Ophélie Jaëger Close(d) to me track 12 - Boss Of Me

track 12 - Boss Of Me

Idris devant mes plaques de cuisson quitte un instant sa poêle des yeux pour m’observer de pied en cap.


— Ah ouais, tu quittes un pyjama pour en enfiler un autre, toi ?


J’hausse les épaules. Au moins, celui-ci est propre. Et puis c’est pas vraiment un pyjama, c’est du comfy clothes. Il y avait eu tout un délire autour de ça pendant les confinements. Les ventes avaient explosé, la Fast Fashion ne basait plus sa com' que là-dessus. J’ai juste jamais vraiment eu l’occasion de sortir du délire à mon tour.


— Tu fais des crêpes ? je l’interroge en m’approchant pour mieux voir.

— Des pancakes, me corrige-t-il en se décalant juste assez pour me permettre de jeter un œil au contenu de la poêle.

— Tu sais pas faire les crêpes, mais les pancakes, oui ?

— J’ai regardé un tuto.

— Pourquoi ?

— Pour te faire des pancakes.


Sa réponse me laisse perplexe. Je ne parviens pas à savoir si tout ceci n’est que flatteries manipulatrices ou honnêteté déconcertante. Je ne suis qu’une voisine encombrante au même titre qu’il est un voisin intrusif. Rien ne l’oblige à se soucier de moi de la sorte, alors qu’est-ce qui l’y pousse ?


— J’suis pas vraiment flic, j’avoue sans trop savoir pourquoi en me hissant sur un tabouret de bar.

— Je m’en doute, je t’imagine mal sur le terrain.


L’assiette pleine de crêpes épaisses et fumantes qu’il dépose en sacrifice rituel devant moi, offre une diversion parfaite à son sourire moqueur qui me donne des envies de meurtres.


— Tu y fais quoi, alors, à la DGSI ? insiste-t-il en m’apportant un café, cette fois.

— Consultante.

— Ils te consultent pour quoi ?


Ma bouche pleine m’offre un sursis nécessaire. Je ne sais pas comment répondre à cette question. Je ne sais même pas si j’ai le droit d’y répondre. J’ai un contrat de confidentialité aux fesses, mais c’est pas comme s’ils risquaient de m’envoyer une brigade d’intervention armée sous prétexte de quelques mots glissés à mon voisin, si ?


— Disons que je suis pas mal douée avec un clavier et une souris, je confie dans une déglutition malhabile.

— Tu hackes, donc.


Installé en face de moi, son café à la main et le sourire au bord des lèvres, il ne donne absolument pas l’impression d’être en train de m’accuser d’un truc totalement illégal.


— La Sécurité Intérieure ne fait pas ce genre de choses, je riposte en tentant de plagier sa nonchalance.

— D’où l’intérêt de consulter quelqu’un qui peut le faire à leur place…


Il est calme, très calme. Et définitivement trop perspicace, aussi. Bordel, j’ai quasiment rien dit pourtant !


— Je vais devoir dissoudre ton corps dans ma baignoire si tu continues.

— Que de promesses alléchantes de bon matin.


Son sourire n’en finit plus d’étirer un coin de ses lèvres derrière son mug. Même son miel pétille de cet amusement dont il saupoudre mon quotidien, dorénavant. C’est terriblement agaçant et quelque part addictif. Ça me terrifie. Parce que s’il a sa vie hors les murs, un travail, des amis, une famille. Moi, finalement, je n’ai que lui. Je ne peux pas me permettre de le laisser prendre trop de place au risque que le vide qu’il laissera immanquablement n’en devienne suffoquant.


— Bon, on le fait aujourd’hui ? reprend-il en tapant son mug contre le comptoir.


De surprise, mon morceau de pancake se coince dans ma gorge.


— Faire quoi ? je m’étouffe en tapant du poing contre mon thorax.

— Ouh, coquine ! réagit-il armé de ce sourire que je déteste.


Je suis sur le point de m’asphyxier tandis que monsieur se délecte de ma réaction à ses doubles sens volontaires.


— J’évoquais juste le fait de sortir de ton appart, poursuit-il sans se départir de cet amusement féroce qui danse sur ses rétines. Mais si tu avais d’autres projets…


Je le déteste ! Evidemment, cela va être de la faute de mon esprit tordu et non pas de ces mots dont il use avec l'habileté d’un Saint-Saëns face à une partition. Idris plie mes phrases façon origami du Kamasutra et joue les étonnés lorsque j’interprète mal l’une de ses questions ? J’ai bien envie de lui répondre, mais l’expérience m’a appris qu’à ce jeu-là, je suis toujours perdante.


Réfléchis, Rita ! Réfléchis ! Qu’est-ce qui pourrait mettre cet homme mal à l’aise ? Je n’ai qu’une seule carte en main, et je ne vois pas bien à quoi elle pourrait me servir dans l’immédiat. A moins que…


— Ok, j’annonce en reposant fourchette et tasse de café sur le comptoir.

— Ok ? répète-t-il avec enfin une nouvelle expression sur ses traits, la surprise.

— On va sortir, je précise en sautant sur le parquet.

— Maintenant ? Mais j’ai même pas fini de…

— Maintenant, Idris.


Mon ton péremptoire achève de le surprendre, et sans un mot, il repose sa fourchette à son tour. Le parquet grince sous ses pas tandis qu’il contourne la cuisine pour me rejoindre. Son unique sourcil qui se dresse des interrogations qu’Idris se garde bien de verbaliser, me contente pleinement. Et lorsque j’étends une paume ouverte sous son nez, les deux se froissent avec perplexité.


— Tes clefs, je me contente de formuler.

— Les clefs de…?

— De ton cœur, évidemment, je susurre avant de reprendre dans un soupir agacé : les clefs de ton appartement, Idris.

— Pour quoi faire ?

— Mika dit qu’il vaut mieux avoir une destination en tête et que sortir pour sortir n’est pas du tout préconisé, je prétends.


Contre toute attente, mon voisin laisse entendre un éclat de rire qui me surprend autant qu’il me ravi. Je me collerais des baffes.


— C’est tellement faux, rit-il.

— C’est complètement faux, je concède. Mais je veux quand même tes clefs.


Ma paume ne se défile pas, et mes doigts s’agitent en une petite danse d’appel au trousseau.


— Tu veux pas me laisser le temps de ranger un peu ? Si j’avais su que tu passerais…

— Et t’offrir le loisir de planquer tout ce qu’il y a de compromettant ? Certainement pas ! Et puis, c’est pas comme si toi tu avais la courtoisie de t’annoncer avant de poper dans mon salon chaque matin.


Il soupire, résigné, et je sais que j’ai gagné. Mes phalanges s’animent toujours, mais il les délaisse à leur chorégraphie, et me dépasse pour s’en aller ouvrir ma porte et m’inviter à le précéder d’un geste de bras.


— Je ne ferme pas à clef quand je suis chez toi, explique-t-il face à mon regard perplexe lorsque je le dépasse.


Un sourire conquérant s’imprime sur mes lèvres, et j’aborde ce seuil avec une envie nouvelle : celle de le faire chier.

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6 commentaires

Gottesmann Pascal

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Il y a 4 mois

Oh je suis absolument certain que Rita qui décide de devenir une emmerdeuse doit être absolument redoutable. J'ai peur pour Idris mais attend la suite avec impatience.

IvyC

-

Il y a 4 mois

Je continue ma lecture n hésite pas à passer sur mon dernier chapitre 💥🤩
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