Ophélie Jaëger Close(d) to me track 13 - Wonderwall

track 13 - Wonderwall

Je l’ignore, et renforce la distance en démultipliant le rythme de mes pas. J’ai pas besoin de lui ! Certainement pas ! Du moins, c’est ce que j’imagine avant de m’immobiliser à l’orée de son seuil de porte. Mes jambes se bloquent, ma respiration aussi, mais mon cœur accélère. J’ai ma propre porte grande ouverte en ligne de mire, et pourtant, mes membres refusent de fonctionner. Entre son seuil et le mien, il y a ce couloir. Ce foutu couloir catalyseur de mes angoisses. Je ne bouge plus et pourtant mon appartement semble reculer. Il n’y a qu’un ou deux mètres entre lui et moi, j’ai le sentiment que le voyage me prendra des heures. Voire des jours si ma paralysie s’obstine. Des larmes de rage se forment contre mes paupières tétanisées. Je n’avais aucune difficulté à déambuler dans son appartement, bon sang. Alors pourquoi là ? Pourquoi ce couloir ?


— Idris… j’appelle entre mes mâchoires crispées.


Il est déjà dans mon dos, je sens sa présence sans la voir. S’il ne souffle le moindre mot, il s’empresse néanmoins de passer à l’action. Ses doigts œuvrent à desserrer l’un de mes poings afin d’y glisser une paume. Je ne tourne pas la tête mais observe ses actions et sa concentration du coin de l'œil. Je suis comme ces personnes prisonnières de leur propre corps. Je perçois, je ressens, je suis là, mais mes membres, muscles, nerfs sont une cage. Adieu ma sortie théâtrale ! Enterrée mon indépendance majestueuse. Je suis bel et bien une putain de damoiselle en détresse et Idris pourrait tout aussi bien porté un slip par-dessus un collant.


— T’es pressée comment ? me demande-t-il alors que la chaleur de sa paume irradie la mienne et remonte dans mon bras gauche ligne droite vers le cœur. Tu tentes ou je te porte ?


Je pourrais lui faire bouffer ses mots s’ils n’étaient pas totalement dépourvus de la moindre provocation. Idris est sérieux. Concerné, inquiet et sérieux. Sa proposition l’est tout autant et me prive de ma révolte. Merde, il est chiant à être d’aussi bonne volonté !


— J’suis pressée, je concède dans un marmonnement mal assumé.


Je n’aime en rien la solution proposée, mais je n’ai pas envie, non plus, de végéter de trop longues minutes en sa compagnie sur ce palier alors que mon seul but est de le fuir rapidement en tirant la tronche ostensiblement.


— Mais je te fais quand même la gueule ! je précise en écartant les bras en vue de ma future prise en charge.

— Oui, j’avais bien noté ce détail, en effet. Bon… Par devant ou par derrière ?

— Putain, Idris !!


J’explose en relâchant mes bras jusqu’à ce que ma seule main libre claque contre ma cuisse. A son regard perplexe, je comprends que, pour une fois, l’inadvertance est de mise. Soudain, la compréhension se fait dans son esprit et anime ses iris. Serait-ce un peu de gêne que je perçois, là ?


— Non, non, non, je voulais dire…

— J’ai compris, oui, je le coupe avant qu’il ne s’enfonce plus avant dans des explications dérangeantes.


Et puisque je lui fais toujours face, c’est tout naturellement qu’il pare au plus pressé, et s’abstient de me présenter son dos. L’instant suivant, je plisse les paupières à m’en faire mal, bloque ma respiration et m’accroche à son cou tandis qu’il foule l’immonde moquette du palier sans la moindre hésitation.


Mes cuisses s’arriment si fort à ses hanches que j’y imagine les hématomes se former et marquer mon épiderme. Cette aide avilissante n’en est pas moins efficace, et nous avons presque traversé le seuil lorsqu’un fracas de verre brisé suspend le dernier pas d’Idris.


— Rita ? interroge la voix très familière et trop proche.


J’entrouvre une paupière.


— T’es… t’es dehors ? bégaye ma sœur depuis l’autre bout du couloir.

— Alba ? je m’étonne à mon tour.


Aux pieds de ma sœur, gisent les débris du pack de bières qui devait accompagner sa visite surprise. C’est encore le matin, certes, mais c’est une tradition sororale avec laquelle on ne badine pas.


— Qu’est-ce que tu fais là ? je l’interroge par-dessus l’épaule d’Idris.

— C’est moi qui devrais te poser cette question ! J’t’imaginais morte au fond de ta baignoire, et j’te découvre sortant d’un autre appartement dans les bras d’un mec !

— C’est pas un mec, c’est Idris, je la reprends en tapotant le dessus de la tête de ce dernier.

— De mieux en mieux, rumine-t-il d’ailleurs.

— Vous couchez ensemble ? tonne-t-elle alors en me prenant de court.


En nous prenant de court. Idris en relâche sa prise sur moi, et je dois serrer davantage les cuisses pour me maintenir en position. Floor is lava.


— Pardon ?


Qu’est-ce que cette question vient foutre là ? Comment a-t-elle émergé dans son cerveau ? Et surtout pourquoi sonne-t-elle comme une insupportable accusation ?


— En quoi ça te regarde ? s’impose Idris en pivotant sur ses talons.


Je ne vois plus rien, si ce n’est le mur du bout du couloir et ses fissures jamais colmatées. Je ne vois rien mais je sens, sans l’ombre d’un doute, muscles et nerfs se tendre contre mes paumes. Idris est donc capable de crispation ?


— C’est ma sœur, je tente de tempérer mon voisin en me laissant retomber au sol.

— Je sais, répond ce dernier en ne la lâchant pas de son regard au miel soudainement corsé.

— Oui, on s’est déjà vu en visio, renchérit Alba d’un ton brusquement jovial.


C’est quoi ce bordel ? Le petit couloir se charge en électricité, et la tension s’amoncelle à mesure que ma sœur réduit l’écart nous séparant. Main tendue, elle se plante devant mon voisin.


— Alba, enchantée.


Les yeux d’Idris oscillent entre cette paume offerte et le sourire affiché par ma cadette. Un sourire qui sonne un peu faux, tout comme cette attente qu’elle prolonge avec patience tout en rangeant une mèche de son carré court derrière une oreille. Depuis quand Alba est-elle si… polie ? Et depuis quand mon voisin l’est-il si peu ? Il tolère le racisme de la vieille du dessus, les soupirs ronchons de la voisine agoraphobe d’à côté, mais refuse de serrer la main de ma sœur au prétexte d’une question déplacée ?


Finalement, dans un soupir, il tape à trois reprises dans cette paume ouverte. Il vient de checker Alba ? Les traits de cette dernière se tordent de courroux, et je sens la tempête qui approche.


— Rentre, Alba, c’est bon.


Malgré sa bouche tordue de colère, elle s’exécute. Je m’apprête à lui emboîter le pas, mais Idris se saisit de mon poignet.


— Ça va aller ? cherche-t-il à savoir avec une sollicitude avérée.


Je n’ai qu’un pas à faire pour réintégrer ma cage dorée. Grâce à lui. Aussi, j’hoche la tête en silence.


— Merci, je concède du bout des lèvres. Mais je te fais toujours la gueule, Idris !

— C’est bien noté, affirme-t-il en reculant en direction de sa propre porte. Je t’appelle demain.

— Ok, je réponds par automatisme en traversant mon seuil avant de réaliser et faire volteface. Non !


Trop tard, il a déjà refermé la porte de son appartement sous vide.


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10 commentaires

Gottesmann Pascal

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Il y a 4 mois

J'imagine l'étonnement d'Alba quand elle a débarqué. Voir sa sœur qui n'est pas sortie de son appartement depuis des années sur le palier et dans les bras du séduisant voisin. Il y aurai de quoi avoir le cœur qui déconne sous l'effet de la surprise. Tout se passe bien et Rita n'a même pas le temps d'empêcher Idris de l'appeler le lendemain. Il a pour mission de l'épauler du mieux qu'il peu alors elle ne va pas se débarrasser de lui aussi facilement.

Cara Loventi

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Il y a 4 mois

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