Fyctia
track 08 - Everybody
Idris
J’ai déconné. Il n’y avait qu’un prénom à ne pas citer, et c’est le premier qui s’est échappé de ma bouche. C’est plus fort que moi, ce type est un putain de narcissique incapable. Kamelia ! Pourquoi j’ai pas évoqué Kamelia ? Il est quelle heure ? J’observe mon poignet et ça agace Sam qui s’énerve un peu plus. Dix heures passées. Kam est probablement dispo. Pourquoi j’ai pas pensé à elle, en premier lieu ? C’est trop tard maintenant que j’ai parlé de Voldemort, Samara est en boucle là-dessus. Elle me le vend comme s’il s’agissait du dernier Dyson à la mode, un truc surcoté au design chiadé mais dont la charge tient pas trois secondes. Je ne peux même pas en placer une. Je ne comprends rien, je ne peux pas comprendre, je ne suis qu’un crétin égocentrique qui ne pense qu’à sa gueule, je ne sais pas ce que c’est de se sacrifier pour sa famille et… Ah tiens, Sam sèche un instant. Serait-ce mon tour de parler ? Non, au temps pour moi, c’était juste une respiration, et elle enchaîne tout aussitôt.
— J’sais même plus ce que je disais tellement tu me... raaah !
— Tu en étais à “crétin égocentrique qui ne pense qu’à sa gueule”, je l’informe.
— Purin, joue pas au fion avec moi, Idris !
Qu'est-ce ? J’envisage un instant un possible AVC de Sam, avant de suivre son regard et apercevoir les deux espionnes d’élite dans l’embrasure de la porte. Ok, Sam censure ses insultes devant les enfants. Ça surprend, mais on s’y fait.
— J’suis un fion, tu ne me changeras pas, Sam, je laisse échapper dans un haussement d’épaules. Par contre, ton fourbu canard de mari, tu pourrais peut-être envisager de l’échanger contre une table basse, ça serait tout aussi utile et ça nous éviterait sa meule de fût.
— J’te permets pas de traiter mon mari de fût !
— C’est pourtant un fût, un énorme fût, c’est bien simple c’est le roi des fûts avec une couronne ornée de tout plein de tout petits fûts !
— Ta meule, Idris ! C’est un excellent mari et un excellent père !
— Ah ouais ? Et du coup, on peut savoir où il est le père de l’année, ce matin ? Est-ce qu’il est au moins rentré cette nuit ?
C’est la réflexion de trop, celle qui m’échappe sous l’effet de la colère et que mon calme de façade ne sait retenir. Je m’en veux presque immédiatement à mesure que le masque fier de ma sœur se fissure pour laisser place à l’insondable dévastation. Son couple n’est plus qu’une ruine. Elle a tout donné pour le sauver, mais nous savons tous que ses efforts sont vains. C’est pas elle, le problème, et comment pourrait-elle l’être ? C’est lui. Ça a toujours été lui dès le premier jour. Mais j’avais dix-huit ans, qu’est-ce que je pouvais y faire à cette époque ? Et dorénavant, il y a trop d’enjeux. Dont les deux petites têtes qui s’échappent encore un peu plus de mon appartement.
— Va te faire croûte ! me lance-t-elle dans un dernier éclat de voix avant de tourner les talons.
— Putain, Sam !
J’ai beau faire quelques pas dans sa direction, je ne la poursuis pas, ça ne servirait à rien. Sa décision est prise, je garde les filles ce matin. J’ai jamais vraiment eu mon mot à dire, en réalité, les faits étaient actés bien avant qu’elle ne toque à ma porte.
— Langage ! hurle-t-elle tout de même juste avant que les portes de l’ascenseur ne se referment.
J’observe les diodes lumineuses annoncer les étages qu’elle descend jusqu’au rez-de-chaussée en nous abandonnant là, ses filles et moi. J’adore mes nièces, c’est pas le problème, mais j’ai une audience dans moins de deux heures à l’autre bout de Paris, et les faits évoqués ne me permettent pas d’y trimballer deux fillettes de sept et quatre ans. Et quand bien même j’aurais la matinée pour moi, je fais comment dans un appartement vide de tout, sans une télé ou simplement quelques feutres pour dessiner ? J’ai pas le choix, faut que j’appelle Kamelia. Mais, en attendant…
Mon regard se reporte en direction du 36. J’ai pas la moindre envie de l’emmerder avec ça. Ça ne fait pas partie du contrat, et ça risque de lester l’impulsion légère que je peine à initier. Ô, comme je maudis ma sœur en cet instant. D’un geste de main, je fais signe aux filles d’approcher. Elles ne se font pas désirer, visiblement quitter mon appartement est une joie et je les comprends. J’inspire, j’expire. Puis je toque à la porte.
Je la vois se décomposer à mesure que ses yeux progressent jusqu’aux enfants. Elle a la phobie des gosses en plus du reste ?
— Nora, Hana, je m’élance en appuyant tour à tour sur les petites têtes brunes avant que ma main ne s’en aille désigner ma livide voisine, je vous présente Rita.
— Que des “A”, remarque Nora, la plus grande.
— C’est qui, tonton ? demande Hana, la plus petite.
— Tonton ? répète aussitôt Rita dont le regard remonte jusqu’au mien.
Je ne m’explique pas vraiment la surprise que j’y lis et encore moins ce je-ne-sais-quoi qui ondule à la surface et laisse entrevoir comme une forme de… soulagement ?
— J’ai bien tenté de les forcer à m'appeler “Maître”, mais vas savoir pourquoi, elles restent bloquées sur “tonton”, je réponds à défaut de comprendre les raisons de sa surprise.
Hana tire sur mon pull, et je m’empresse de lui expliquer que Rita est une amie. Nora, pour sa part, plus téméraire, a déjà contourné ma voisine pour s’imposer dans son appartement où elle observe tout alentour.
— J’ai une énorme galère, j’informe ladite voisine toujours immobile sur son seuil. Est-ce que je peux t’emprunter ton appart juste le temps de passer un coup de fil ?
Ce n’est pas tant l’appartement qui m’est nécessaire, mais plutôt une distraction et surtout un adulte pour surveiller les filles pendant que j’organise la suite. En espérant qu’elle pourra être organisée. Mon regard doit transpirer le désespoir car Rita m’épargne son sarcasme et se décale pour nous laisser passer.
Hana demeure accrochée à mon pull, Nora analyse l’appartement de son regard de sonde, Rita m’observe sans un mot, et…
— Salut Idris.
Oh putain ! Une paume contre le cœur, je retiens le juron de justesse. Je ne m’y ferais jamais à ces personnes coincées dans un écran d’ordinateur.
— Salut Mika, je réponds avec un geste de la main en sa direction.
— Alors comme ça, ce sont tes nièces ? me relance la psy encadrée.
— Si je réponds à cette question, je vais te devoir 90€ ?
— Soixante, y a parrainage.
D’un geste de menton, Mika désigne une Rita statue de sel bras croisés au milieu de son salon, et je cède à un premier éclat de rire. C’est qu’elle est sacrément douée, la thérapeute.
Sauf que Rita n’esquisse pas la moindre ébauche de début d’amusement. Immobile, c’est à peine si ses paupières cillent. Est-ce qu’au moins elle respire ? Figée, elle observe Nora dispenser ses caresses sur un Harry particulièrement coopératif. Le matou offre même son ventre poilu aux petits doigts. Sorcellerie !
— Nono, je l’interromps. Tu peux emmener ta sœur voir la dame de l’ordinateur ? J’dois parler avec Rita.
24 commentaires
Gottesmann Pascal
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Il y a 4 mois
MarionH
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Il y a 4 mois