Ophélie Jaëger Close(d) to me track 06-I'll Be There for You

track 06-I'll Be There for You

Rita

J’ai rien trouvé. Idris Soltani, 31 ans, avocat ayant rejoint un grand cabinet récemment, justifiant d’une hausse de son pouvoir d’achat d’où l’acquisition de l’appartement numéro 35. Avant cela ? Aucune idée. Son identité numérique semble avoir été nettoyée. Rien sur son Instagram avant l’année dernière. Un compte Facebook cloisonné. Et même pas un vieux Myspace à se mettre sous la dent. L’enquêtrice en moi fut bien vite frustrée. J’ai pas l’habitude de rentrer bredouille de mes fouilles numériques. Au contraire, et c’est d’ailleurs pour cela qu’on me paye, et qu’on me paye bien.


C’était il y a plus d’un mois. Et à côté de cela, le fantôme des internets ne joue à cache-cache que sur la toile, car le reste du temps, il est partout dans mon quotidien, sur toutes les lèvres, dans toutes les conversations, et bien souvent de chair et d’os en plein milieu de mon appartement. Même Mika, ma psy, m’en parle encore et me demande régulièrement de ses nouvelles. Que je lui donne. Car à mon grand désespoir, j’en ai. J’en ai trop.


Je suis d’ailleurs en visio avec ma mère, comme chaque matin, lorsque le cliquetis du verrou m’annonce l’arrivée de mon voisin.


— Pourquoi a-t-il fallu que tu lui refiles les clefs ? j’accuse ma mère en voyant Idris apparaître derrière moi dans le retour caméra.

— Ça me rassure, qu’elle susurre en agitant ses doigts à l’attention de l’intrus. Sa mission est de veiller sur toi.


Oui, j’ai appris ça bien trop tard. Ma mère a profité d’une de ses rares visites chez moi pour se rendre en premier chez mon voisin et lui confier, rien de moins que ma complète responsabilité. Bienvenue en quasi-patriarcat, où je passe du joug de ma mère à celui de mon voisin de palier. Rien de tout ceci n’a le moindre sens. Ils ont même échangé leur numéro de téléphone et depuis, discutent régulièrement. Et puisque je suis leur seul point commun, j’ai souvent les oreilles qui sifflent.


C’est fou comme cet homme plaît à tout le monde. Même ma sœur lui trouve des qualités. Faut dire qu’il n’est visuellement pas désagréable, plus encore au tombé du lit, comme en cet instant, l'œil encore flou et les cheveux en vrac. Même la légère bosse sur son nez droit, dont je serais, selon ses dires, l’autrice. C’est entièrement faux. Mais je ne peux même pas l’attaquer en diffamation, puisque c’est lui, l’avocat.


— Qu’est-ce que tu veux ? je l'accueille sans l’ombre d’un sourire.

— J’ai plus de sucre, lance-t-il en saluant ma mère par écran interposé.

— Y a un Franprix à cent mètres.

— Dixit Père Fouras coincé dans son fort depuis 1996…


Idris sait. Ca aussi, ma mère le lui a confié. Il n’ignore rien de mon léger handicap, et quelque chose me dit qu’il n’a pas eu besoin de ma mère pour ça. Mais Idris s’en fout complètement. Aucune pitié, pas la moindre compassion. Juste de la douce moquerie. Au moins, ça me change des regards apitoyés qu’on m’inflige d’ordinaire.


Le coin de ses lèvres s’étire à mesure que mes sourcils se froissent. Et mon majeur s’élève. Dans mon dos, la langue de ma mère claque contre son palais. Elle a choisi son camp, et ce n’est pas le mien. Traîtresse. Idris ricane. Il a déjà tourné les talons et déambule dans mon appart comme s’il était propriétaire des lieux. Le sucre, c’est juste une excuse. Ce qui l’attire ici, c’est mon café. Je le soupçonne de ne pas avoir déballé la moitié de ses cartons et de vivre dans un appartement vide avec pour seul meuble un matelas à même le sol.


Une tasse fumante entre les mains, il fait rouler un deuxième siège de bureau jusque devant l’un de mes écrans. Ok, il s’installe. Maman semble ravie, elle n’en peut plus d’afficher ses dents comme pour un examen bucco-dentaire approfondi.


— Comment allez-vous, Carmen ? qu’il lui demande entre deux gorgées.

— Carmen ? je répète en quittant mon propre siège. Elle s’appelle Monique.

— Je me sens Carmen, donc je suis Carmen, d’accord ?


Elle se fâche et je soupire bruyamment. Comment voulez-vous que je sois équilibrée avec un entourage pareil ?


— Et ça vous va très bien, Carmen.


Mes poings se serrent et je me retiens fort de ne pas tenter de lui faire une deuxième bosse sur le nez. Maman minaude. Non, elle roucoule, carrément. Ce con a transformé ma mère en un foutu pigeon. Ils évoquent l’Espagne, désormais, et je ne veux surtout pas en entendre parler, alors je bats en retraite jusqu’à la cafetière à mon tour. Je n’ai toujours pas réussi à passer le seuil. Pas même un pied. Mika a beau m’assurer que ce n’est pas grave, que ça prend du temps et que Rome ne s’est pas construite en un jour, il n’est pas question de Rome mais de Barcelone. J’ai besoin de progresser si je veux être prête pour la grande migration. Maman ne me dit rien, mais Alba oui. Les visites s'enchaînent et l’appartement plaît beaucoup. Elles ne tarderont pas à trouver un acquéreur, et je serais alors condamnée à la solitude en plus de mon isolement.


C’est une chose d’être coincée entre quatre murs, c’en est une autre de l’être dans la solitude la plus totale au sein d’une capitale surpeuplée.


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25 commentaires

MarionH

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Il y a 4 mois

La mère qui se fait appeler Carmen. Ils st bien barrés qd même tes persos, j adore!

Gottesmann Pascal

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Il y a 4 mois

Idris s'est mis tout le monde dans la poche et a même la confiance de Monique/Carmen. Mais Rita est bien décidée à faire de la résistance.

IvyC

-

Il y a 4 mois

🔥
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