Fyctia
track 06-I'll Be There for You
Les échos de leur conversation m’irritent. L’enthousiasme de ma mère à la perspective de son exil me blesse. Plus elle s’emballe et plus je sens la nausée remonter en varappe le long de mon œsophage. Lorsque l’incendie se déclare dans ma gorge, je claque l’écran de mon ordinateur portable, coupant la communication sans ménagement.
— Rentre chez toi, Idris, j’expectore.
— J’ai pas fini mon café, rétorque-t-il en soulevant sa tasse.
Putain, mais c’est quoi le rapport ?
— Ta mère t’as pas appris les limites et la politesse ? je m’agace.
— Tu viens de raccrocher au nez de la tienne, tu veux vraiment te lancer dans ce débat ?
Il croise les bras contre son torse, et l’étincelle de défi cavalant sur ses rétines me donne des envies de violence.
— T’as toujours réponse à tout ?
Question rhétorique. Non seulement c’est le cas, mais il a également trop souvent le dernier mot à mon goût.
— C’est mon métier, oui.
— Et t’as pas un truc à plaider, un procès à gagner, un jury à sélectionner ? J’sais pas, un truc à faire ailleurs que dans mon salon.
Il semble hésiter un instant en soutenant mon regard. Sa bouche se tord et je note les coups de dents qu’il donne sur l’intérieur de sa joue. Son sans-gêne a ses limites, n’est-ce pas ? Non. Il a trouvé sa réplique, je le vois à son sourire satisfait.
— J’peux pas m’éloigner de toi, j’suis ton animal de soutien émotionnel.
C’est sa toute dernière connerie en date. Il a vu ça dans un documentaire, une jeune femme anxieuse qui trimballait son chien partout avec elle pour juguler ses crises. Et depuis que Mika lui a confirmé que c’était réellement quelque chose d’existant…
— Et quand t’es content tu remues la queue ?
A mon tour d’étirer le coin de ma bouche. Je ne sais pas ce qui me prend. Je cherche à l’embarrasser, je crois. Ça ne marche pas.
— Tu veux essayer ? il réplique en plantant une canine dans sa lèvre inférieure.
Connard.
Sous mon tee-shirt informe à l’effigie de Queen, mon estomac entame un solo de claquettes, ce traître, et je ne peux m’en prendre qu’à moi-même. J’ai pas le niveau de répartie nécessaire pour contrer ce gars-là. Idris est un genre de Boss de fin. Il a gagné, et il le sait à ce soupir que je relâche bruyamment.
— Je dois travailler, Idris, j’argumente en espérant qu’il saisira le message sibyllin.
— Dans cette tenue ?
Il a quitté ma chaise de bureau, et installé à même la table, ses pieds nus battant l’air, il observe mes jambes découvertes par-dessus son mug de café.
— En quoi ça te regarde ?
Je compte bien enfiler un jean avant de me mettre au clavier, mais je me garde bien de me justifier face au voisin.
— En rien, t’as raison, m’accorde-t-il. Mais c’est quoi ton job, au juste ? Tu m’as jamais dit.
Et pour cause puisque j’ai signé un contrat de confidentialité quelque peu malmené, ces derniers temps, par l’omniprésence dudit voisin dans mon salon. D’un simple mouvement de menton, je désigne le bureau où trônent deux énormes écrans suppléés par un ordinateur portable dernier cri. Volontairement énigmatique, j’ose espérer qu’il saura se contenter de ça.
— Oh… Onlyfan ?
Je m’en étrangle avec ma propre salive et toussote un moment avant de pouvoir lui exprimer mon indignation.
— Ah ok, donc pour toi, en 2024, une meuf qui gagne sa vie sur un ordi, c’est forcément en montrant son cul ?
— C’est pas ce que j’ai dit, répond-t-il très calme. J’dis juste qu’avec le tien tu ferais fortune.
— Et c’est supposé être un compliment, ça ? Tu t’attends à ce que je te remercie de ton appréciation non sollicitée sur mon cul, un truc du genre ?
— Absolument pas, c’est un simple constat, poursuit-il sans jamais se départir de son calme ou de son sourire aimable.
Insupportable crétin ! Mes nerfs en pelote appellent à cette dispute qu’il me refuse éhontément. J’en attrape ma balle antistress que je malaxe avec force destructrice.
— Constat basé sur ton expertise en tant que…?
— Homme hétérosexuel cisgenre. Pas le meilleur groupe auquel appartenir, mais j’ai pas choisi, hein.
— Donc, si je résume, t’es en train de me dire que toi, Idris hétéro cis, tu paierais pour voir mon cul en ligne ?
Voilà que ça me reprend. Je le sais, pourtant, que je ne gagne jamais avec lui, alors pourquoi je m’obstine à tenter de voir s’imprimer le malaise sur cette bouche trop sûre d’elle ? Alors que c’est toujours un sourire canaille qui s’y affiche. Comme en cet instant où il fouille sa poche pour en extraire un trousseau.
— Bah non, moi j’ai les clefs.
L’insulte part presque aussi vite que la balle antistress qu’il évite de justesse. Il ricane, fier de sa connerie, en sautant du plateau de la table pour rejoindre la sortie sans traîner. J’entends encore son rire dans le couloir tandis que je referme la porte sur lui et y plaque mon dos dans une vaine tentative de faire obstacle si l’envie lui prenait de revenir à la charge. Et lorsque un rire s’échappe de mes propres lèvres, je l’étouffe en y collant ma paume avec stupeur. Ah non. Non, non, non ! Hors de question que je commence à prendre plaisir à ces joutes verbales matinales. Je les perds systématiquement en plus. Je suis contrariée et je dois le rester.
Néanmoins, c’est une remarque concernant mon sourire inhabituel que m’offre ma collègue lorsque je connecte la session Zoom.
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Kenza | Fyctia
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