Ophélie Jaëger Close(d) to me track 07 - Stan (ft. Dido)

track 07 - Stan (ft. Dido)

Rita

Le parquet ancestral grince sous chacun de mes pas. Des pas malhabiles comme un enfant qui débute. J’inspire. J’expire. C’est pas si loin, il y a moins d’un mètre et je l’ai déjà fait tant de fois. Ma capacité à appréhender des trucs basiques en est presque risible.


— C’est pas le moment où tu me dis “tu peux le faire, je crois en toi” ? je questionne ma psy en approchant de la porte.


Mon rythme cardiaque s’affole à cette simple perspective. Je tente d’étouffer son tambourinement intempestif de ma voix. D’ordinaire j’ai de la musique dans mes oreilles à un volume à faire trembler les murs, mais Mika veut que je me concentre sur ce que je fais, sans distraction. Alors je parle. Beaucoup. Beaucoup trop.


— Non, que je crois en toi ou non n’a aucune incidence, l’important c’est que toi tu sois consciente d’en être capable.


Blabla de psy. Si je m’en savais capable, je ne serais pas coincée entre ces murs depuis quatre ans. Cela dit, le fait que j’en sois à mon énième tentative infructueuse prouve que j’ai encore de l’espoir. Ça tient plus de l’attente du miracle que de la confiance en moi, mais je me garde bien d’en informer Mika.


La main sur la poignée, j’entame un décompte mental. C’est fou, je n’ai aucun mal à ouvrir cette porte dès lors qu’il n’est pas question d’en passer le seuil, mais lors de mes essais, même en faire pivoter le battant me demande un effort colossal. J’inspire, j’expire, attentive aux douces injonctions de ma psy. La poignée glisse contre ma paume, preuve que mes mains sont d’ores et déjà moites. J’inspire, j’expire lentement, forçant mon palpitant à ralentir sa course.


La poignée s’incline et tourne. J’en suis capable, je l’ai fait des millions de fois. Le battant s’entrouvre et… Des éclats de voix ! Je le referme tout aussitôt avant de me rehausser sur mes pointes pour atteindre le judas. Dans le couloir, dans un lointain créé par le verre courbe, une femme s’extrait à pas furieux de chez mon voisin. Une très belle femme, bordel. Ses cheveux bruns coupés au carré giflent ses joues tandis qu’elle se retourne pour faire face à un Idris qui lui attrape le poignet.


— C’est Idris ? s’enquit Mika depuis son écran.


Je me retourne pour lui offrir un regard furtif qui dit tout ce que je pense de l’enthousiasme trop présent dans sa voix.


— Quoi ? Mon voisin à moi s’appelle Didier et affiche la cinquantaine peu resplendissante, pardon de vivre un peu de ton enviable situation par procuration, plaide-t-elle en élevant deux paumes innocentes.

— Et est-ce un truc qu’un psy est supposé faire, ça ? je demande en reportant mon attention et mon regard sur la dispute qui se joue sur mon palier.

— Non, mais je ne suis pas non plus supposée te tutoyer, t’apprécier, te laisser me solliciter à n’importe quelle heure, ni répondre aux appels de ta mère qui commencent toujours par un “Mika chériiiiiiie”... Alors, un peu plus ou un peu moins…


Son ton à beau sonner léger et anecdotique, j’ai trop conscience de tous ces écarts que nous enchaînons depuis des années dans notre relation psy/patiente. Et je me doute qu’elle-même se fait violence de son côté.


— C’est le moment où tu me recommandes l’un de tes confrères ? je m’entends poser la question bien que chaque fibre de mon corps en redoute la réponse.

— Déjà tenté, tu les as tous envoyé chier.

— Parce qu’ils ne sont pas toi.

— C’est bien la raison pour laquelle je ne propose plus, concède-t-elle.


Et je respire à nouveau.


— Un autre ne ferait que galérer des années avant d’en arriver à ce stade de confiance dont tu as besoin pour fonctionner. Ce qui ne ferait que retarder cette progression qu’on touche enfin du doigt. C’est pas très orthodoxe comme méthode, mais aucune science n’est exacte.

— J’suis pas si fermée que ça, je balbutie en collant mon oreille contre le bois de la porte dans l’espoir d’entendre un peu du sujet de cette dispute.

— Tu plaisantes, j’espère ? Tu es tout sauf fournie avec une ouverture facile sur le couvercle, mais ce n’est pas un reproche. Ta confiance se gagne et se mérite, et suite au trauma de l’abandon d’un père, rien de plus normal…


Oula non ! Pouce ! Aucune envie d’aborder ce sujet en particulier. Je l’ai évoqué une fois, pour les besoins de la thérapie, mais je ne souhaite pas revenir sur ce terrain boueux dont je ne parviens jamais à m’extraire sans y abandonner une botte.


— Chuuuut, j’entends pas ! j’impose en agitant une main en direction de l’écran pour la faire taire.

— J’croyais que t’en avais rien à faire de ton voisin.


Et j’entends le foutu sourire dans sa voix.


— J’ai menti, je concède.

— Bien, ravie d’apprendre que tu mens aux autres mais pas à toi-même.


Les éclats de voix m’échappent. Ça se dispute fort mais à voix basse comme pour ne surtout pas importuner les voisins. Foutu savoir vivre. Aussi, je délaisse l’ouïe au profit de la vue, et m’en retourne espionner par le judas. Ils sont toujours devant ma porte. La brune agite un index véhément sous le nez d’Idris qui demeure impassible.


— Est-ce que ce ne serait pas le moment de parler du fait que tu t’intéresses à ton voisin ? poursuit une Mika complètement hermétique à ma priorité du moment.


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15 commentaires

Marion_B

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Il y a 4 mois

Ah cet instant je suis comme rita. Que mika se taise et que je sache qui est cette foutu belle brune coupe carré.. tête au Carré!!

Gottesmann Pascal

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Il y a 4 mois

Mika passe un peu les bornes du professionnalisme mais ça la rend vraiment sympathique. On a pas l'impression d'avoir une discussion entre deux meilleures copines qui s'échangent des potins qu'entre une psy et sa patiente.
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