de ma vie intégralement millimétrée. Je ne laisse rien au hasard, la surprise n’a pas sa place dans mon agenda. Alors bordel, comment je m’en suis retrouvée là ?
La tête entre les mains, j’observe le plastique vide gisant entre mes pieds. J’ai pris soin de le secouer une dizaine de fois avant d’accepter l’évidence : je n’ai plus la moindre serviette hygiénique dans tout l’appart. J’ai complètement oublié d’en racheter. C’est la première fois que cela m’arrive. En quatre ans, jamais je n’ai zappé ce point sur ma liste de courses. Jamais. Au contraire, je préfère en avoir trop que pas assez, et, d’ordinaire, je possède un stock à faire pâlir de jalousie le Planning Familial. J’ai même trois applications pour m’annoncer le début de mes règles. Trois ! Alors comment je me retrouve là, sur mes toilettes, les tempes dans l’étau de mes paumes et mon utérus pleurant la vacuité de mon existence ?
Oh, je connais le coupable, il n’est pas difficile à identifier. C’est le même qui s’est employé pendant des mois à démonter puis démembrer le moindre de mes repères. Alors oui, je parviens désormais à sortir dans le couloir en hyperventilant, mais ça ne va pas me rapporter des protections. Et quand bien même je parviendrais à quitter l’immeuble, je ne serais pas en état de le faire en cet instant. Comme tous les mois, je ne désire que position fœtale et arrachage de mes ovaires à la petite cuillère.
J’ai bien essayé d’appeler ma sœur, mais elle est sur répondeur. Pourtant, elle gagnerait à se rendre utile pour me faire oublier son coup d’éclat d’il y a quelques jours, et l’interrogatoire qu’elle a mené sur moi par la suite. Un sourire aimable aux lèvres, elle s’est prise pour Olivia Benson mais sans la subtilité d’Olivia Benson. Certes, je n’ai rien à cacher, mais j’ai quand même mis un point d’honneur à toujours répondre à côté juste pour la faire chier. Alba est rentrée chez elle bredouille, mais probablement avec une furieuse envie de m’en mettre une. Tant mieux.
Cela dit, ça ne m’arrange pas trop, là, tout de suite, qu’elle me fasse encore la tronche. D’autant que mon plan B est justement la personne à qui je fais moi-même la tronche. Il existe des triangles plus excitants que celui-ci. Mais ai-je vraiment le choix ? Je ne peux pas demeurer ainsi, durant quatre à cinq jours, en fusion totale avec ma faïence. Alors, à contre-cœur, je me saisis de mon portable et renonce à ce silence que je prenais plaisir à prolonger dans le temps.
Les points de suspension s’agitent sur mon écran puis s’immobilisent totalement. Merde, j’ai dit quoi ? J’ai juste le temps de me relire et me dire que oui, y avait d’autres formulations possibles, que le cling ramène mon attention à une nouvelle bulle grise.
Connard. Et c’est à ce mec-là que je suis supposée demander de l’aide ?
Et ça me coûte assez comme ça. N’importe quelle autre course aurait été préférable à celle-ci. J’ai pas envie de devoir tout lui expliquer pour ensuite subir, éventuellement, les blagues lourdingues d’un mec qui ignore tout de cette torture mensuelle dont l’univers nous a gentiment affublé.
Merde, quelle sorcellerie est-ce là ? Je n’ai même pas besoin de lui expliquer quoi que ce soit ? Un simple “c’est pas le jour” suffit à ce que ce spécimen masculin comprenne de quoi il retourne. Est-ce que j’ai passé trop de temps enfermée et que, durant ce laps, les hommes ont enfin switché vers une version améliorée et empathique ?
Moins de quinze minutes plus tard, j’entends la porte d’entrée claquer, et le grincement du plancher se rapprocher de la salle de bain. Pitié, qu’il ne pousse pas le sans-gêne jusqu’à ouvrir et s’imposer. Non. Après quelques coups contre le bois de la porte, sa voix me parvient comme étouffée pour cette dernière.
— J’ai pas voulu t’emmerder avec les détails, donc j’ai pris un peu de tout. Je dépose devant la porte. T’as besoin d’autre chose ?
Oui, des affaires de rechange, mais l’idée de l’envoyer fouiller dans mon tiroir à sous-vêtements me fait monter le rouge aux joues. Non, mais sans déconner, qu’est-ce qui dysfonctionne dans mon cerveau ? J’étouffe un cri de rage contre mon poing.
— Tout va bien ?
Evidemment qu’il l’a entendu malgré tout.
— Il me faudrait de quoi me changer, je concède la mort dans l’âme.
— Une tenue en particulier ?
Qui est cet homme, bordel ?
— Evite-moi juste la mini jupe ou le jean ultra slim.
— J’allais opter pour un bikini, mais je suppose que c’est mort aussi ?
— C’est toi qui va être mort, je marmonne.
— Tu me parles ? hausse-t-il la voix tandis que je l’entends s’éloigner en direction de la chambre.
— Et tu fouilles pas ! je hurle ma mise en garde pour bien me faire entendre.
Ce ne semble pas être le cas, puisqu’il revient toquer à la porte en un temps record, puis s’éloigne à nouveau.
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Le Mas de Gaïa
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Cara Loventi
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Gottesmann Pascal
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Ophélie Jaëger
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M.G. Margerie
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Ophélie Jaëger
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M.G. Margerie
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Mapetiteplume
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Il y a 3 mois