Ophélie Jaëger Close(d) to me track 13 - Wonderwall

track 13 - Wonderwall

Rita

J’y ai cru. Pendant une seconde, j’ai réellement envisagé qu’un simple but me permettrait de traverser le seuil sans encombre. Au premier pas, j’étais recroquevillée sur moi-même, la tête entre les mains, et la nausée au bord des lèvres.


Pourtant, j’y suis parvenue. A force d’inspirations, d’expirations et d’ordres aboyés sur mon cerveau, j’ai franchi deux seuils aujourd’hui. Le mien et le sien. Alors oui, d’accord, il y avait aussi sa main dans la mienne durant toute la traversée, mais c’est comme pour un enfant qui apprend à marcher, vaut mieux l’assurer et éviter qu’il se mange le parquet. C’est exactement ce que faisait Idris, il m’empêchait de trébucher sur cette tentative.


Etrangement, si toute la largeur du couloir s’est faite en apnée et avec la grâce, l’élégance et la souplesse d’un hippopotame de Fantasia, une fois passé la porte de son appartement, le souffle me revient, la raison également. Et je relâche sa main.


Le 35 est la réplique exacte mais inversée du 36. Tant et si bien que c’est machinalement que j’étire un bras pour appuyer sur l’interrupteur et mettre un peu de lumière dans ce royaume des ténèbres. N’ouvre-t-il jamais les rideaux ? Une ampoule dénudée pendouille de la moulure en rosace de la pièce de vie. Une pièce qui ne comporte rien d’autre qu’un canapé, une bibliothèque à l’assemblage inachevé et des cartons. Des dizaines et des dizaines de cartons.


C’est marrant comme un même espace peut être investi de deux manières totalement opposée. Chez moi c’est coloré, lumineux, habité. Ici tout est sombre, terne et sans âme. Comme si Idris n’était que de passage entre ces murs. Cet appartement ne lui ressemble en rien.


— Il est où le mur de photos de moi ? j’interroge celui qui me suit à la trace, mains dans les poches et regard par en dessous.


Je le souhaitais mal à l’aise et c’est une mission accomplie. Alors pourquoi me sens-je si… contrariée ? Je devrais me réjouir, savourer ma victoire, au lieu de quoi je culpabilise de le voir ainsi, mine basse et démarche hésitante.


— Dans la chambre évidemment, sur le plafond juste au-dessus du lit, me répond-il en se voulant provocateur mais sans sa verve usuelle.


Peut-être qu’il n’aime pas recevoir ? Peut-être qu’il ne supporte pas qu’on pénètre son antre ? Les nœuds s’accumulent dans mon cerveau et mes tripes, puis je me remémore le Pupute-Gate. Non, définitivement, il tolère des personnes sexe féminin ici.


Et pourquoi faut-il que cette pensée me vienne alors que je suis sur le pas de sa chambre. Ma paume s’arrache au chambranle, comme s’il venait de me mordre. Mais c’est cette pièce qui me croque, m’avale, me digère puis me recrache. Ou plutôt ce que j’imagine s’y être passé. Foutu esprit créatif ! Il m’impose un film que je ne souhaite surtout pas visionner.


J’ai à peine le temps de remarquer le matelas à même le sol et me faire la réflexion que j’avais raison et, déjà, je tourne les talons… pour me retrouver nez à torse avec Idris.


— Déçue ? m’interroge-t-il.

— De ? je balbutie en le forçant à reculer.

— Qu’il n’y ait rien de compromettant.

— Qu’il n’y ait rien tout court, je le reprends en retrouvant la sécurité du séjour.


Sur le canapé, une couette pliée et un oreiller me laissent à penser qu’il passe plus souvent ses nuits ici que dans sa chambre. Pourquoi ? Un carton fait office de table basse croulant sous les dossiers ouverts. J’en demeure à bonne distance de manière à ne pas laisser un œil traîner sur quoi que ce soit de confidentiel. A la place je me penche légèrement pour entrevoir par la porte demeurée ouverte, le seul espace véritablement investi : son dressing. Ce mec est une fashionista, il a plus de fringues que moi.


Si j’imaginais tirer une quelconque vengeance en m’installant comme il le fait si efficacement chez moi, je me retrouve plantée là, immobile et indécise, au milieu de son salon cerné de cartons.


— Tu comptes rendre l’appart à la fin du mois, ou quoi ? je l’interroge tandis que mon regard ne sait où se porter tant il n’y a rien à voir ou observer.

— J’ai juste pas encore eu le temps de vraiment m’installer.

— Ça fait quelques mois quand même.


Les lattes grincent sous mon errance hésitante. Qu’est-ce que j’avais espéré au juste ? Des livres, peut-être, ou des vinyles. Quelque chose qui me dise qui il est. Qui il est vraiment. Une bibliothèque en dit long sur une personne. Des photos aussi ? Des touches de personnel sur les murs ou les meubles. Mais il n’y a pas de meuble ou si peu, et les murs demeurent vierges de tout.


— Je comprends mieux pourquoi tu es toujours chez moi.


Le seul livre du salon est au sol, et je trébuche dessus. Malgré l’ampoule solitaire, les rideaux tirés font que j’avance dans la pénombre en slalomant entre les cartons. Il a fait de son appart un terrain de parkour ? Précautionneusement, je me baisse pour récupérer l’objet du délit et le mettre en sécurité sur le dessus du carton. Du moins, c’était le plan avant que mon oeil n’accroche la couverture noire et jaune. “La Psychologie pour les nuls” titre le machin. Je me renfrogne.


— C’est une blague ? je questionne en brandissant ladite couverture au nez de son propriétaire.

— Faut bien commencer quelque part, j’allais pas attaquer direct avec Lacan.


Oh non ! Il est sérieux ? Ma main s’agite, l’épais volume pareillement. Dans ma cage thoracique, mon palpitant manifeste son mécontentement. Pour qui se prend-il avec ses lectures à la con ?


— C’est un jeu pour toi ? Tu crois vraiment que tu vas me sauver à l’aide de ce truc ?


Le livre échoue à ses pieds tandis que je m’en débarrasse avec dédain. Malgré les ténèbres, je perçois distinctement les ombres teinter ses traits de doutes et d’incompréhension. Ça aussi, ça m’agace. A pas furibards, je le contourne et l’abandonne à sa surprise.


— J’ai pas besoin qu’on me sauve ! Garde ça pour tes clients, Superman.


Je n’ai qu’une envie, m’extraire de cet appartement de fonction et retrouver au plus vite la chaleur et l’isolement du mien. Quatre années que je me débats afin de parvenir à sortir de chez moi, et ma première sortie ne se solde que par l’éclosion d’un profond désir de m’en retourner, au plus vite, à ma prison dorée. Quel échec !


— Mais attends, Rita, se fait-il plaintif dans mon dos.

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7 commentaires

IvyC

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Il y a 4 mois

Rita 🫣 Je continue mon soutien n hésite pas à passer sur la mienne 😍

Gottesmann Pascal

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Il y a 4 mois

Mais nooooon Rita, t'as fait le plus dur. Si tu t'enfermes à nouveau t'es repartie pour des années. Faut dire que le livre, et l'appartement d'Idriss en règle générale, ne laissaient rien présager de bon.

Le Mas de Gaïa

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Il y a 4 mois

Peut-être tire-t-elle une conclusion hâtive et que le livre n'a rien avoir avec elle 🤷‍♀️

Renée Vignal

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Il y a 4 mois

📕
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