Fyctia
track 09 - Thunderstruck
— Idris, si tu n’ouvres pas cette porte, je la défonce à coup d’extincteur ! hurle ma sœur depuis le couloir.
Nora en a quitté son dessin des yeux pour offrir un sourire en direction de la porte close. Hana dort toujours. Rita se crispe.
— Rends-moi mes filles ! s'époumone ma sœur sur le palier. Je sais qu’t’es là ! J’ai localisé ton portable !
Je savais que cette application était une idée de merde, mais ça rassurait maman. Je tire mon portable de ma poche et fais défiler les notifications sur l’écran. Si moins de gens me harcelaient de conneries en tout genre, je n’aurais peut-être pas raté la vingtaine d’appels en absence de Samara.
— Je peux ? je demande en désignant la porte tandis que je m’extrais à regret du fauteuil.
— De quoi ? Oh, ça… Bah fais comme chez toi, hein.
Je sens comme une pointe de sarcasme dans son invitation, mais décide de ne pas la relever. Mes deux nièces dans son salon, mes affaires dans son entrée, et ma furie de sœur sur son paillasson, je suis clairement le voisin le plus discret du monde.
Samara hurle toujours ses menaces lorsque j’ouvre la porte dans son dos et lance :
— Par ici, Sam.
Je ne réalise qu’en la voyant pivoter sur ses talons, qu’elle est véritablement armée d’un extincteur, et qu’elle s’apprête à me le lancer à la tête dès lors qu’elle m’a géolocalisé. Par réflexe, je me baisse pour éviter la menace qui frappe… le mur. Tous deux interdits, nous observons la lourde chose qui retombe au sol dans un bruit métallique avant de rouler sur quelques mètres.
— T’aurais pu me tuer, je réagis sans quitter l’arme des yeux.
— J’aurais dû te tuer, me réponds ma sœur sur le même ton. Où sont mes bébés, sale…?
Sam n’a pas le temps d’achever son insulte qu’une crinière brune s’échappe de l’appartement pour se projeter contre sa mère. Nora, le nez dans le manteau de Sam, enroule ses bras contre sa taille, et éteint spontanément l’incendie dans le regard de ma sœur.
— C’était trop bien chez Rita, s’enthousiasme l’enfant. Y avait une dame dans un ordinateur, et puis une autre dame dans un téléphone, et puis…
— C’est qui, ça, Rita ?
Cette question ne s’adresse pas à ma nièce. Le regard de menace qui l’accompagne non plus. Samara ne me quitte pas des yeux. Elle a beau faire quelques dizaines de centimètres de moins que moi et pas le poids au bras de fer, elle m’impressionne toujours autant. Comme lorsque nous étions enfants et qu’elle me rackettait mes dents de lait pour entuber la petite souris.
— C’est moi.
En parlant de femme impressionnante… Un coup d'œil par-dessus mon épaule, et immédiatement je me décale du seuil pour céder la place à la propriétaire des lieux. Hana toujours endormie dans ses bras, elle s’avance vers ma sœur comme si elle ne la craignait pas. Sans déconner, elle a assommé la môme ? Comment fait-elle cela ?
— Elles ont bien mangé, bien joué, et Hana dort depuis une bonne heure, lance-t-elle en tendant l’enfant endormie par-dessus le seuil de la porte.
— Elles n’ont pas le droit aux écrans, riposte ma sœur en récupérant Hana.
— C’est une consigne qu’il faudra songer à donner à la babysitter, la prochaine fois.
C’est comme Roland-Garros mais en mieux. Aucune des deux ne veut lâcher la balle de match à l’autre. D’un côté, la tenante du titre, Samara, forte de nombres années d'entraînements sur sa fratrie, et de l’autre la challenger, Rita, pour laquelle je ne connais pas l’historique mais dont j’ai déjà acheté le maillot, le poster, et tous les produits dérivés.
Les lèvres de Sam tressautent, son regard s’ancre à celui de ma voisine. Elle cherche sa prochaine réplique, et plus ça lui prend du temps, plus l’assaut suivant s’avère douloureux. J’attends. Nora attends. Même Harry attend en tapant le sol de sa queue décorée. Mais Rita n’attend plus.
— Oh, et vous remettrez l’extincteur en place avant de partir, lance-t-elle en désignant la chose rouge et inerte sur le sol. Pas envie de me taper une réunion des copropriétaires à cause de vos relations familiales dysfonctionnelles.
La porte claquant dans mon dos me tire un sursaut. Merde, moi aussi elle me chasse ? Mes affaires sont encore à l’intérieur et j’étais de son côté, bon sang !
— J’l’aime bien, m’annonce ma sœur après un instant de silence. Mais ! Elle est trop belle pour toi, Didi.
Son regard demeure accroché à la porte encore quelques secondes, avant que même elle, ne se détourne de moi. Hana dans les bras, Nora accrochée à sa hanche, Sam s’éloigne dans le couloir en direction de l’ascenseur. Pas le moindre remerciement, pas un mot d’excuse.
— Je suis au courant, je m’entends lui répondre dans un chuchotement hurlé juste avant que les portes automatiques ne se referment.
Je n’ai même pas le temps de retourner à mon propre appartement que, déjà, mon portable vibre dans ma poche.
7 commentaires
Le Mas de Gaïa
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Il y a 4 mois
Gottesmann Pascal
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Il y a 4 mois