Ophélie Jaëger Close(d) to me track 09 - Thunderstruck

track 09 - Thunderstruck

Idris

Evidemment que la séance n’a pu être ajournée. J’imaginais quoi, qu’avec un sourire et un “s’il vous plaît monsieur le juge”, ça passerait crème ? Je représente l’accusé, pas la victime, je n’ai même pas l’argument de l’état émotionnel de mon client pour jouer en faveur d’un ajournement. Même lui aimerait que ça aille vite, et la Justice est tout sauf rapide. Alors j’ai plaidé. Mal. Et mon client est retourné à son incarcération préventive, tandis que je déboutonne ma robe en dévalant les marches du tribunal judiciaire de Bobigny.


Le téléphone en main, je fais défiler les notifications d’un pouce en cherchant celles en provenance de Rita. Rien. Pas un appel, pas le moindre texto ou signal de fumée. Il est presque quatorze heures, ne s’est-elle pas au moins un peu inquiétée ? Les filles l’ont-elles ligotée et bâillonnée dans un coin de l’appartement ? C’est l’explication la plus rationnelle à ce silence qui me vient.


A défaut des messages de Rita, j’avise ceux de ma mère qui pullulent sur mon écran. Un harcèlement de "Yema" cernés de cœur qui s’étalent de plus en plus nombreux et de plus en plus rapprochés. Je clique sur le plus récent et fait défiler le soliloque jusqu’à la source de mes emmerdes.


  • Yema ❤️ : Kamelia m’a dit.


Voilà, source identifiée. Ma petite sœur soit disant sous l’eau mais qui trouve le temps d’aller baver chez ma mère.


  • Yema ❤️: Ybni, pourquoi tu la caches ? Je t'ai fabriqué, comment tu peux exclure ta propre mère de ta vie comme ça ? Tu m'aimes plus, ybni, c'est ça ?


Et ainsi de suite pendant dix-huit autres messages durant lesquels je passe du fils ingrat qui ne donne plus de nouvelle, au fils égoïste et renié qui a honte de sa mère et lui cache femme et enfants car corrompu par l’argent et la superficialité de la grande ville. Je ne vois pas trop comment en un mois je me retrouve marié à ma voisine et géniteur d’une armée de petits-enfants privés de leur mouima, mais ça a quand même l’air de faire sens dans l’esprit de ma mère.


  • Idris : C’est juste la voisine, Ma’. J’aurais pas osé me reproduire sans t’en informer au préalable pour que tu puisses bénir la couche.


Je réponds d’une main tout en avisant le taxi-moto qui s’avance en ma direction. Ma robe pliée et fourrée dans ma sacoche, j’enfourche le monstrueux deux roues et me casque. D’ordinaire, j’opte pour le métro et sa faune locale, mais pas cette fois. Cette fois, je suis pressé. Avant toute chose, je fais signe au conducteur de patienter et tente un appel à Rita. Rien. Si ce n’est un texto de ma mère.


  • Yema ❤️ : T’avise pas de tomber amoureux sans prévenir ta mère.


Dans un soupir, je rabats ma visière et tapote l’épaule du motard. Cette mise en garde ne nécessite aucune réponse. J’imagine d’ailleurs ma mère dans sa petite cuisine, l’air fier tandis qu’elle claque son téléphone contre la nappe en plastique d’un goût douteux. Zahra Soltani sait se faire obéir. Mère de cinq enfants qu’elle a élevé dans l’amour et l’affection qu’elle n’avait, elle-même, jamais reçu, elle su faire de nous des adultes pas trop bancals, mais surtout respectueux de cette matriarche aussi douce-amère qu’une pointe de harissa sur une corne de gazelle. Évidemment, je ne l’ai jamais tenu informée de ma vie sentimentale et je n’ai jamais eu besoin de sa validation pour ce genre de choses. Mais peut-être justement parce qu’il n’y a jamais rien eu à en dire, car je ne doute pas que le jour où il y aura matière, je n’aurais pas besoin de lui souffler le moindre mot. Ma mère saura comme elle devine toujours tout de nous.


La circulation fluide me ramène au pied de mon immeuble en un temps record. Pourtant, l’ascenseur use mes nerfs et ma patience en demeurant une demi-seconde de trop au troisième étage. Aussi, je me retrouve à grimper l’escalier, avalant les marches deux par deux jusqu’au cinquième. J'aime prétendre que je suis sportif, pourtant c’est essoufflé et le cœur à l’agonie que j’accède à mon palier. Les clefs en main, je n’ai même pas la courtoisie de toquer pour m’annoncer, j’ouvre avec tant de fracas la porte d’un appartement qui n’est pas le mien, que je provoque un feulement plus que légitime chez Harry.


Le chat, une houppette sur la tête, un collier de perles autour du cou, et un ruban rose à la queue, traverse devant moi en m’offrant un regard de dédain. Ok, il ne m’aime pas, j’ai bien compris, mais comment parvient-il à rester noble dans un accoutrement pareil ?


— Qu’est-ce que… ? ai-je à peine le temps d’éructer avant qu’une tête émerge du canapé.


Un index contre ses lèvres, Rita m’intime le silence. Et j’obtempère. A gestes précautionneux, j’abandonne mes affaires dans l’entrée, avant de m’avancer sur la pointe des pieds. Je ne sais pas bien pourquoi, mais j’imagine que la réponse me sera donnée à hauteur de sofa.


Sur la table, un carton de pizza abandonné m’informe que les filles ont mangé et qu’il faudra que je rembourse Rita pour ça. Le reste de la pièce de vie semble avoir été épargné. Pourtant, pour avoir babysitté de nombreuses fois pour ma sœur, j’ai l’habitude du chaos après leur passage. Ici, à peine quelques feuilles éparpillées et des craies sur la table basse où s’active encore Nora en plein chef-d’œuvre. Assise à même le sol, l’enfant pioche dans une énorme boîte de pastels grasses qu’elle détruit méthodiquement en les écrasant sur un Canson qui semble de bonne facture. Ok, ça aussi je vais devoir rembourser.


— Achat compulsif, m’informe Rita à voix basse en avisant ma grimace. Ça prenait la poussière depuis des années.


Mon attention se reporte sur elle, en tailleur dans le canapé, les cuisses colonisées par une deuxième enfant. Hana, son pouce dans la bouche, son Doudou contre son cou, dort paisiblement sous les caresses affectueuses de la jeune femme. Cette vision déclenche un truc en moi. Je n’arrive pas à mettre le doigt dessus, de la gratitude ? Une gratitude démesurée qui embrase mes organes vitaux.


— Ça a été ton audience ? elle chuchote en accompagnant de son regard mes déambulations jusqu’au fauteuil dans lequel je me laisse tomber.

— Non.


Et en même temps, comment pourrait-il en être autrement lorsque l'intégralité de mon esprit se trouvait parasité par tout autre chose que mon affaire ? Une moue frustrée étire mes lèvres et un soupir m’échappe tandis que je renverse la tête en arrière. Ce qui est fait est fait, impossible de revenir en arrière, je ferai mieux la prochaine fois. Heureusement, il ne s’agissait que d’une audience préliminaire.


J’en arrive à la conclusion de la nécessité d’un bon massage, d’une séance de sport et d’une nuit complète de sommeil, lorsque des cris interrompent le fil de mes pensées. Aussitôt, mes nerfs s’emmêlent et mon cou se redresse. Pas besoin de tendre l’oreille pour en deviner la provenance et l’origine.


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5 commentaires

IvyC

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Il y a 4 mois

Je continue ma lecture plus tard. Petit soutien déblocage. N'hésite pas à passer sur la mienne 🥰

Gottesmann Pascal

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Il y a 4 mois

Ah non les filles, vous avez été sages ou relativement sages pendant tout votre séjour chez Rita vous allez pas faire les diablotines maintenant que votre oncle est revenu. J'aime vraiment beaucoup Yema, une maman bien surprotectrice comme il faut. L'image de l'harrissa sur la corne de gazelle est très bien trouvée.
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