Fyctia
track 11 - I Want It That Way
Mais il y a du mieux. J’ai traversé. Un peu et malgré moi. Je n’ai pas su l’accepter, ni le gérer, aussi il ne s’agit pas d’une victoire, mais pour la première fois de ces quatres dernières années, je me suis extraite de ces murs. J’ai échappé à ma prison apathique et dorée. Et j’ai ressenti aussi. J’ai vibré. Sur la mauvaise fréquence et de manière parfaitement dissonante, mais… Bordel, avant la panique j’ai été animée par autre chose. Et c’est lui qui a provoqué ça.
— Pourquoi tu venais plus ? je m’entends interroger malgré moi, le regard fuyant et la bouche en biais.
— Tu vois que tu avais une question.
Crétin. Ce sourire dans sa voix lui rapporte mon attention et ce coup d'œil que je lui jette en même temps qu’un rictus agacé.
— Mais c’est toi ! Tu implantes dans ma tête l’idée d’une question, donc forcément en cherchant bien, j’en trouve une.
— Idris Soltani, mentaliste niveau expert, lance-t-il en levant les deux bras façon Simone Biles après un triple salto arrière en réception parfaite. Et pour répondre à ta question, j’étais gêné.
J’en avale ma salive de travers et toussote ma surprise.
— Toi ? Gêné ? je m’étrangle en repoussant son pied qui revient à la charge.
— Que je m’impose, c’est une chose, mais ma famille ? J’assume moins.
Ma pupille vrille sur cette lèvre inférieure qu’il mordille de sa canine et je me surprends à y reconnaître un tic de nervosité qui lui est propre. Alors, je prends conscience de tous ces détails le concernant, dont j’ai entamé une inconsciente collection. Je sais aussi son humour provocateur, son amour pour les jeux de mots tordus, sa faiblesse pour les dessins animés, ses goûts musicaux douteux, son appétit féroce et sa curiosité affamée. Je sais également les contours de son visage anguleux, les ombres qu’ils projettent sur ses traits expressifs, son rire sonore et bref, sa voix chaude et douce comme du miel sur mes irritations. Je sais le bruit de ses pas dans le couloir, le claquement de sa porte qu’il ne ménage jamais et son regard qui se teinte d’excuses inavouées qu’il se refuse souvent à formuler. Brusquement, je réalise tout ce que mon esprit a relevé, disséqué et annoté dans l’ombre de mon inattention, et m’interroge sur les raisons qui l’ont poussé à faire.
— J’t’ai manqué, en fait, reprend-il dans un sourire qui illuminerait la face cachée de la lune.
Au temps pour moi, la raison m’apparaît soudain évidente, mon cerveau l’a classé dans la catégorie nuisible et cherche ses faiblesses en vue d’éradiquer son espèce. Je ne vois pas d’autre explication.
— Oui, au moins ça, oui, je lui rétorque avec sarcasme tout en tapant du talon contre son foutu pied colonisateur d’espace vital.
— Oh, allez, avoue-le Rita, tu m’aimes bien.
— Mais pardon ? je m’emporte en repoussant l’ennemi à nouveau. Je te tolère, tout au plus.
— Ça me va, je prends.
Quoi ? C’est tout ? Je me vexerais presque qu’il n’insiste même pas un peu. Mes yeux se plissent, mon cou ploie sur la gauche et je n’y crois pas un seul instant. Idris ne saurait pas se contenter de cela. Le silence s’installe tandis que j’espère le faire craquer sous mon regard inquisiteur. Il paraît que ça fonctionne bien, que j’ai le pouvoir de déstabiliser sans un mot. Ou faire fuir les hommes, d’après ma mère. En même temps, le seul homme que je croise encore, c’est Medhi, le livreur de chez Franprix. Et il a seize ans.
Aucune des deux options ne fonctionne sur Idris. Non seulement, il est toujours là, mais s’amuse à m’imposer son sourire divinement serein. Et ses pieds reviennent à la charge. Il pousse contre l’un des miens jusqu’à le soulever et forcer une résistance. On dirait les exercices d’échauffements d’un prof d’EPS avant une séance d’endurance. Je pousse sur son pied, et il me repousse sans l’ombre d’un effort. A ce rythme, dans deux secondes il nous force à pédaler dans le vide, ou termine avec mon pied libre en travers du nez. Au choix.
— Mais arrête ! j’ordonne ou implore – la ligne est très fine– en m’y mettant à deux pieds pour repousser un seul des siens. Qu’est-ce que tu me veux avec tes orteils, à la fin ?
— Ca, lâche-t-il en se saisissant de ma cheville.
Ses doigts flattent ma peau plus qu’ils ne l’enserrent. Je pourrais échapper à la prise et pourtant je demeure ainsi, incapable et indécise, une jambe à semi relevée. Lentement, il la repose mais ne la relâche pas. Elle demeure docile captive de ses doigts tandis qu’il la maintient au sol contre l’affreuse moquette rêche.
— Ca, répète-t-il simplement après une furtive caresse sur cette articulation qu’il libère.
Mon regard suit le sien sans comprendre. Il balaie mes jambes, du moins la partie basse. Serais-je tombée sur un fétichiste des mollets ? Non, c’est pas mes membres qu’il me montre, mais la position de ceux-ci. Je le comprends enfin alors que je me fais une nouvelle fois la réflexion quant à la moquette qui gratte. J’ai du parquet chez moi. Donc ça veut dire que…
7 commentaires
IvyC
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Il y a 4 mois
Gottesmann Pascal
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Il y a 4 mois
MarionH
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Il y a 4 mois