Ophélie Jaëger Close(d) to me track 04 - Miraculous Ladybug

track 04 - Miraculous Ladybug

Rita

La déception est réelle, pourtant je ne parviens à réfréner une inspiration expectative. Cette simple présence est une inconnue dans l’équation usuelle de mes soirées. A partir de maintenant, je ne sais plus rien de ce qui va se dérouler. Ça a quelque chose de profondément agaçant et, malgré tout, un poil galvanisant aussi.


— Oui ? je tente à défaut de savoir si je veux écourter ou l’inverse.

— Tu aurais des œufs ?


Si j’ignorais à quoi m’attendre le concernant, cette excuse aussi clichée que le pantalon en velours côtelé d’un prof d’Histoire me laisse interdite. Même le chat, intrigué au point de se fendre d’un déplacement jusqu’à la porte, décide de tourner les talons et nous présenter son anus.


— Des œufs ? je répète pour lui laisser une chance de trouver mieux.

— Trois, insiste-t-il sans jamais se départir de son sourire.


Et peut-être est-ce à cause de son nez en vrac ou simplement à la perspective de cette minuscule bouffée d’oxygène dans ma soirée, mais je me surprends à prendre la direction de l’espace cuisine sans opposer la moindre résistance ou l’ombre d’un début de sarcasme.


— Autre chose ? je m’entends proposer depuis la porte du frigo.

— Je ne serais pas contre un peu de farine…


Le parquet grince sous les pas qu’il enchaîne, sans invitation, dans mon salon.


— … et si jamais tu as du lait, aussi ?


La boîte d'œufs dans une main, je me penche en arrière juste assez pour accrocher son regard par-delà la porte du frigo et lui offrir ce sourcil que je soulève.


— Je fais des crêpes, annonce-t-il comme si cela expliquait quoique ce soit.

— A vingt et une heures passées et sans le moindre ingrédient ? Je ne t’imaginais pas en bigoudène.

— Si je te demande de la harissa, ça me va mieux au teint ?


Les mains dans les poches d’un jean trop large, il déambule dans mon salon comme d’autres dans une galerie d’art. Son regard se promène sur les murs, les meubles et les bibelots, avant de s’immobiliser sur l’écran télé qui crache ses images trop colorées. Un œil au miel perplexe vrille en ma direction, et je me sens contrainte de me justifier. Comme si l’honneur de ma santé mentale pouvait encore être sauvé.


— Programme préféré de Harry.

— Et est-ce que Harry est avec nous, en ce moment, dans cette pièce ?


Encore ce ton précautionneux qui me filerait presque de l’urticaire. J’expire un soupir si bruyant qu’on devine presque l’insulte qu’il contient.


— C’est le chat, je lâche en désignant la boule de poils présentement occupée à se toiletter l’entre-jambes.

— Comme le Prince ? s’enquiert-il entre deux fredonnements du générique télé.


Forcément, un chat roux prénommé Harry chez une célibataire de presque trente ans…


— Comme Houdini. Harry Houdini.


Je n’ai rien contre les princes et demoiselles en détresse, si ce n’est que je n’ai plus dix ans, ni la naïveté d’une jouvencelle.


— Rapport à ? poursuit-il en reprenant ses déambulations pour jeter son dévolu, cette fois, sur la longue vue.

— Sa capacité à disparaitre et réapparaitre dans les endroits les plus improbables.


Ma réponse est informelle, et pourtant mon timbre se tend, comme mes nerfs, à mesure que je l’observe se pencher et greffer son œil au verre courbe. Il n’a pas touché à l’inclinaison ou aux réglages, Idris se contente d’observer mes propres observations, et une forme de gêne grimpe et cavale le long de mon échine. Il n’y a pourtant rien de honteux. Au pire, Ulysse et Clotilde en sont au mangeage de bouches, et je passerais pour la voyeuse que je suis.


Cependant, sans un mot ni jugement, il se redresse et reprend son inventaire de la pièce. L’homme pousse l’intrusion jusqu’à s’en aller picorer quelques céréales récupérées à même mon bol sur la table basse.


— Ah ah ah, amour chassés croisés, ah ah ah, j’ai peur d’aimer pour rien, ah ah ah, celle qui ne peut m'aimer quand elle vit son destin, chantonne-t-il devant les cadres photos au mur.


Soudain, la gêne me déserte et change de camp. Je délaisse lait et farine sur le vieux bar qui fait office d'îlot central, et la hanche en appui contre ce dernier, j’observe le curieux avec moquerie. Mon regard doit peser contre sa nuque puisqu’il se retourne presque aussitôt.


— Ah ah ah, je plagie d’une voix mièvre face à sa mutique perplexité.

— J’ai pas de chat, mais j’ai des nièces, justifie-t-il sans l’ombre d’un début de trouble. Et puis c’est entraînant.


Ce constat ne souffre aucune contradiction. Moi aussi, je connais le générique de Miraculous par cœur, et je n’ai même pas l’excuse d’avoir des enfants. Seulement un chat despotique aux goûts particuliers.


— Bien, j’élude en claquant le paquet de farine contre le comptoir. Et avec ça, il vous faudra autre chose ? Un sac à quatre-vingt centimes ?


Idris étire un sourire unilatéral qui s’empresse d’aller coloniser ses yeux. J’aime pas ça. Ou peut-être un peu.


— Ouh, jeux de rôles, j’adore ! s’enthousiasme-t-il en me rejoignant pour prendre position de l’autre côté du vieux bar. Pardonnez ma demande quelque peu cavalière, madame la marchande, mais auriez-vous un livre de recettes ? Ou juste la page de la pâte à crêpes, je vous prie ?


Les coudes sur le comptoir, le buste en avant et l’air conquérant, le voisin m’impose un sourire piquant que je lui ferais volontiers ravaler. Au lieu de quoi, je recule d’un pas et mon dos rencontre la porte du frigo.


— Eclaire-moi, c’est le plan drague le plus pété au monde, ou t’es juste complètement secoué ?

— C'est-à-dire ? me questionne en inclinant visage et sourire sur le côté.


Puis, il semble réaliser, et après un “Oh” échappé d’entre ses lèvres, tourne les talons et quitte mon appartement en soufflant un “bouge pas !”. Ce qui ne risque pas d’arriver. Lorsqu’il réapparait, il est armé de deux assiettes au contenu non identifiable qu’il dépose fièrement dans ma cuisine.


— Qu’est-ce…?

— Mes crêpes, me coupe-t-il en couvant ses créations d’un regard désolé.

— Non, ça c’est une des régurgitations du chat, à la rigueur, mais c’est pas une crêpe.


Au centre d’une des assiettes, une masse informe d’un marron douteux semble se battre pour sa propre survie. Sur l’autre, des morceaux d’une dentelle carbonisée qu’on a visiblement tenté de joindre ensemble comme une créature de Frankenstein version Fez-Noz.


— Voilà, conclut-il de lui-même. J’ai perdu un pari, j’dois faire une vingtaine de crêpes, et j’ai cru que ce serait simple. Ça l'est pas. J’ai bousillé suffisamment de denrées alimentaires pour me retrouver avec une ONG au cul, et tout ce que je parviens à produire c’est… du slime.


Ce disant, il agite l’assiette dont le contenu se met à onduler de manière grotesque. D’une main que je dépose sur la sienne, j’interromps le mouvement et réprime un haut-le-cœur.


— A ce stade, c’est pas d’une recette dont t’as besoin, c’est d’un miracle.


S’il ne répond rien, ses yeux de chat se font chien battu. Merde, il est presque aussi doué que Harry. Je recule à nouveau, comme si cela pouvait me permettre de m’extraire de sa magie culpabilisante. Trop tard.


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43 commentaires

Gottesmann Pascal

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Il y a 4 mois

Vraiment marrante cette scène de crêpes. Pauvre voisin qui se trouve victime des sarcasmes de ta Rita qui ne se gène pas pour se moquer de lui. J'aime beaucoup le chat Harry, surtout le choix de son prénom.

IvyC

-

Il y a 4 mois

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